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ténèbres, les lumières se trouvoient réunies dans la classe des prêtres. Ils reconnoissoient les deux principes de l'univers : la matière' et l'esprit. Ils appeloient la première Athor, et le second Cneph3. Celuici, par l'énergie de sa volonté, avoit séparé les éléments confondus, produit tous les corps, tous les effets, en agissant sur la masse inerte". Le mouvement, la chaleur, la vie répandue sur la nature leur fit imaginer une infinité de moyens où ils voyoient une multitude d'actions. Ils crurent que des émanations du grand Être flottoient dans les espaces et animoient les diverses parties de l'univers. Ils tenoient l'âme immortelle; et Hérodote prétend que ce furent eux qui enseignèrent les premiers ce dogme fondamental de toute moralité 6 b. Ils adressoient cette prière au ciel dans leurs pompes funèbres : « Soleil, et vous, puissances qui dispensez la vie aux hommes, recevez-moi, et accordez-moi une demeure parmi les dieux immortels". » D'autres sectes des prêtres enseignoient la doctrine de la transmigration des âmes 8.

La physique, considérée dans tous les rapports de l'astronomie, la géométrie, la médecine, la chimie, etc., étoient cultivées par les prêtres égyptiens avec un succès inconnu aux autres peuples, et surtout aux Grecs au moment de leur révolution. La science sublime des gouvernements leur étoit aussi révélée. Pythagore, Thalès, Lycurgue, Solon, sortis de leur école, prouvent également cette vérité.

Les Égyptiens comptèrent des auteurs célèbres : les deux Hermès, le premier, inventeur 10, le second, restaurateur des arts"; Sérapis, qui enseigna à guérir les maux de ses semblables 12. Leurs livres ont péri dans les révolutions des empires, mais leurs noms sont conservés parmi ceux des bienfaiteurs des hommes. Si l'on en croit les alchimistes, la transmutation des métaux fut connue des savants d'Égypte 13.

Au reste, c'est dans ce pays, dont tout amant des lettres ne doit prononcer le nom qu'avec respect, que nous trouvons les premières

• Il n'y a point deux principes dans l'univers, ou il faudroit admettre l'éternité de la matière, ce qui détruiroit toute véritable idée de Dieu. (N. ÉD.)

1. JABLONSK., Panth. Ægypt., lib. 1, cap. 1.

3. JABLONSK., Panth, Ægypt., lib. 1, cap. 1;

4. PLUT., Isis, Osiris.

6. Lib. II, cap. cxxIII.

2. PLUT., Isis, Osiris. EUSEB., lib. III, cap. xi.

5. JABLONSK., lib. II, cap. I, II.

b Me voilà bien éloigné du matérialisme. (N. éd.)

7. PORPHYR., De Abstinent., lib. iv.

8. HEROD., lib. п, cap. cxxIII.

9. HEROD., lib. п, cap. cxxш; DIOD., lib. 1; STRABO, lib. xvII; Jablonsk., Panth.

Agypt.

10. ELIAN., Hist., lib. xiv, cap. xxxiv. 12. PLIN., lib. II, cap. xIII.

11. HEROD., lib. 11, cap. LXXXII.

13. L'Égypte dévoilée.

bibliothèques. Comme si la nature eût destiné cette contrée à devenir la source des lumières, elle y avoit fait croître exprès le papyrus' pour y fixer les découvertes fugitives du génie. Malheureusement les signes dans lesquels les prêtres enveloppoient leurs études ont privé l'univers d'une foule de connoissances précieuses. J'ai un doute à proposer aux savants. Les Égyptiens étoient vraisemblablement Indiens d'origine : la langue philosophique du premier peuple n'étoit-elle point la même que la langue hanscrite des derniers?? Celle-ci est maintenant entendue, ne seroit-il point possible d'expliquer l'autre par son moyena?

En rangeant sous sa puissance les diverses nations disséminées sur les bords du Nil, Cambyse favorisa la propagation des arts. Jusque alors les Égyptiens, jaloux des étrangers 3, ne les admettoient qu'avec la plus grande répugnance à leurs mystères. Lorsqu'ils furent devenus sujets de la Perse, l'entrée de leur pays s'ouvrit alors aux amants de la philosophie. C'est de ce coin du monde que l'aurore des sciences commença à poindre sur notre horizon; et l'on vit bientôt les lumières s'avancer de l'Égypte vers l'Occident, comme l'astre radieux qui nous vient des mêmes rivages.

CHAPITRE XXIX.

OBSTACLES QUI S'OPPOSÈRENT

A L'EFFET DE LA RÉVOLUTION GRECQUE SUR L'ÉGYPTE.

RESSEMBLANCE DE CE DERNIER PAYS

AVEC L'ITALIE MODERNE.

