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appartenant à une Église ou religion, ne peut être obligée, par les préposés ou ministres de cette société, à un acte de culte, ou à observer les jours de fêtes ou de repos usités dans cette société. » L'article 61 statue spécialement que les préposés d'une Église ne peuvent avoir sur ses membres qu'une juridiction restreinte aux affaires de foi et de conscience. Le pouvoir pénal des préposés consiste uniquement dans la privation d'avantages religieux. Les membres d'aucune Église ne peuvent être obligés à prendre part au culte d'une autre, et tenus à chômer les fêtes d'une religion qui n'est pas la leur. La force et la ruse sont interdites au prosélytisme religieux.

On peut résumer l'esprit qui anime l'édit de religion en un mot : l'État se garde. C'est ce qui explique pourquoi, à côté de chaque concession libérale, nous trouvons une restriction contre l'abus qu'on pourrait en tirer. La loi, dans son ensemble, n'est absolument qu'une mesure de défense, et la seule qui soit efficace. Le parti ultramontain et les hommes à demi-mesures voudraient satisfaire les exigences publiques par une révision du concordat opérée de concert avec la cour de Rome; mais cette voie n'aboutirait à rien. L'État doit lui-même fixer des bornes à l'Église et ne pas se les laisser imposer. Il doit rester le maître de les reculer ou de les rapprocher, suivant les idées prédominantes en matière de liberté. Une loi laisse à l'État les mains libres, et ouvre par conséquent la porte aux changements et aux progrès de la liberté; un concordat, au contraire, lie l'État, et donne le caractère de l'inviolabilité à un fait moral, susceptible de modifications incessantes et souvent impossibles à prévoir.

A vrai dire, la position défensive est celle de l'État dans les pays catholiques. Les efforts de l'Église y sont partout les mêmes, seule, ment ses chances de réussite sont diverses, et dépendent du degré de développemement de l'esprit public et de consolidation des principes de la société moderne. Mais dans ces États mêmes, en France, par exemple, combien n'est-on pas encore obligé de lutter contre les prétentions du clergé, soit en matière d'enseignement, soit contre les écarts de son prosélytisme? Tout ce que nos lois consacrent excite ses regrets. Il a réussi à faire supprimer le divorce par motif religieux, et on se souvient, il y a dix ans, de ses attaques contre le mariage civil; seulement, il existe en France une force de résistance qui né se retrouve pas partout au même degré; si elle venait à faiblir, nous verrions se produire en France exactement les mêmes prétentions qui ont été réalisées en Autriche il y a sept ans, car elles sont en

tout lieu les mêmes. Ce qui s'applique à la France peut se dire encore plus de la Belgique, où la législation la plus libérale du continent n'a pu empêcher la crise de 1857. Partout où l'État a voulu se développer, non pas contre l'Église, mais en dehors de l'Église, et se rendre indépendant de ses dogmes, il a trouvé dans le clergé ou plutôt dans l'épiscopat les résistances les plus aveugles et les plus passionnées. Les défenseurs les plus éclairés de la papauté, comme le chanoine Doellinger, trouvent la raison d'être du pontificat dans le fait qu'il veille à l'indépendance de l'Église. Il serait plus vrai de dire que dans le mouvement de concentration monarchique auquel nous assistons depuis cinquante ans dans l'Église, le pape devient de plus en plus le représentant des idées extrêmes. Il y a du reste un moyen assuré de vérifier quelles sont ses idées au sujet de ses rapports avec l'État : c'est d'examiner les concordats que le Saint-Siége a conclus ou voulu conclure depuis celui de 1817, où il chercha à revenir à l'égard de la France sur le concordat de 1801. Les concordats de 1818 conclus avec la Bavière et Naples étaient déjà une revanche éclatante des défaites subies dans les premières années du siècle. L'ultramontanisme actuel y était déjà nettement accusé. Mais, à cette époque, on était encore trop rapproché du dix-huitième siècle et des traditions du système épiscopal pour que la domination ultramontaine pût acquérir d'emblée son plein développement. Celui-ci se trouve dans le concordat de 1855 et dans les projets de concordats proposés au royaume de Wurtemberg et au grand-duché de Bade, et rejetés par les Chambres de ces deux États. Dans ces diverses conventions, les prétentions de l'Église en sont venues au point où leur acceptation n'est autre chose qu'une abdication de l'État. Les concordats des dernières années ne sont que la codification des doctrines de l'Univers et des écrivains ultramontains en général. C'est cette école qui règne véritablement aujourd'hui et qui trône sur le siége de saint Pierre.

