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robe la dessine; le manteau de canevas se suspend à ses épaules; sa tête s'enveloppe du kerchef, dont les extrémités, ramenées autour de son sein et passant sous ses bras, flottent au loin derrière elle. Le Druide, sur le Cromleach, se tient au milieu, en blanc sagum, un couteau d'or à la main, portant au cou une chaîne et aux bras des bracelets de même métal: il brûle avec des mots magiques quelques feuilles du gui sacré, cueilli le sixième jour du mois, tandis que les eubages préparent dans la claie d'osier la victime humaine, et que les bardes, touchant foiblement leurs harpes, chantent à demi-voix dans l'éloignement Odin, Thor, Tuisco et Hela1a.

Le grand corps des Celtes se divisoit en une multitude de petits États, gouvernés par des iarles, ou chefs militaires. La partie politique et civile étoit abandonnée aux druides 2.

Cet ordre célèbre semble avoir existé de toute antiquité, et quelques auteurs même en ont fait la source d'où découlèrent les sectes sacerdotales de l'Orient3. Il se partageoit en trois branches : les druides, dépositaires de la sagesse et de l'autorité; les bardes, rémunérateurs des actions des héros; les eubages, veillant à l'ordre des sacrifices'. Ces prêtres enseignoient l'immortalité de l'âmes, la récompense des vertus, le châtiment des vices, et un terme de la nature fixé pour un général bonheur 7. Plusieurs nations ont cru dans ce dernier dogme, qui tire sa source de nos misères. L'espérance peut nous faire oublier nos maux, mais comme une liqueur enivrante qui nous tue.

Ce n'est pas ici le lieu de nous étendre sur les mœurs, les lumières, les coutumes des nations barbares, elles fourniront ailleurs un chapitre intéressant. A présent notre description formeroit un anachronisme, ce que nous savons d'elles étant postérieur au règne de Xerxès. Nous devons seulement montrer que les révolutions de la Grèce étendirent leur influence jusque sur ces peuples sauvages.

Une colonie phocéenne, pleine de l'amour de la liberté, qu'elle ne pouvoit conserver sur les rivages de l'Asie, chercha l'indépendance sous un ciel plus propice, et fonda dans les Gaules l'antique Marseille.

1. Vid. CES., De Bell. Gall.; TACIT., De Mor. Germ., LUCAN.; STRABO; HENRY'S, Hist. of Engl.; View of the dress of the People of Engl.; Puffend., De Druid.; PELLOUTIER, Lettres sur les Celtes; OSSIAN'S Poew.; les deux Edda.

a Voyez le livre des Gaules; et Velléda, dans Les Martyrs; mais à quoi bon tout cela dans l'Essai? (N. ED.)

2. CES., de Bell. Gall., lib. vI, cap. XIII; TACIT., de Mor. Germ., cap. vi.

3. LAERT., lib. 1.

4. DIOD. SIC., lib. v, p. 308; STRABO, lib. IV.

5. Cæs., De Bell. Gall., cap. xIv; VAL. MAX., lib. 1, cap vi.

6. Les deux Edda; SÆMUNDUS, Snorro, trad. lat.
7. SEMUNDUS, Snorro, trad. lat.; STRABO, lib. IV, p. 302.

8. L'an de Rome 165.

Bientôt les lumières et le langage de ces étrangers se répandirent parmi les druides1. Il seroit impossible de suivre dans l'obscurité de l'histoire les conséquences de ces innovations, mais elles durent être considérables; nous savons que souvent la moindre altération dans le costume d'un peuple suffit seule pour le dénaturer.

Sans recourir aux conjectures, l'établissement des Phocéens dans les Gaules devint une des causes secondaires de l'esclavage de ces derniers. Fidèles alliés des Romains, les Marseillois ouvroient une porte aux armées des Césars et une retraite assurée en cas de revers 2. Leur connoissance du pays, leur courage, leurs lumières, tout tournoit au désavantage des peuples Galliques3. C'est ainsi que les hommes sont ordonnés les uns aux autres. Les fils de leurs destinées viennent aboutir dans la main de Dieu; l'un ne sauroit être tiré sans que tous les autres soient mus. Je finirai cet article par une remarque.

Les Marseillois, différents d'origine des autres peuples de la France, ont aussi un caractère à eux. Ils semblent avoir conservé le génie factieux de leurs fondateurs, leur courage bouillant et éphémère, leur enthousiasme de liberté. On nie maintenant le pouvoir du sang, parce que les principes du jour s'y opposent; mais il est certain que les races d'hommes se perpétuent comme les races d'animaux. C'est pourquoi les anciens législateurs vouloient qu'on n'élevât que les enfants forts et robustes, comme on prend soin de ne nourrir que des coursiers belliqueux.