En considérant attentivement ce tableau, on aperçoit deux grandes causes qui durent amortir l'action de la révolution grecque sur l'Égypte. La première se tire de la subdivision régulière des classes de la société. Cette institution donne un tel empire à l'habitude chez les peuples où elle règne, que leurs mœurs semblent éternelles comme leurs États. En vain de telles nations sont subjuguées; elles changent de maître,

1. PLIN., lib. XIII, cap. XI.

2. On devroit écrire sanscrit, qui est la vraie prononciation.

J'adoptois trop absolument l'opinion des savants, qui font les Égyptiens originaires de l'Inde. Les progrès étonnants que M. Champollion a faits dans l'explication des hieroglyphes n'ont point jusqu'à présent établi qu'il existât de rapport entre le sanscrit et la langue savante des Égyptiens. (N. ÉD.)

3. DIOD., lib. 1, p. 78; STRABO, Geogr., lib. xvi, p. 1142.

4. JAMBLICH., in Vit. Pyth.

sans changer de caractère1. Elles ne sont pas, il est vrai, totalement à l'abri des mouvements internes : le génie des hommes, tout affaissé qu'il soit du poids des chaînes, les secoue par intervalles avec violence, comme ces Titans de la fable qui, bien qu'ensevelis dans les abîmes de l'Etna, se retournent encore quelquefois sous la masse énorme, et ébranlent les fondements de la terre.

Auprès de ce premier obstacle s'en élevoit un second, d'autant plus insurmontable à l'esprit de liberté, qu'il tient à un ressort puissant de notre âme : la superstition. Les prêtres avoient trop d'intérêt à dérober la vérité au peuple 2, pour ne pas opposer toutes les ressources de leur art à l'influence d'une révolution qui eût démasqué leur artifice. L'homme n'a qu'un mal réel la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte, et vous le rendez libre. Aussi toutes les religions d'esclaves sont-elles calculées pour augmenter cette frayeur. La caste sacerdotale égyptienne avoit eu soin de s'entourer de mystères redoutables et de jeter la terreur dans les esprits crédules de la multitude par les images les plus monstrueuses3. C'est ainsi encore qu'ils appuyoient le trône de toute la force de leur magie, afin de gouverner et le prince, dont ils commandoient le respect au peuple, et le peuple, qu'ils faisoient obéir au prince. Si l'Égypte eût été une puissance indépendante au moment de la révolution grecque, elle auroit peutêtre échappé à son influence; mais elle ne formoit plus qu'une province de la Perse, et elle se trouva enveloppée dans les malheurs de l'empire auquel le sort l'avoit asservie.

L'antique royaume de Sésostris offroit alors des rapports frappants avec l'Italie moderne: gouverné en apparence par des monarques, en réalité par un pontife maître de l'opinion, il se composoit de magnificence et de foiblesse ; on y voyoit de même de superbes ruines et un peuple esclave, les sciences parmi quelques-uns, l'ignorance chez tous. C'est sur les bords du Nil que les philosophes de l'antiquité alloient puiser les lumières; c'est sous le beau ciel de Florence que l'Europe barbare a rallumé le flambeau des lettres ; dans les deux pays elles s'étoient conservées sous le voile mystérieux d'une langue

1. Comme à la Chine et aux Indes.

2. Outre la grande influence qu'ils avoient dans le gouvernement, leurs terres étoient exemptes d'impôts.

3. JABLONSK., Panth. Ægypt.

4. L'Égypte fut presque toujours conquise par ceux qui voulurent l'attaquer.

5. Dans sa plus haute prospérité, elle étoit couverte des monuments en ruine d'un peuple ancien qui florissoit avant l'invasion des Pasteurs.

6. Les Lycurgue, les Pythagore. Sous les Médicis.

savante, inconnue au vulgaire'. Ce fut encore le lot de ces contrées d'être, dans leur âge respectif, les seuls canaux d'où les richesses des Indes coulassent pour le reste des peuples. Avec tant de conformité de mœurs, de circonstances, l'Égypte et l'Italie durent éprouver à peu près le même sort, l'une au temps des troubles de la Grèce, l'autre dans la révolution présente. Entraînées, malgré elles, dans une guerre désastreuse, par l'impulsion coercitive d'une autre puissance, la première, province du grand empire des Perses, la seconde, soumise en partie à celui d'Allemagne, il leur fallut livrer des batailles pour la cause d'une nation étrangère et s'épuiser dans des querelles qui n'étoient pas les leurs 3. Bientôt les ennemis victorieux tournèrent leurs armes et leurs intrigues, encore plus dangereuses, contre elles *. Ils soulevèrent l'ambition de quelques particuliers ; et l'on vit la terre sacrée des talents ravagée par des barbares. Les Perses cependant parvinrent à arracher l'Égypte des mains des Athéniens et de leurs alliés, mais ce ne fut qu'après six ans de calamités. Elle finit par passer sous le joug de ces mêmes Grecs, au temps des conquêtes d'Alexandre, conquêtes qu'on peut regarder elles-mêmes comme l'action éloignée de la révolution républicaine de Sparte et d'Athènes.

