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après vous sur la terre une vie désormais sans illusions et pleine de regrets.

Mais pourquoi parlerois-je du jugement de Louis XVI? Qui en ignore les circonstances? Qui ne sait que tout fut inutile contre un torrent

lui. Il me sembloit que je devenois plus fort et plus libre en présence de cet homme vertueux, qui au milieu de la corruption des cours avoit su conserver dans un rang élevé l'intégrité du cœur et le courage du patriote. Je me rappellerai longtemps la dernière entrevue que j'eus avec lui. C'étoit un matin; je le trouvai par hasard seul chez sa petite-fille. Il se mit à me parler de Rousseau avec une émotion que je ne partageois que trop. Je n'oublierai jamais le vénérable vieillard voulant bien condescendre à me donner des conseils, et me disant : « J'ai tort de vous entretenir de ces choses-là; je devrois plutôt vous engager à modérer cette chaleur d'âme qui a fait tant de mal à votre ami (J. J.). J'ai été comme vous, l'injustice me révoltoit; j'ai fait autant de bien que j'ai pu, sans compter sur la reconnoissance des hommes. Vous êtes jeune, vous verrez bien des choses; moi j'ai bien peu de temps à vivre. » Je supprime ce que l'épanchement d'une conversation intime et l'indulgence de son caractère lui faisoient alors ajouter. De toutes ses prédictions, une seule s'est accomplie je ne suis rien, et il n'est plus. Le déchirement de cœur que j'éprouvai en le quittant me sembla dès lors un pressentiment que je ne le reverrois jamais.

M. de Malesherbes auroit été grand si sa taille épaisse ne l'avoit empêché de le paroître. Ce qu'il y avoit de très-étonnant en lui, c'étoit l'énergie avec laquelle il s'exprimoit dans une vieillesse avancée. Si vous le voyiez assis sans parler, avec ses yeux un peu enfoncés, ses gros sourcils grisonnants et son air de bonté! vous l'eussiez pris pour un de ces augustes personnages peints de la main de Le Sueur. Mais si on venoit à toucher la corde sensible, il se levoit comme l'éclair; ses yeux à l'instant s'ouvroient et s'agrandissoient: aux paroles chaudes qui sortoient de sa bouche, à son air expressif et animé, il vous auroit semblé voir un jeune homme dans toute l'effervescence de l'âge; mais à sa tête chenue, à ses mots un peu confus, faute de dents pour les prononcer, vous reconnoissiez le septuagénaire. Ce contraste redoubloit les charmes que l'on trouvoit dans sa conversation, comme on aime ces feux qui brûlent au milieu des neiges et des glaces de l'hiver.

M. de Malesherbes a rempli l'Europe du bruit de son nom; mais le défenseur de Louis XVI n'a pas été moins admirable aux autres époques de sa vie que dans les

Rosambo, âgée de vingt-deux ans, sa grand'mère, Mme la présidente de Rosambo, et son aïeul M. de Malesherbes, ont tous été guillotinés ensemble le même jour, à la même heure. J'appris cette catastrophe par la gazette, lorsque j'étois à faire mon triste dîner. Et comme on ne me connoissoit pas par mon vrai nom, l'Anglois qui lisoit le papier lut les noms avec indifférence, sans se douter du mal qu'il me faisoit. J'eus assez de courage pour ne pas m'écrier, mais je fus obligé de me retirer.

Note de l'exemplaire confidentiel. - Il me disoit une autre fois : « Nous ne nous ferons jamais à la cour; » et il avoit raison. Une autre fois encore il me disoit : « Condorcet a été mon ami, mais à présent je ne me ferois aucun crime (sic) de l'assassiner. » Je n'ai pas rapporté ce mot, parce que les honnétes gens en auroient été scandalisés. O petits hommes!

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de crimes et de factions? Agis, Charles et Louis périrent avec tout l'appareil et toute la moquerie de la justice. Laissons d'Orléans observer son roi et son parent, la lorgnette à la main, et prononçant la mort, à l'effroi même des scélérats. Fions-nous-en à la postérité, dont la voix tonnante gronde déjà dans l'avenir; à la postérité, qui, juge incorruptible des âges écoulés, s'apprête à traîner au supplice la mémoire pâlissante des hommes de mon siècle.

Le fatal 21 de janvier 1793 se leva, pour le deuil éternel de la France. Le monarque, averti qu'il falloit mourir, se prépara avec sérénité à ce grand acte de la vie : sa conscience étoit pure et la religion lui ouvroit les cieux. Mais que de liens il avoit eu auparavant à rompre sur la terre! Louis avoit vu son épouse, il avoit vu aussi sa fille et son jeune fils qui couroit parmi les gardes en demandant la grâce de son père : tant d'angoisses ne déchirèrent jamais le cœur d'un homme.