Si l'on entend par concordat le concours de deux volontés, et leur adhésion à des concessions réciproques, on peut dire que l'Église s'éloigne toujours davantage de la possibilité d'en conclure. Aussi bien l'époque où ils ont commencé coïncide-t-elle avec le développement indépendant de l'État, et avec le refus de celui-ci de reconnaître pour règle de ses rapports avec Rome les prétentions illimitées du droit canonique. Le moyen âge ne connaissait pas les concordats, et toute convention de ce genre est par le fait une concession de l'Église faite aux circonstances. Aujourd'hui que la centralisation religieuse a

renforcé l'unité de direction, la papauté ne se refuse pas absolument à conclure des conventions avec l'État, mais elle prétend introduire dans les concordats les doctrines absolues qu'elle désigne sous le nom de libertés de l'Église. Les écrivains ultramontains les plus autorisés discutent même le principe qui est la base des concordats, en cherchant à diminuer la double donnée sur laquelle ils reposent. A leurs yeux, un concordat n'est ni une transaction ni un traité, mais un engagement pris par l'État de remplir ses devoirs vis-à-vis de l'Église, moyennant quoi celle-ci fait à l'État quelques concessions gracieuses, desquelles elle est libre de revenir. Cette manière de voir n'est pas encore officiellement professée par le Saint-Siége, mais la marche qu'il a suivie depuis l'époque de la Restauration l'y conduit directement.

L'État, de son côté, ne peut abdiquer sa mission. Il ne peut abandonner à l'Église le monopole de l'enseignement, les priviléges de juridiction, l'extension illimitée de la mainmorte, la négation de la liberté religieuse. Les exigences de la société moderne rendent cette abdication de plus en plus impossible. Si elle a lieu, comme en Autriche, elle ne peut être que momentanée; au bout de peu de temps,, l'État est forcé de ressaisir sa liberté d'action, et l'on se trouve dans une impasse.

On peut sans doute prévoir une solution de la difficulté le jour où l'Église aussi bien que l'État comprendront leur véritable rôle. L'État n'est pas la société, il en est le cadre; son but est de réaliser le droit de chacun, c'est-à-dire de garantir la libre action de l'individu et des personnes morales qui vivent et se meuvent au dedans de lui. Lorsque l'État en viendra à comprendre qu'il doit non pas faire vivre, mais laisser vivre; que plus il contient dans son sein d'organismes sociaux indépendants, mieux cela vaut pour lui, il aura accompli sa part de la tâche et réalisé pleinement sa mission. Mais la question est de savoir si l'Église se contenterait alors de la position qui lui serait faite; si elle voudrait se borner à n'être qu'un organisme social comme un autre, vivant dans sa propre sphère et n'entreprenant rien sur la libre action d'autrui. Jusqu'à présent, rien ne démontre qu'elle le ferait. On a trouvé, et c'est une idée juste qui se répand tous les jours davantage, le remède dans la séparation; mais cette séparation, l'Église y consentira-t-elle tant qu'elle n'aura pas transformé l'idéal qu'elle se fait de sa mission et de son organisation? Évidemment non; il faudra nécessairement la lui imposer, car l'État ne peut, dans la

situation actuelle, renoncer à se garder contre des usurpations qui ne manqueront jamais de se reproduire et seront une cause permanente de troubles dans la société.