CHAPITRE XXXIX.

L'ITALIE.

L'Italie à l'époque de la révolution républicaine en Grèce étoit, ainsi que de nos jours, divisée en plusieurs petits États à peu près

1. STRABO, lib. iv, p. 181. L'auteur cité prétend que les Gaulois furent instruits dans les lettres par les Marseillois. Du temps de Jules César les premiers se scrvoient des caractères grecs dans leurs écrits. (De Bell. Gall., lib. vi, cap. xш.)

2. Liv., lib. XXI.

3. Comme au passage d'Annibal dans les Gaules. (Voyez TITE-LIVE, à l'endroit cité.) L'attachement de la république de Marseille pour les Romains, les différents services qu'elle leur rendit, tout cela est trop connu pour exiger plus de détails. (Voy. Liv., CES., POLYB., etc.)

a Cela est vrai; mais aussi ces races s'appauvrissent, s'usent et dégénèrent comme les races d'animaux. (N. ÉD.)

semblables de moeurs et de langage. Nous les considérerons à la fois, pour éviter les détails inutiles.

La constitution monarchique régnoit généralement chez tous ces peuples1.

Leur religion ressembloit à celle des Grecs; ils y ajoutèrent l'art des augures 2.

Leurs costumes n'étoient pas sans luxe, leurs usages sans corruption 3; l'un et l'autre y avoient été introduits par les cités de la GrandeGrèce.

Déjà ces nations comptoient quelques philosophes :

Tagès, le plus ancien d'entre eux, fut un imposteur, ou un insensé, qui inventa la science des présages".

Un autre auteur, inconnu, écrivit sur le système de la nature. Il disoit que le monde visible mit soixante siècles à éclore avant d'être habité, qu'il en dureroit encore soixante avant de se dissoudre, fixant à douze mille ans la période complète de son existence".

En politique, Romulus et Numa avoient brillé; Plutarque a comparé celui-là à Thésée, et celui-ci à Lycurgue. Le premier parallèle est aussi heureux que le second semble intolérable. Qu'avoient de commun les lois théocratiques du roi de Rome avec les institutions sublimes du législateur de Sparte 7? Plusieurs philosophes se sont enthousiasmés de Numa sur la seule idée qu'il étudia sous Pythagore. La chronologie a prouvé un intervalle de plus d'un siècle entre l'existence de ces deux sages. Que devient le mérite du premier? Il y a beaucoup d'hommes qu'on cesseroit d'estimer si on pouvoit ainsi relever toutes les erreurs de compte.

1. Liv., lib. 1, no 15; VELLEI., PATERC., lib. 1, cap. ix; lib. v, no 1; Maccu., Istor. Fior., lib. 1; DENINA, Istor, del. Ital.

2. OVID., Metam. ; lib. xv, v. 558.

3. Au siècle le plus vertueux de Rome, le fils du grand Cincinnatus fut accusé de fréquenter le quartier des courtisanes. On connoit le luxe du dernier Tarquin. (Voy. TITE-LIVE.)

4. OVID., loc. cit.

5. SUID., verb. Tyrrhen., p. 519.

A la longueur des périodes près, ce système rappelle celui de Buffon. (Voy. Theor. de la Terre.)

6. In Vit. Romul., Thes., etc.

7. La preuve du vice de ces lois, c'est qu'elles furent renversées cent années après, et que le sénat dans la suite fit brûler les livres de Numa retrouvés dans son tombeau.

* J'ai considérablement rabattu de mon admiration pour les lois de Lycurgue tout ce qui blesse les lois naturelles a quelque chose de faux. Quant à Numa, mon philosophisme ne me permettoit pas alors de le traiter mieux. (N. éd.)

CHAPITRE XL.

INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION GRECQUE SUR ROME.

A l'époque de l'établissement des républiques en Grèce, une grande révolution s'étoit pareillement opérée en Italie. L'année qui vit bannir le tyran de l'Attique vit aussi tomber celui du Latium1. Que si l'on considère les conséquences de ces deux événements, cette année passera pour la plus fameuse de l'histoire.

