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Richmond. En cela, comme en tout ce qui concerne notre politique intérieure et extérieure, nous avons été réduits aux conjectures, et nous sommes condamnés à commenter des bruits d'antichambre. La chose, à ce qu'il paraît, ne nous regarde pas, la France étant le seul pays du monde où l'on pratique la vraie souveraineté du peuple! Chacun a donc interprété le voyage de M. Mercier dans le sens de ses propres espérances. En France comme en Amérique, on y a vu, selon les points de vue, une menace d'intervention en faveur du Sud, ou une déclaration d'hostilité contre la nouvelle confédération. Il est cependant fort probable que ces deux suppositions sont également erronées, et qu'il n'y a eu dans ce voyage qu'une tentative de médiation, un effort spontané en faveur de la paix et de la conciliation. Si c'était là le préliminaire d'une reconnaissance tardive de la confédération du Sud, il serait difficile d'admettre qu'on eût choisi, pour en fixer les conditions, l'homme qui nous représente à Washington. Ce serait un procédé gratuitement blessant pour le gouvernement des États-Unis, et peu conforme aux courtoises traditions françaises.

Les Anglais, qui sont un peuple beaucoup moins démocratique que nous, comme il nous plaît de le répéter sur tous les tons, savent du moins parfaitement à quoi s'en tenir sur les intentions de leur gouvernement envers les États-Unis, et ils emploient, pour les connaître, un moyen très-simple; ils le somment de s'expliquer, et, au besoin, ils l'y forcent. Grâce à ce moyen fort élémentaire mais efficace, on les. trouve toujours au courant des projets de l'oligarchie qui est censée les opprimer, et qui ne fait jamais rien sans leur autorisation. Ils ne parlent jamais de souveraineté du peuple, mais ils se font obéir. On sait donc, par le discours de M. Gladstone au parlement, que le cabinet anglais ne croit pas à la possibilité d'un arrangement entre le Nord et le Sud, c'est-à-dire qu'il souhaite que cet arrangement ne soit pas possible.

On comprend, en effet, que la scission définitive des États-Unis en deux républiques serait vue par l'Angleterre avec un contentement infini; mais tel est en ce pays l'empire qu'exerce l'opinion des hommes éclairés, qu'on peut prédire, presque à coup sûr, que les suggestions de l'intérêt ne prévaudront pas contre le respect du droit. La reconnaissance des États confédérés n'y serait donc acceptée que dans le cas invraisemblable où de nombreuses victoires l'imposeraient à l'Union elle-même. Or, cette éventualité est contredite par tous les renseignements qui nous parviennent, soit du Nord, soit du Sud. Le mouvement qui les a armés l'un contre l'autre est encore dans

une période ascensionnelle chez le premier, lorsque déjà il décroît chez le second. L'ardeur grandit tous les jours dans les États unionistes, les ressources de tout genre s'y multiplient avec une incroyable fécondité, tandis que les confédérés en sont déjà aux expédients du désespoir. Ce mot ne paraîtra pas trop fort à ceux qui connaissent l'esprit américain et qui ont lu le récent message du président Jefferson Davis au sujet de la conscription.

Que dire maintenant de notre expédition du Mexique? Que nous ne savons rien, comme toujours, des péripéties variées de cette mystérieuse affaire, que notre gouvernement a ses voies cachées, comme la Providence, et que nous attendons qu'il lui plaise de les dévoiler pour porter un jugement motivé sur le but et les résultats de l'expédition. Le seul fait à constater pour le moment, c'est que les puissances qui se sont proposé de régénérer le Mexique sont revenues à l'entente cordiale, après s'être véhémentement accusées les unes les autres de n'apporter dans cette œuvre philanthropique que des vues d'ambition personnelle. On ne sait pas si leur bonne harmonie durera longtemps encore, mais dans tous les cas il est heureux qu'elles se rendent plus de justice aujourd'hui; car si elles avaient d'elles-mêmes une si triste opinion, que devraient donc penser les Mexicains?

P. LANFREY.

DU COMMUNIQUÉ DE M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.

Nous n'avions guère l'intention, encore moins le désir, de répondre. au communiqué de M. le ministre de l'intérieur qu'on a pu lire dans le dernier numéro de ce recueil. On devine facilement pourquoi.. D'ailleurs les lecteurs de la Revue Nationale sont assez éclairés pour juger, sans plus de débats, entre nous et notre contradicteur.

