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Monsieur Truth, dit-il de sa voix la plus doucereuse, auriezvous la bonté d'annoncer dans votre excellent journal que l'honorable M. Little vient de donner dix mille dollars à l'hospice des enfants, cinq mille dollars aux pauvres de la ville et cinq mille dollars à la bibliothèque municipale?

L'emprunt mexicain va bien, dit Humbug; Little est un juif pieux qui paye la dîme au Seigneur.

L'emprunt mexicain est abandonné, répondit Fox; M. Little s'est assuré que les garanties offertes par le gouvernement du Mexique n'étaient pas sérieuses.

- D'où vient cette générosité suspecte? demanda Humbug; il y a quelque terrible spéculation sous jeu. Voilà vingt mille dollars qui nous coûteront cher.

Toujours des soupçons, interrompis-je; et pourquoi?

C'est que je suis un vieux journaliste, répondit Humbug; je crois à la vertu des banquiers comme à la simplicité des quakers. - On vous convertira, vieux pécheur, reprit Fox en riant.

Rose.

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Grande nouvelle à la Bourse! dit en rentrant M. Eugène

L'emprunt mexicain est retiré, dit Humbug; nous le savons. Mais ce que vous ne savez pas, c'est que le maire a donné sa démission, et qu'on porte M. Little pour le remplacer.

Vraiment! dit Fox; cela n'est pas possible. M. Little ne m'en a point dit un mot; je doute même qu'avec ses nombreuses affaires il puisse accepter ce poste important.

-Excellent Fox! s'écria Humbug, il a l'innocence d'un agneau; vous verrez, honnête avocat, que M. Little se décidera à ce grand sacrifice.

Mais nous sommes des gens délicats, dit Truth, et pour notre part, nous ne lui imposerons pas une aussi lourde charge, nous combattrons son élection.

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Et pourquoi? s'écria Fox.

Ceci, dit Humbug, c'est le secret de la comédie; on ne le demande pas.

- Ainsi donc, reprit Fox, nous vous trouverons toujours contre nous, vous, puritains, gens impossibles; mais que je sois damné si je ne viens quelque jour vous brûler dans votre guêpier, frelons inutiles, qui ne savez que nous fatiguer les oreilles de vos odieux bourdonnements!

Fox, mon ami, dit Humbug, ne mettez pas ma patience et mes bras à l'essai, je vous ferais passer par la fenêtre.

Fox n'attendit pas une menace dont l'exécution était trop certaine; pour moi, je sortis, ému et troublé de tout ce que j'avais entendu. La raison et l'éducation me disaient que la presse est une arme chargée contre le pouvoir et la société; d'un autre côté, j'étais frappé de ce qu'il y avait de grand et de généreux dans la conduite de Truth, de brave et de décidé dans le rôle de Humbug. Prendre en main la cause des honnêtes gens contre tous les fripons dont le monde regorge, être chaque jour en chasse, et poursuivre sans relâche le vol, l'injustice, le mensonge, c'est quelque chose cependant. Un peuple qui compte de pareils hommes n'est pas un peuple ordinaire. Bah! me dis-je en chassant de vains scrupules, ceci est une exception. Le plus sage serait de supprimer tous les journaux; on dira que c'est supprimer le remède et non pas le mal; mais quand le mal est sans remède, on se résigne, et si l'on meurt, au moins meurt-on sans se plaindre. C'est un grand avantage... pour les médecins.

J'en étais là de mes réflexions, quand, au milieu de la rue, une voix m'appela, la voix de Suzanne. Elle approchait dans un cabriolet à deux roues que conduisait Martha. Le cheval avait le pied sûr, et Martha était une fille prudente qui se servait de la bride plus que du fouet; mais à l'angle de la rue Taitbout et de la rue du Helder, je me trompe, à l'angle de la septième et de la huitième avenue, il y a un terrible petit pavé, établi, je suppose, par quelque vétérinaire, car, depuis dix ans, il ne se passe pas de jour que des chevaux ne s'y abattent. Le coursier de Martha était prédestiné; en approchant de moi, la pauvre bête se mit soudain à genoux; Martha fut lancée pardessus la tête du cheval, Suzanne tomba dans mes bras, et du choc me jeta à terre et roula sur le sol avec moi.

Je me relevai furieux et couvert de poussière; Suzanne avait la figure égratignée; Martha était en sang :

Vous êtes blessée, Martha? m'écriai-je.

Non, monsieur, ce n'est rien, dit-elle; la droite de l'Éternel m'a soutenue; il n'y a que le bout du nez qui ait porté.

Et nous voilà tous deux occupés à dessangler et à relever le cheval. Quand l'animal fut attelé: - Pardieu! m'écriai-je, c'est une honte qu'une administration municipale souffre depuis dix ans un pareil casse-cou à ma porté, dans l'une des rues les plus fréquentées de la ville. Et de rage je rentrai au bureau du journal.

Docteur, qu'avez-vous? dit Humbug toujours riant; avez-vous déjà commencé la lutte électorale avec Fox. A en juger par votre habit, vous n'avez pas eu le dessus.

Ce que j'ai, dis-je; c'est qu'il est abominable que depuis dix ans on laisse un pavé dans un état pareil; c'est que mon cheval vient de s'abattre, c'est que ma fille est blessée au visage, c'est que la cuisinière a manqué se tuer; je suis furieux, je veux me plaindre, je demande justice. Nous sommes à Paris en Amérique, je l'obtiendrai. La publicité mettra tout le monde avec moi. Donnez-moi une plume et de l'encre, que je vous adresse une lettre sévère, où je traiterai l'administration comme elle le mérite.

dollar.

