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CHRONIQUE POLITIQUE

8 juillet 1862.

Le Corps législatif a consacré huit jours à la discussion du budget, puis il a terminé sa session après avoir reçu de chaudes félicitations de son président. Si le public eût été admis à lui faire entendre les siennes, il est probable qu'elles eussent été un peu moins cordiales, à moins toutefois qu'il n'eût été enchaîné par le respect. Il se fût beaucoup moins étendu que M. de Morny sur la laborieuse carrière fournie par nos députés. Ces huit jours donnés au budget additionnés avec les trois semaines employées à la rédaction de l'Adresse forment, en effet, un total d'environ un mois de travail parlementaire, ce qui n'équivaut pas précisément aux douze travaux d'Hercule. On a beau vouloir persuader au public qu'il est on ne peut plus glorieux pour le Corps législatif de faire en un mois ce que nos anciennes Chambres faisaient en une année, et de se montrer semblable en cela à cette célèbre montre de Gascogne qui expédiait son heure en quelques minutes, cette grande démonstration de la supériorité de ce qu'on nomme le système représentatif sur la routine constitutionnelle n'a pas encore réussi à pénétrer dans les esprits. On convient volontiers qu'il y a économie de temps, il faudrait être aveugle pour ne le point reconnaître; mais on prétend aussi qu'il y a économie de liberté, économie de contrôle et de garanties, économie de bon sens politique, économie de tout, excepté d'argent. On pousse l'ingratitude jusqu'à affirmer que c'est payer trop cher la belle simplicité du mécanisme actuel. Que de services précieux, pourrait-on répondre, il rend pourtant au gouvernement, c'est-à-dire en définitive au pays! Qui ne se souvient de la lenteur interminable avec laquelle procédait autrefois cette malencontreuse discussion du budget, et cela à l'époque où le budget s'élevait à un milliard à peine, tandis qu'aujourd'hui il en dépasse deux? Chaque chapitre, chaque article était analysé, examiné, supputé avec un esprit de minutie et de chicane insupportable; on prenait le pays à témoin à propos de la plus insignifiante dépense; on apportait toutes les pièces sous ses yeux, et on le condamnait à l'intolérable supplice de voir clair dans ses propres affaires; on attestait les

dieux immortels à propos d'une coupe de bois indûment faite dans les forêts de la liste civile: en résumé, on n'en finissait pas, et personne n'était content, ni le gouvernement, ni les sujets.

Aujourd'hui ceux-ci ne le sont peut-être pas davantage, grâce au mauvais esprit qui se propage; mais au moins le gouvernement jouit de quelque sécurité et peut se donner tout entier aux grandes affaires qui l'occupent. La discussion du budget n'est plus pour le pays une source d'agitation et d'inquiétude, grâce au sage huis clos qui protége les pacifiques travaux de la commission des finances, et lorsque les rapporteurs soumettent à la Chambre leur œuvre soigneusement revue et corrigée, les députés, heureux de voir leur propre besogne si bien faite sans leur avoir coûté aucune peine, se hâtent d'en témoigner leur gratitude par un vote de confiance qui ne trouble le repos de personne.

L'examen détaillé du budget ayant été transporté de la Chambre à la commission, il en résulte que tout l'intérêt de cette discussion est perdu pour le public, dont la légitime anxiété n'a plus pour aliment que des critiques trop générales pour le passionner, et incapables même de piquer sa curiosité. Le travail effectif étant fait tout entier hors de l'enceinte législative, le rôle de la Chambre ne consiste plus qu'en une sorte de représentation destinée à figurer pour la forme un débat déjà terminé. De là la froideur d'une discussion où les orateurs ne voient guère qu'une occasion de venir faire une profession de foi en matière de finances, ou exposer longuement des plans de réforme ou d'impôts qu'ils sont les premiers à déclarer tout à fait inapplicables pour le moment. Telle a été, par exemple, la motion de MM. Granier de Cassagnac et Roques-Salvaza, relativement à un nouvel impôt sur le revenu, dont il paraît que le besoin se fait sentir. C'est sur les côtés faibles du budget qu'on eût désiré voir ces honorables membres concentrer leur attention et leurs lumières; mais M. Granier de Cassagnac, qui a pour maxime que plus une nation paye d'impôts plus elle est riche, croirait manquer de patriotisme s'il exprimait des vœux en faveur d'une diminution des charges qui pèsent sur son pays, et son esprit habitué aux régions élevées de la politique n'a garde, d'ailleurs, de s'engager dans d'aussi mesquines contestations.

