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la politique, puifque c'eft le propre de tout homme d'étendre fon autorité auffi loin qu'elle peut aller.

C'est par cette raifon que Charlemagne s'attribua la puiffance légiflative fur Venife & fur le Bénéventin, que l'empereur grec disputait, & qui par le fait n'appartenait ni à l'un ni à l'autre ; c'est par la même raifon que le duc ou doge de Venise Jean, ayant tué un évêque en 802, fut accufé devant Charlemagne. Il aurait pu l'être devant la cour de Conftantinople; mais ni les forces de l'Orient, ni celles de l'Occident ne pouvaient pénétrer dans ces lagunes; & Venife, au fond, fut libre malgré deux empereurs. Les doges payèrent quelque temps un manteau d'or en tribut aux plus forts; mais le bonnet de la liberté refta toujours dans une ville imprenable.

CHAPITRE X X V.

De la forme du gouvernement de Rome
fous Charlemagne.

C'EST

une grande queftion chez les politiques de favoir quelle fut précisément la forme du gouvernement de Rome, quand Charlemagne fe fit déclarer empereur par l'acclamation du peuple, & par l'organe du pontife Léon III. Charles gouverna-t-il en qualité de conful & de patrice, titre qu'il avait pris dès l'an 774? quels droits furent laiffés à l'évêque ? quels droits confervèrent les fénateurs qu'on appelait toujours patres confcripti? quels priviléges confervèrent les citoyens ? c'eft de quoi aucun écrivain ne nous

informe; tant l'hiftoire a toujours été écrite avec négligence.

Quel fut précisément le pouvoir de Charlemagne dans Rome? c'eft fur quoi on a tant écrit qu'on l'ignore. Y laiffa-t-il un gouverneur ? impofait-il des tributs? gouvernait-il Rome comme l'impératricereine de Hongrie gouverne Milan & Bruxelles? c'est de quoi il ne refte aucun veftige.

Je regarde Rome, depuis le temps de l'empereur Léon III l'ifaurien, comme une ville libre, protégée par les Francs, enfuite par les Germains; qui fe gouverna tant qu'elle put en république, plutôt fous le patronage que fous la puiffance des empereurs; dans laquelle le fouverain pontife eut toujours le premier crédit ; & qui enfin a été entièrement foumise aux papes.

Les citoyens de cette célèbre ville aspirèrent toujours à la liberté dès qu'ils y virent le moindre jour; ils firent toujours les plus grands efforts pour empêcher les empereurs, foit francs, foit germains, de réfider à Rome, & les évêques d'y être maîtres abfolus.

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C'eft-là le nœud de toute l'hiftoire de l'empire d'Occident depuis Charlemagne jufqu'à Charles-Quint. C'est le fil qui a conduit l'auteur de l'Essai fur les maurs &c. dans ce grand labyrinthe.

Les citoyens romains furent prefque toujours les maîtres du môle d'Adrien, de cette fortereffe de Rome appelée depuis le château St Ange, dans laquelle ils donnèrent fi fouvent un afile à leur évêque contre la violence des Allemands; de-là vient que les empereurs aujourd'hui, malgré leur titre de rois des Romains,

n'ont pas une feule maison dans Rome. Il n'eft même pas dit que Charlemagne fe mit en poffeffion de ce môle d'Adrien. Je demanderai encore pourquoi Charlemagne ne prit jamais le titre d'Augufte?

CHAPITRE

X X V I.

Du pouvoir papal dans Rome, & des patrices.

ON

N a vu depuis très-fouvent des confuls & des patrices à Rome qui furent les maîtres de ce château au nom du peuple. Le pape Jean XII le tenait comme patrice contre l'empereur Othon I. Le conful Crefcentius foutint un long fiége contre Othon III, & chaffa de Rome le pape Grégoire V qu'Othon avait nommé. Après la mort de ce conful, les Romains chaffèrent de Rome ce même Othon qui avait ravi la veuve du conful, & qui s'enfuit avec elle.

y

Les citoyens accordèrent une retraite au pape Grégoire VII dans ce môle, lorsque l'empereur Henri IV entra dans Rome par force en 1083. Ce pontife si fier n'ofait fortir de cet afile. On dit qu'il offrit à l'empereur de le couronner en fefant defcendre fur fa tête du haut du château une couronne attachée avec une ficelle; mais Henri IV ne voulut point de cette ridicule cérémonie. Il aima mieux fe faire couronner par un nouveau pape qu'il avait nommé lui-même.

Les Romains confervèrent tant de fierté dans leur décadence & dans leur humiliation, que quand Frederic Barberouffe vint à Rome en 1155 pour s'y faire couronner, les députés du peuple qui le reçurent à la

porte lui dirent: Souvenez-vous que nous vous avons fait citoyen romain d'étranger que vous étiez.

Ils voulaient bien que les empereurs fuffent couronnés dans leur ville; mais d'un côté ils ne fouffraient pas qu'ils y demeuraffent, & de l'autre ils ne permirent jamais qu'aucun pape s'intitulât fouverain de Rome: & jamais en effet on n'a frappé de monnaie fur laquelle on donnât ce titre à leur évêque.

En 1114 les citoyens élurent un tribun du peuple; & le pape Lucius II, qui s'y oppofa, fut tué dans

le tumulte.

Enfin les papes n'ont été véritablement maîtres à Rome que depuis qu'ils ont eu le château St Ange en leur pouvoir. Aujourd'hui la chancellerie allemande regarde encore l'empereur comme l'unique fouverain de Rome; & le facré collège ne regarde l'empereur que comme le premier vaffal de Rome, protecteur du St Siége. Telle eft la vérité qui est développée dans l'Effai fur les mœurs &c.

Le fentiment de l'auteur que je cite eft donc que Charlemagne eut le domaine fuprême, & qu'il accorda au St Siége plufieurs domaines utiles dont les papes n'eurent la fouveraineté que très-long-temps après.

CHAPITRE XX VII.

Sottife infame de l'écrivain qui a pris le nom de Chiniac la Baftide du Claux, avocat au parlement de Paris.

APRÈS cet expofé fidelle, je dois témoigner ma furprise de ce que je viens de lire dans un commentaire nouveau du difcours du célèbre Fleuri fur les libertés de l'Eglife gallicane. Je vais rapporter les propres paroles du commentateur, qui fe déguife fous le nom de maître Pierre de Chiniac de la Baflide du Claux, avocat au parlement. Il n'y a point affurément d'avocat qui écrive de ce style. (1)

Si on ne confultait que les Voltaire & ceux de fon ,, bord, on ne trouverait en effet que problèmes & " qu'impoftures dans nos hiftoriens. Enfuite cet aimable & poli commentateur, après avoir attaqué les gens de notre bord avec des complimens dignes en effet d'un matelot à bord, croit nous apprendre qu'il y a dans Ravenne une pierre caffée, fur laquelle font gravés ces mots : Pipinus pius primus amplificandæ Ecclefia viam aperuit, & exarchatum Ravenna cum ampliffimis.... "Le pieux Pepin ouvrit le premier le chemin d'agrandir ,, l'Eglife, & l'exarchat de Ravenne avec de très-grands..

(1) L'avocat Chiniac est un personnage très-réel ; mais quoique ce zélė defenfeur de l'Eglife janfenifte ait effuyé une accufation juridique d'adultère, & que ces procès faffent toujours rire ; il n'en est pas plus connu, & n'a jamais pu réussir à occuper le public ni de fes ouvrages, ni de fes

aventures.

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