La réaction du renversement de la monarchie à Athènes fut vivement sentie à Rome. Brutus avoit été envoyé par Tarquin vers l'oracle de Delphes à l'époque de la chute d'Hippias. Je ne puis croire que le cœur du patriote ne battit pas avec plus d'énergie lorsqu'en sortant de son pays esclave il mit le pied sur cette terre d'indépendance. Le spectacle d'un peuple en fermentation et prêt à briser ses fers dut porter la flamme dans le sang du magnanime étranger. Peut-être au récit de la mort d'Harmodius, racontée par quelque prêtre du temple, le front rougissant de Brutus dévoila-t-il toute la gloire future de Rome. I retourna au bord du Tibre, non vainement inspiré de cet esprit qui agite une foible Pythie, mais plein de ce dieu qui donne la liberté aux empires et ne se révèle qu'aux grands hommes.

Rome dans la suite eut encore recours à la Grèce, et les Athéniens devinrent les législateurs du premier peuple de la terre3. Ceci tient à l'influence éloignée de la révolution dont je parlerai ailleurs.

Mais la politique verbeuse de l'Attique, qui entroit en Italie par le canal de la Grande-Grèce, trouva une barrière insurmontable dans l'heureuse ignorance des peuples de l'intérieur. Le citoyen, accoutumé aux exercices du champ de Mars, à l'obéissance des lois et à la crainte des dieux, n'alloit point dans des écoles de démagogie apprendre à

1. PLIN., lib. xxxiv, cap. IV.

2. Tite-Live, qui rapporte ce voyage, n'en marque pas la durée; mais il dit que Brutus trouva à son retour les Romains se préparant à aller assiéger Ardée. Or, Tarquin fut chassé de Rome dans les premiers mois de cette entreprise. Hippias ayant quitté l'Attique l'année même de la mort de Lucrèce, il résulte que Brutus avoit fait le voyage de Delphes entre l'assassinat d'Hipparque et la retraite d'Hippias, c'est-àdire entre la soixante-sixième et la soixante-septième olympiade *.

* Ces sentiments prouvent que ce n'est pas l'esprit d'opposition qui les fait mani fester aujourd'hui. (N. ÉD.)

3. Liv., lib. III, cap. xxxi.

4. PLUT., in F. Cam., in Num., lib. 1.

Je n'ai vu cette observation nulle part: elle valoit la peine d'étre faite; ses développements scroient féconds. (N. ÉD.)

vociférer sur les droits de l'homme et à bouleverser son pays. Les magistrats veilloient à ce que ces lumières inutiles ne corrompissent pas la jeunesse. Rome enfin opposa à la Grèce république à république, liberté à liberté, et se défendit des vertus étrangères avec ses propres vertusa.

Que si l'on s'étonne de ceci, je n'ai pas dit vertu, mais vertus, choses totalement différentes, et que nous confondons sans cesse. La première est immuable, de tous les temps, de toutes les choses, les secondes sont locales, conventionnelles, vices ici, vertus ailleurs. Distinction peu juste, répliquera-t-on, puisque alors vous faites de la vertu un sentiment inné, et que cependant les enfants semblent n'en avoir aucune. Et pourquoi demander du cœur ses fonctions les plus sublimes, lorsque le merveilleux ouvrage est entre les mains de l'ouvrier?

Qu'on ne dise pas qu'il soit futile de s'attacher à montrer le peu d'influence que l'établissement des gouvernements populaires parmi les Grecs dut avoir à Rome, objectant que celle-ci étant républicaine, des républiques ne pouvoient agir sur elle. La France n'a-t-elle pas détruit Genève et la Hollande, ébranlé Gênes, Venise et la Suisse? N'at-elle pas été sur le point de bouleverser l'Amérique même? Sans vous, grand homme, qui avez daigné me recevoir, et dont j'ai visité la demeure avec le respect qu'on porte dans un temple, que seroit devenu tout votre beau pays?

CHAPITRE XLI.

LA GRANDE-GRÈCE.

Sur les côtes de l'Italie, les Athéniens, les Achéens, les Lacédémoniens, à différentes époques, avoient fondé plusieurs colonies, et c'est ce qu'on appeloit la Grande-Grèce. Entre ces cités, Sybaris, Crotone, Tarente, devinrent bientôt célèbres par leurs dissensions politiques, leurs mauvaises mœurs et leurs lumières. De même que les peuples dont elles tiroient leur origine, elles chérissoient la liberté, qu'elles ne savoient retenir. Tour à tour républiques, ou soumises à des tyrans,

Je distinguois partout, comme je fais encore aujourd'hui, l'esprit démagogique de l'esprit de liberté, les fausses lumières de la lumière véritable. (N. ÉD.)

Washington. La révolution françoise sans la fermeté de Washington aurcit détruit le pacte fédéral. (N. ÉD.)

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