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CHAPITRE XXX.

CARTHAGE.

Nous trouvons sur la côte d'Afrique les célèbres Carthaginois, qui, de tous les peuples de l'antiquité, présentent les plus grands rapports avec les nations modernes. Aristote a fait un magnifique éloge de leurs

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2. Tyr avoit quelques ports sur le golfe Arabique, mais elle les perdit bientôt. Commerce de Florence, de Venise, de Livourne avec l'Égypte, avant la découverte du passage par le cap de Bonne-Espérance.

3. Dans la guerre Médique, que nous verrons incessamment.

4. THUCYD., lib. 1, cap. c.

5. Inarus, qui insurgea l'Égypte contre Artaxerxès, roi des Perses. Les François n'ont envahi l'Italie qu'en semant la corruption autour d'eux et en fomentant des insurrections à Gênes, à Rome, à Turin, etc.

6. Les Grecs y furent presque anéantis, étant obligés de se rendre à discrétion. Trop loin de leur pays, ils ne pouvoient en recevoir les secours nécessaires : la même position attirera, tôt ou tard, les mêmes desastres aux François en Italie, si la paix ne prévient l'effusion du sang.

institutions politiques1. Le corps du gouvernement étoit composé: de deux suffètes, ou consuls annuels; d'un sénat; d'un tribunal des cent, qui servoit de contre-poids aux deux premières branches de la constitution; d'un conseil des cinq, dont les pouvoirs s'étendoient à une espèce de censure générale sur toute la législature; enfin, de l'assemblée du peuple, sans laquelle il n'y a point de république 2a.

Carthage adopta en morale les principes de Lacédémone. Elle bannit les sciences et défendit même qu'on enseignât le grec aux enfants' Elle se mit ainsi à l'abri des sophismes et de la faconde de l'Attique Il seroit inutile de rechercher l'état des lumières chez un pareil peuple. Je parlerai incessamment de la partie des arts, dans laquelle il avoit fait des progrès considérables.

Atroces dans leur religion, les Carthaginois jetoient, en l'honneur de leurs dieux, des enfants dans des fours embrasés, soit qu'ils crussent que la candeur de la victime étoit plus agréable à la divinité, soit qu'ils pensassent faire un acte d'humanité en délivrant ces êtres innocents de la vie avant qu'ils en connussent l'amertume.

Leurs principes militaires différoient aussi de ceux du reste de leur siècle. Ces marchands africaing, renfermés dans leurs comptoirs, laissoient à des mercenaires, de même que des peuples modernes, le soin de défendre la patrie 5. Ils achetoient le sang des hommes au prix de l'or acquis à la sueur du front de leurs esclaves, et tournoient ainsi au profit de leur bonheur la fureur et l'imbécillité de la race humaine.

Mais les habitants des terres puniques se distinguoient surtout par leur génie commerçant. Déjà ils avoient jeté des colonies en Espagne, en Sardaigne, en Sicile, le long des côtes du continent de l'Afrique, dont ils osèrent mesurer la vaste circonférence; déjà ils s'étoient aventurés jusqu'au fond des mers dangereuses des Gaules et des îles Cassitérides. Malgré l'état imparfait de la navigation, l'avarice, plus puissante que les inventions humaines, leur avoit servi de boussole sur les déserts de l'Océan b.

1. ARIST., De Rep., lib. 11, cap. XI.

2. Id., ibid.; POLYB., lib. IV, p. 493; JUST., lib. xIx, cap. 1; CORN. NEP., in Annib., cap. VII.

Le jeune auteur se plaît évidemment au détail de ces combinaisons politiques, qui rentrent dans son système favori. Il est vrai qu'il n'y avoit point de république sans assemblée du peuple, avant que la république représentative eût été trouvée. (N. ÉD.) 3. JUST., lib. II, cap. v. 4. PLUT., De Superst., p. 171. 5. CORN. NEP., in Annib. 6. STRABO, lib. v; DIOD., ibid.; JUST., lib. XLIV, cap. v; POLYв., lib. H; HAN, Peripl.; HEROD., lib. I, cap. cxxv. - Probablement les îles Britanniques.

Je ne renie point ces derniers chapitres; à quelques anglicismes près, je les écrirois aujourd'hui tels qu'ils sont. (n. éd.)

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