Mais ce communiqué a été reproduit par différents journaux, et nous. ne pouvons laisser leurs lecteurs sous la fausse impression qu'ils peuvent en avoir reçue'. Ce n'est plus seulement la Revue Nationale qui est en jeu, c'est notre honneur qui est maintenant en cause, et nous devons le défendre, quoi qu'il puisse arriver.

Nous allons donc répondre au communiqué, et pour plus de clarté, nous allons le reproduire..

Le premier paragraphe n'est qu'une entrée où l'on nous jette l'injure en passant. Poursuivons sans plus d'attention. Nous copions:

« M. Charpentier prétend que M. le Ministre de l'Intérieur a rendu un arrêté qui maintient le monopole de MM. Hachette. D'après lui, il dépendrait donc de M. le Ministre de l'Intérieur d'accorder ou de refuser le monopole de la vente des livres dans les gares de chemins de fer.

a Voici la vérité :

« Le droit dont MM. Hachette et Ce jouissent se compose de deux éléments: fo Le contrat qu'ils ont passé avec les Compagnies de chemins de fer et en vertu duquel ils sont admis dans les gares;

« 2o L'autorisation pour la vente des livres estampillés donnée aux colporteurs de MM. Hachette et Ce par le préfet de police à Paris, et par les préfets dans les départements.

En ce qui concerne les traités conclus entre MM. Hachette et les Compagnies de chemins de fer, M. le Ministre a décidé ce qui ne peut être l'objet d'un doute (sic) que son administration n'a point à intervenir dans ces contrats qui ne sont nullement soumis à son appréciation.

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« Quant aux permissions de colportage, il appartient aux préfets de les accorder ou de les refuser. Ils ont usé régulièrement de leur droit. MM. Hachette, ayant seuls obtenu des Compagnies l'entrée dans les gares, pouvaient seuls solliciter l'autorisation administrative.

1. Le rédacteur du Journal de la Librairie, en reproduisant le communiqué dans sa feuille, n'a pas eu, comme la Presse et l'Opinion Nationale, la délicatesse d'y ajouter les quelques lignes dont nous l'avons fait suivre et qui pouvaient arrêter le jugement du lecteur.

<< Monsieur le Ministre de l'Intérieur s'est borné à notifier à MM. Hachette qu'il n'avait aucun motif de retirer l'autorisation qui leur avait été accordée en 1852 (sic). »

Il ressort bien de cet exposé qu'il ne dépendait pas de M. le ministre de l'intérieur d'accorder ou de refuser le monopole qu'exerce M. Hachette dans les gares des chemins de fer, non plus que de le lui retirer, puisqu'il tient ce monopole, ce droit, comme le désigne M. le Ministre (droit du monopole!!!) des Compagnies et des préfets. Quant à M. le Ministre de l'intérieur, la chose ne le concerne pas, et il s'en dégage.

Eh bien! cette doctrine, qui se produit pour la première fois, est complétement et radicalement détruite à l'avance par une masse de faits et de témoignages que M. le ministre ne peut ignorer, entre autres :

1. Par la demande d'autorisation de MM. Hachette, en date du 20 décembre 1852, au ministre de la police générale, dont les 'attributions font aujourd'hui partie du département de l'intérieur 2.

2o Par la réponse de ce même ministre de la police, en date du 17 mai 1853', et non 1852.

1. Voir Mémoire sur les bibliothèques des chemins de fer, par MM. Hachette et Cie. Paris, imprimerie Lahure, septembre 1861. Dans cet écrit on trouve, à la page 30, une lettre de ces Messieurs à M. le ministre de la police générale, où on lit le passage suivant : « Ignorant (sic) si pour l'établissement de nos dépôts dans les gares des chemins de fer, nous avons besoin de l'autorisation administrative, nous venons, monsieur le ministre, vous prier de vouloir bien nous éclairer à ce sujet et de nous accorder cette autorisation si elle est nécessaire. » Le mot ignorant qu'on remarque au début n'est sans doute placé là que pour masquer par son air d'innocence et de candeur la portée du but qu'on poursuivait déjà, car il est impossible de penser que MM. Hachette et Cie aient ignoré ce que le dernier de leurs employés sait parfaitement, à savoir, que le brevet accordé à un libraire ne l'autorise à exercer son industrie que dans un seul lieu.