Quant aux rapports présentés au nom de la commission, on s'est généralement accordé à reconnaître, surtout dans ceux de MM. Segris et Alfred Leroux, un langage beaucoup plus ferme, plus libéral, plus indépendant que n'avait été celui des années précédentes, et il faut voir un heureux augure dans l'initiative encore timide que la commission a prise au sujet des plans financiers du gouvernement, dont elle n'a pas craint de repousser une partie assez notable. Les écono

mies qu'elle a proposées, conçues d'ailleurs dans un esprit louable, resteront sans efficacité tant qu'on n'abordera pas avec résolution la question du désarmement, seul moyen de relever nos finances. Il est inutile de dire combien nous sommes loin pour le moment de cette voie salutaire, de ce remède proclamé infaillible par ceux mêmes qui font tout pour en retarder l'emploi, et qui, selon toute probabilité, ne s'imposera aux gouvernements européens qu'à la suite de quelque grande et mémorable catastrophe amenée par la folie qui les pousse dans le sens opposé. Hors de là il n'y a que des mesures insuffisantes et illusoires, et la suspension même des cumuls et des gros traitements, qui a été proposée par un orateur de l'opposition, ne constituerait que de bien faibles ressources, quoi que sur ce point spécial, comme en tout, il y ait lieu à de sérieuses réformes. Il sera toujours difficile à quelqu'un qui n'est pas fonctionnaire de partager l'amertume de M. Magne, s'indignant de ce qu'un serviteur de l'État ne soit pas aussi bien rétribué qu'un banquier ou qu'une danseuse. Ces contrastes se sont toujours vus, et jusqu'à ces derniers temps ils n'ont étonné personne. Ils sont fondés sur un vieux préjugé de nos pères, qui consistait à croire qu'il est certains services qui ne se payent pas avec de l'argent. C'est en vertu de ce préjugé qu'on donnait cent mille francs à Vestris et un sou par jour à nos soldats.

En résumé, cette discussion du budget a été insuffisante et stérile. Un événement que personne ne prévoyait, et qui a vivement ému l'opinion, a achevé de détourner l'attention publique d'un débat qu'elle n'était que trop portée à déserter. On devine qu'il s'agit ici de l'échec que nos troupes ont éprouvé au Mexique. Ceux mêmes qui ont vu cette expédition avec le plus de répugnance n'avaient jamais supposé, dans leurs prévisions les plus découragées, que nous y trouverions si promptement des leçons d'une telle nature, et ils ont été les premiers à déplorer l'événement qui est venu donner raison à leurs appréhensions. En présence d'un malheur de ce genre, tout le monde se réunit dans un même sentiment de douleur patriotique; mais, une fois la part faite aux regrets, tout n'est pas dit, il faut encore agir. Les difficultés de l'entreprise restent ce qu'elles étaient, et s'il est vrai que pour les surmonter il y ait plus d'une voie ouverte, il est bien permis à ceux dont les craintes ont été si tristement confirmées de croire leur opinion préférable à l'obstination de ceux qui, après un tel démenti donné à leurs espérances, n'ont vu dans cet échec qu'un moyen de fermer la bouche à leurs adversaires. Chose singulière ! l'embarras, d'après ces intrépides raisonneurs, devrait être ici pour la politique qui, dès le principe, a déconseillé l'expédition, au lieu

d'être pour celle qui l'a encouragée de toutes ses forces. Peu s'en faut qu'on n'impute tout le mal à ceux qui ont combattu le projet. A quoi donc servira l'expérience, si c'est dans un tel sens qu'on interprète ses enseignements? Il faut aujourd'hui presque du courage civil pour dire nettement qu'on désapprouve cette entreprise. Et pourquoi? parce qu'elle s'exécute dans des conditions encore moins favorables que ses adversaires les plus décidés ne le supposaient. Voilà vraiment une bonne raison pour se déjuger! Il suffirait ainsi d'un commencement d'insuccès pour mettre au-dessus de toute discussion un projet qui, avant d'avoir contre lui cette première épreuve, soulevait déjà tant d'objections. Si l'entreprise avait réussi, le succès eût été invoqué comme un argument sans réplique; elle ne réussit pas, on nous oppose ses revers comme une réponse qui doit couper court à toute critique. On ne peut pas prendre au sérieux de pareilles fins de non-recevoir. Le meilleur moyen de s'expliquer ces revers et d'en prévenir le retour est encore d'avoir une juste idée des faits qui les ont amenés,