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Voici ce que vous désirez, dit Humbug; et voici de plus un

Un dollar? Pour quoi faire?

Nous payons toujours un dollar à ceux qui nous apportent un fait divers; ne faites pas la petite bouche, docteur; gardez-le et faites-le encadrer avec la date. Il vous rappellera que la presse est la voix de tous, et que vous avez compris cette grande vérité le jour où vous avez souffert.

Humbug, répondis-je, ces paroles que vous jetez au vent, avec votre légèreté ordinaire, ont plus de portée que vous ne pensez; je ne les oublierai point. En lisant mon journal le matin, chaque plainte me rappellera une souffrance qui demain peut-être sera la mienne, un mal que je puis secourir ou prévenir en m'associant au cri public.

Bravo, docteur, vous êtes un grand philosophe. Quand vos yeux s'ouvrent, vous criez: Et lux facta est. Il n'importe; vous vous apercevrez bientôt d'une autre vérité non moins grande : c'est qu'en fin de compte la liberté de la presse ne profite guère qu'aux honnêtes gens. Cela suffit pour nous apprendre quels sont ses ennemis.

RENÉ LEFEBVRE.

(La suite prochainement.)

LA PRODUCTION

DES MÉTAUX PRÉCIEUX

EN CALIFORNIE'.

Depuis quelque temps, la Californie ne faisait plus parler d'elle : on la disait devenue raisonnable, insignifiante et rangée. Comme ces fils de famille qui, après avoir étourdi un moment nos capitales de leurs prodigalités, vont sagement s'enterrer au milieu de leurs fermes, pour fumer leurs luzernes, drainer leurs betteraves, croiser leurs durhams et leurs leicesters en vue du comice agricole de l'arrondissement, la Californie faisait de l'agriculture et du jardinage. Dernièrement, elle envoyait vendre à Londres ses blés, malgré l'énorme distance qui les renchérit de 100 pour 100. Ce n'était plus, disait-on, qu'un pays comme tous les pays du monde, avec des tribunaux, des théâtres et des prisons, des grandes routes et des diligences, des rues pavées et des trottoirs, des percepteurs et des agents de police. Elle semblait, du cycle légendaire de l'âge d'or, être entrée, de plein saut, dans la phase prosaïque du travail bourgeois.

Trompeuse bonhomie! la Californie est toujours l'Eldorado. Elle fait du blé par caprice et de l'or par vocation: au fond de ses sacs de farine il doit y avoir des pépites. Sournoisement et sans bruit elle soutient sa production précieuse et tend à l'accroître. En ce moment elle l'organise en chantiers gigantesques. Elle a de l'or par montagnes, et ces montagnes, elle se met à les laver en y faisant passer des fleuves. Voilà d'ailleurs que toutes les ambitions lui viennent et lui réussissent. A côté de l'or, elle a voulu avoir de l'argent; elle en a plus que le Fotose, dit-on. Elle a voulu du mercure; elle en a, à rien, — plus que tout l'ancien monde n'en produit. Et nous ne sommes pas au bout: tous les ans de nouveaux gîtes se découvrent.

1. Rapport à S. E. M. le Ministre des travaux publics. Par M. P. Laur, ingénieur au corps impérial des mines.

Le péril de la richesse universelle devient plus menaçant que jamais. Caveant consules!

C'est un jeune ingénieur des mines, M. P. Laur, qui vient de nous révéler ces secrets du nouveau monde, dans un petit ouvrage très-curieux, qui, tout incomplet qu'il est, renferme infiniment plus de renseignements qu'on ne nous en avait jamais donné, et qui jette un jour tout nouveau sur une de nos plus graves questions économiques.

Dans le courant du mois de novembre 1859, le bruit se répandit en Europe que de riches minerais d'argent avaient été découverts en Californie. Ces mines étaient situées dans une région éloignée et déserte où tout était à créer; mais la puissance des filons était, disaiton, très-considérable et leur richesse telle qu'ils rendaient 20 à 30,000 fr. à la tonne. Ces nouvelles, bientôt suivies par l'arrivée de plusieurs tonnes de minerais extrêmement riches en effet, eurent pour premier résultat de faire disparaître la prime offerte à l'argent sur les places de Paris et de Londres. Le ministre des travaux publics chargea M. Laur d'aller reconnaître l'importance de ces nouveaux gisements. Après avoir passé les mois de septembre, octobre et novembre 1860 à explorer, sur 300 kilom. du nord au sud et 150 kilom. de l'est à l'ouest, le pays des Indiens Washoe où sont situées ces mines, M. Laur repassa la Sierra Nevada californienne, pour étudier pendant deux mois l'exploitation de l'or en Californie, exploitation bien différente aujourd'hui de ce qu'elle a été à ses débuts; puis il alla visiter, dans les montagnes qui bordent l'océan Pacifique, d'autres mines aussi intéressantes au moins que l'argent, celles qui donnent le mercure. Nous allons d'abord résumer en quelques pages le résultat des observations du jeune et savant ingénieur; puis nous essayerons d'indiquer les conséquences économiques très-importantes qu'on est en droit d'en déduire.

Commençons par l'or: c'est un honneur qui est dû au roi des métaux. Une grande vallée longitudinale parcourt la Californie du sud au nord; elle est comprise entre deux chaînes de montagnes, la chaîne du Coast Range à l'ouest, qui a une hauteur moyenne de 5 à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, et la chaîne de la Sierra Nevada, qui s'élève de 3,000 à 3,500 mètres. Deux fleuves, le

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