L'heure étoit venue. Le carrosse attendoit à la porte. Louis descendit avec son confesseur. Il ne put s'empêcher, dans la cour, de jeter un regard vers les fenêtres de la reine, où il ne vit personne : ce regard-là dut peindre bien de la douleur. Cependant le roi étoit monté dans la voiture, qui rouloit lentement au milieu d'un morne silence; Louis, répétant avec son confesseur les prières des agonisants, savouroit à longs traits la mort. Il arrive enfin à la place où l'instrument de destruction étoit élevé à la vue du palais de Henri IV. Louis, descendu de la voiture, voulut au moins protester de son innocence: « Vous n'êtes pas ici pour parler, mais pour mourir, » lui dit un barbare. Ce

derniers instants qui l'ont si glorieusement couronnée. Patron des gens de lettres, le monde lui doit l'Émile, et l'on sait que c'est le seul homme de cour, le maréchal de Luxembourg excepté, que Jean-Jacques ait sincèrement aimé. Plus d'une fois il brisa les portes des bastilles; lui seul refusa de plier son caractère aux vices des grands, et sortit pur des places où tant d'autres avoient laissé leur vertu. Quelques-uns lui ont reproché de donner dans ce qu'on appelle les principes du jour. Si par principes du jour on entend haine des abus, M. de Malesherbes fut certainement coupable. Quant à moi, j'avouerai que s'il n'eût été qu'un bon et franc gentilhomme, prêt à se sacrifier pour le roi son maître et à en appeler à son épée plutôt qu'à sa raison, je l'eusse sincèrement estimé, mais j'aurois laissé à d'autres le soin de faire son éloge. Je me propose d'écrire la vie de M. de Malesherbes, pour laquelle je rassemble depuis longtemps des matériaux. Cet ouvrage embrassera ce qu'il y a de plus intéressant dans le règne de Louis XV et de Louis XVI. Je montrerai l'illustre magistrat mêlé dans toutes les affaires du temps. On le verra patriote à la cour, naturaliste à Malesherbes, philosophe à Paris. On le suivra au conseil des rois et dans la retraite du sage. On le verra écrivant d'un côté aux ministres sur des matières d'État, de l'autre entretenant une correspondance de cœur avec Rousseau sur la botanique. Enfin, je le ferai voir disgracié par la cour pour son intégrité, et voulant porter sa tête sur l'échafaud avec son souverain.

• Qu'en disent les accusateurs de l'Essai? est-ce là le révolutionnaire? (N. ÉD.)

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fut alors que l'on vit un des meilleurs rois qui aient jamais régné sur la France, lié sur une planche ensanglantée, comme le plus vil des scélérats, la tête passée de force dans un croissant de fer et attendant le coup qui devoit le délivrer de la vie et comme s'il ne fût pas resté un seul François attaché à son souverain, ce fut un étranger qui assista le monarque à sa dernière heure, au milieu de tout son peuple. Il se fait un grand silence : « Fils de saint Louis! vous montez aux cieux,» s'écrie le pieux ecclésiastique en se penchant à l'oreille du monarque. On entend le bruit du coutelas qui se précipitea.

Ceux qui aiment les libertés publiques en sont-ils moins attachés à leurs princes et moins fidèles au malheur?

Il reste un étrange monument du courage de Louis XVI; monument pour ainsi dire aussi infernal que le testament de ce monarque est divin: le ciel et l'enfer se sont entendus pour louer la victime. Je veux parler de la lettre de Sanson, bourreau de Paris. L'original même de cette lettre m'a été confié par mon digne et honorable ami M. le baron Hyde de Neuville, l'homme des sacrifices à la royauté, si bien traité par les ministres du roi. J'ai tenu, je tiens encore dans ce moment même ce papier sur lequel s'est traînée la main sanglante de Sanson, cette main qui a osé toucher la tête de mon roi, qui a fait tomber cette tête sacrée et l'a présentée au peuple épouvanté.

La lettre de Sanson a été donnée par celui qui en étoit propriétaire à M. Tastu, imprimeur, qui a très-noblement refusé de la vendre à des étrangers, quelque prix qu'ils en aient offert. C'est un monument de remords, de douleur, de gloire et de vertu, qui appartient à la France : c'est un papier de famille qui doit rester au trésor des chartes, dans les archives de la maison de Bourbon. Peu de jours avant la clôture de la dernière session, M. Aimé Martin, secrétaire-rédacteur de la chambre des députés, homme aussi connu par ses talents comme écrivain que par ses sentiments comme royaliste, parla de la lettre de M. Sanson à M. le baron Hyde de Neuville. Celui-ci fut d'abord saisi d'horreur; mais bientôt en lisant la lettre il n'y vit plus que le dernier rayon mis à la couronne du roi-martyr.

M. Hyde de Neuville avoit plus qu'un autre des droits à devenir l'un des instruments de la Providence pour la plus grande manifestation de cette lettre. On sait à quels dangers il fut exposé pendant le procès du roi. Ce fut appuyé sur le bras de ce fidèle sujet que M. de Malesherbes quitta la barre de la Convention, après être venu pour la dernière fois implorer les bourreaux de Louis XVI. Vingt années de périls ont succédé à cet acte de courage. Et où étoient ceux qui frappent aujourd'hui mon honorable ami?

Aucun doute ne peut s'élever sur l'authenticité de la lettre de Sanson: l'écriture et la signature de cet homme sont trop connues; il a certifié conforme la plupart de nos crimes et de nos malheurs. D'ailleurs cette lettre a été imprimée dans un journal révolutionnaire du temps, appelé Le Thermomètre du jour, et, autant qu'il m'en souvient, elle fut répétée dans le journal de Peltier à Londres.

Voici l'article du Thermomètre; il est du 13 février 1793, no 410, p. 356. Cette dernière partie de l'historique de la lettre de Sanson a été fournie par M. Aimé Martin. L'article du Thermomètre a pour titre : Anecdote très-exacte sur l'exécution de Louis Capet; et on lit ce qui suit :

« Au moment où le condamné monta sur l'échafaud (c'est Sanson l'exécuteur des

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