2.

MONSIEUR,

Paris, 17 mai 1853.

Vous m'avez demandé l'autorisation d'établir dans les gares des différentes lignes des chemins de fer, des dépôts pour la vente d'ouvrages de librairie que vous avez l'intention de publier.

Aux termes de la loi, le brevet concédé à un libraire ne l'autorise à exercer son industrie, que dans un lieu déterminé; l'administration ne saurait donc sans enfreindre l'article 15 du règlement du 27 février 1723 et la loi du 21 octobre 1814, lui permettre de fonder sur plusieurs points de la France des succursales qui, pour être dépendantes d'une librairie centrale, n'en constitueraient pas moins autant d'établissements de

commerce.

Je regrette donc, sous ce rapport, de ne pouvoir donner suite à votre proposition.

3o Par les écrits et les aveux de M. Hachette lui-même1.

4o Par la Commission du colportage qui fonctionne au département de l'intérieur, sous la direction du même ministre qui nous donne si hardiment un démenti, puisque cette Commission nous a adressé, le 7 septembre 1864, à nous et à 1200 ou 1500 libraires et éditeurs français, une série de questions imprimées sur les effets du monopole Hachette, en nous engageant à y répondre, et en accompagnant ce questionnaire d'une lettre signée VICOMTE SERRurier,

Mais je suis disposé, monsieur, à vous autoriser à faire vendre par la voie de simple colportage, dans les différentes gares de chemins de fer, les livres que vous éditez, à la double condition que vos colporteurs seront, dans chaque département, munis d'une permission en règle délivrée par le préfet et que les ouvrages qu'ils vendront soient revêtus de l'estampille du ministère de la police générale.

Recevez, etc.

Le ministre de la police générale,
DE MAUPAS.

Comme on le voit par cette lettre qui est leur titre réel, celui qui leur a servi pour traiter avec les compagnies, MM. Hachette n'ont pas le droit de former des dépôts de leur librairie dans les gares; et cependant ils en ont, comme tout le monde le sait, plus de deux cents dans les lieux les plus fréquentés. Ils ne peuvent avoir une succursale de leur maison, même en face de leur porte, à Paris, de l'autre côté de la rue; mais ils en ont en France dans plus de deux cents endroits publics. Ce ne sont pas des dépôts ni des succursales, disent-ils, c'est du colportage, conformément à la lettre de M. le Ministre. Quoi! parce qu'on a changé le nom, on croit avoir changé la chose? on pense que personne ne la reconnaîtra plus sous la fausse étiquette qu'on y a mise? Des établissements fixés sur place, des bibliothèques où les livres sont rangés sur des rayons comme dans toutes les librairies, c'est du colportage? Des vendeurs permanents installés toute l'année, tout le jour, presque toute la nuit, dans les mêmes endroits, ce sont des colporteurs? Et l'on pense faire accepter cette hypocrite hyperbole?

1. Voir entre autres écrits: RÉPONSE DE MM. Hachette et Ce A LA DERNIÈRE NOTE DE M. CHAIX. Paris, imprimerie Lahure. Page 7, on y lit : « M. Chaix prétend que nos conventions avec les Compagnies ne peuvent être valables si le gouvernement ne les a autorisées. Nous répondons que le gouvernement les a connues, examinées, fait examiner par une COMMISSION qui les a AUTORISÉES, elc., etc.

Dans un autre écrit publié en septembre 1861, sous ce titre : Mémoire sur les blBLIOTHÈQUES DES CHEMINS DE FER, RÉDIGÉ PAR MM. HACHETTE ET C A L'OCCASION DE L'enquête ouverte par la CommiSSION DU COLPORTAGE, on lit, à la page 14, ces mots : ■ En approuvant les traités passés entre la maison Hachette et Co, M. le ministre de la police générale, » ctc., etc.

Dans les citations que nous venons de faire, il est question d'une Commission qui a examiné la demande de M. Hachette. C'est évidemment celle du colportage, au ministère de l'intérieur, puisque la chose rentrait dans ses attributions; or, c'est précisément cette même Commission qui la première a réclamé contre l'abus que fait M. Hachette de son autorisation, et personne, on en conviendra, n'est plus compétent qu'elle pour décider qu'il en est ainsi.

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