Certains partisans de la séparation de l'Église et de l'État ont adopté ce principe uniquement de ce point de vue, que l'État usurpe sur l'Église. Tout ce qui restreint la liberté de celle-ci est à leurs yeux une usurpation de l'État. Ce serait admissible si l'on était d'accord avec l'Église sur ce qu'elle entend par liberté; mais on sait trop qu'elle ne sépare pas l'idée de liberté de celle de domination. Il faut donc, pour que la séparation soit possible avec son concours, que l'Église commence par réformer ses idées, qu'elle admette que l'État représente l'intérêt général et qu'elle ne représente qu'un but particulier; il faut qu'elle entre dans cet âge dont Chateaubriand annonçait il y a trente ans la venue, et qu'elle se dise que son temps politique est passé. Si elle veut la liberté pour elle, il faut absolument qu'elle la reconnaisse entièrement chez les autres. Le peut-elle? Lorsqu'il s'agit d'un organisme aussi puissant que l'Église catholique, prétendant représenter constamment la même idée, et la maintenir invariablement dans la société générale, on doit tout au moins, avant de trancher la question des rapports de l'Église catholique avec l'État, rechercher dans ses archives séculaires en quels termes l'Église détermine sa position. Or jamais nous ne rencontrons l'idée de séparation, mais bien celle de dualisme, duæ sint potestates a Deo constitutæ, ce qui est fort différent. Ce dualisme va jusqu'à l'opposition, mais nulle part nous ne rencontrons l'idée de la neutralité des deux pouvoirs à l'égard l'un de l'autre. L'Église, quien grande partie a créé le monde moderne, ne peut se résoudre à le lâcher. Le jour où elle consentira à la séparation pure et simple ou plutôt le jour où l'on la lui imposera, sera celui où elle sera réduite à l'impuissance, privée de sa part au budget. Cette impuissance de l'Église à sortir de son vrai rôle doit précéder tout changement dans les rapports actuels. C'est un point qu'il ne faut pas oublier lorsqu'on demande la séparation des deux pouvoirs. Pour que l'un soit libre, il faut que l'autre le soit également. Aux États-Unis l'Église catholique n'a rien à démêler avec l'État, mais sa position est assez subordonnée pour ne causer aucune inquiétude.

JULES GRENIER.

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CHAPITRE PREMIER.

UN SPIRITE AMÉRICAIN.

ÆGRI SOMNIA.*

« M. Jonathan Dream spirite et medium transcendantal, de Salem (Mass.), vous invite à la soirée psychique et médianimique qu'il donnera mardi 1er avril prochain, en son hôtel, rue de la Lune, no 33.

<< Somnambulisme, extase, vision, prévision, prophétie, seconde vue, vue à distance, divination, pénétration, soustraction de la pensée, évocations; conversation, poésie, écriture extra-naturelles; pensées d'outre-tombe, arcanes de la vie future dévoilés, etc., etc.

Portes fermées à huit heures précises.

- Pardieu, pensai-je en relisant cette lettre, je ne serais pas fàché de faire connaissance avec un medium américain, un confrère en pneumatologie positive et expérimentale; car moi aussi je suis spirite. On a beau n'être qu'un simple bourgeois de Paris, on a déjà, tout comme un autre, évoqué César, Napoléon, Voltaire, madame de Pompadour, Ninon, etc.; et même, s'il faut le dire, quoiqu'il en coûte à ma modestie, ces illustres personnages ne m'ont point éclipsé par leur génie; tous m'ont répondu comme si je les avais soufflés. Voyons si le seigneur Jonathan Dream, avec ses prétentions américaines, aura plus d'esprit, ou plus d'esprits que votre serviteur, Daniel Lefebvre, D. M. P., élève en spiritisme de M. Hornung de Berlin, de M. de Reichenbach et du baron de Guldenstubbe. A spirite, spirite et demi.

Dans un bel appartement, au fond d'un salon hermétiquement fermé, mais éclatant de lumières (ce qui n'est pas ordinaire dans nos réunions spirites), je trouvai M. Jonathan Dream assis devant une table ronde. Il avait le regard mélancolique et le visage inspiré des sibylles. En face de lui siégeaient une demi-douzaine d'adeptes, à l'air recueilli : gens nerveux, femmes incomprises, majors ou veuves

Tome X.

38 Livraison.

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