L'obscurité qui couvrait les origines et les causes de l'expédition du Mexique commence à être dissipée, grâce aux débats parlementaires dont elle a été l'objet dans différents pays et aux dissentiments diplomatiques auxquels elle a donné lieu; mais on est forcé de convenir que la France, qui est aujourd'hui la principale intéressée dans cette affaire, est sans contredit le pays de l'Europe où elle est le moins bien connue. En Espagne comme en Angleterre, les gouvernements n'ont pas hésité à prendre l'opinion pour juge de leur conduite, et ils l'ont fait de la seule manière qui soit sérieuse et décisive, c'est-à-dire en publiant toutes les pièces du procès. En France, au contraire, le public n'a été admis à connaître que les rares documents qu'on a jugé à propos de lui communiquer, en sorte qu'on semblait se défier de son jugement, alors même qu'on faisait appel à son impartialité et qu'on se disait sûr d'obtenir son adhésion. La presse lui a même laissé ignorer la plupart des pièces publiées à l'étranger, soit insouciance, soit plutôt crainte exagérée de s'attirer les rigueurs administratives. Nous n'avons guère eu, en fait d'explications officielles, que le discours de M. Billault, qui n'a que très-médiocrement contribué à éclaircir une affaire assez embrouillée par elle-même. Celui de M. Favre, qui en cette circonstance a représenté l'opposition, avait été lui-même moins pressant qu'on aurait pu le désirer. L'honorable orateur n'a eu évidemment qu'une connaissance insuffisante de la question. Dans des luttes de ce genre, M. Favre l'a prouvé plus d'une fois, il dépend de celui quí attaque de forcer son adversaire à être net et précis : il n'a qu'à por

ter lui-même la lumière sur les points décisifs de l'affaire en discussion. M. Favre s'est trop complaisamment maintenu dans la région des généralités, satisfait sans doute de savoir que les sentiments généreux dont son discours est l'expression iraient à leur adresse, et plus préoccupé de démontrer la supériorité des idées politiques dont il est l'organe que d'embarrasser son adversaire.

Grâce à l'indécision de l'attaque, la défense a pu rester elle-même dans le vague. M. Billault a produit sans doute quelques documents en réponse aux allégations de M. Favre, mais ç'a été de sa part une pure libéralité que personne n'exigeait de lui, et la partie substantielle de son plaidoyer, celle du moins qui a été considérée par la majorité comme une réponse satisfaisante, a consisté en une succession d'effets et de variations oratoires sur le drapeau de la France dans le goût des brillantes tirades que le public des boulevards lui-même a fort peu applaudies dans la pièce des Volontaires. A la parcimonie avec laquelle M. Billault nous a communiqué les confidences du recueil des notes officielles, on voit bien qu'il est un ministre sans portefeuille. Peut-être étions-nous jusqu'à présent dans l'erreur en refusant de prendre à la lettre cette désignation ministérielle, et M. Billault lui-même ne connaît-il qu'imparfaitement le portefeuille de son collègue le ministre des affaires étrangères. Ce qui est certain, c'est qu'à première vue, et pour un esprit qui ne juge des choses de la haute diplomatie qu'avec les règles ordinaires du bon sens, l'ensemble du discours de M. Billault paraît difficile à concilier strictement avec la partie des documents qui est connue, je ne dis pas en France, mais dans le reste de l'Europe.

Ces documents, publiés pour la plupart en Espagne après la rupture de l'alliance, et depuis traduits dans toutes les langues européennes, tendent à modifier considérablement l'opinion qu'on s'est faite en France sur la vraie nature de l'expédition mexicaine, et bien qu'ils soient encore comme inédits pour nous, il serait puéril de la part du gouvernement de continuer à les considérer comme tels, et coupable de la part de la presse de feindre d'ignorer leur existence et de n'en pas tenir compte. Ils complètent et rectifient sur plusieurs points le système que l'orateur du gouvernement a développé avec toute la chaleur de l'improvisation, mais aussi avec quelques-uns de ces hasards qui s'y joignent inévitablement. Ainsi M. Billault s'est attaché à démontrer que le gouvernement français n'avait jamais eu l'intention de traiter avec l'administration actuelle du Mexique. Ce que l'expédition devait faire, a-t-il dit, c'était frapper au cœur le gouvernement mexicain en pénétrant dans Mexico, c'était agir, marcher, renverser un fantôme de gouvernement, imposer la justice. Le cabinet français

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