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actes et la pensée de la vie humaine. Interrogez l'histoire de l'art, et vous verrez que jamais grand poète ne fut le contemporain des hommes et des choses qui sont la matière de son œuvre. Un poète ingénieux, élégant et froid; qui décrit tout et n'inspire rien; d'une morale douce, indulgente et commode; qui eut pour les opinions humaines une complaisance un peu molle, tel fut le poète de l'Empire. Delille, déjà renommé par sa traduction des Géorgiques, lança dans le public avec profusion cette suite d'ouvrages jetés tous au même moule où l'art n'est qu'un savant mécanisme, brillants. jeux de l'esprit qui n'échauffent jamais. En toutes ses compositions le trait vif et profond lui manque dans la peinture des passions ou des mœurs. Dans sa traduction des Géorgiques même où il suit pas à pas son modèle, s'il lutte avec succès, c'est par l'élégance, l'artifice ou la grâce du style descriptif; mais quand il lui faut reproduire les tableaux du maître dans les grands épisodes, il se tient en arrière et loin de ce génie d'élite dont la vigueur au besoin égale la tendresse. Talent toutefois dans son ordre original, trop loué dans son temps, aujourd'hui trop négligé peut-être, venu à point pour un régime où les lettres ne devaient être qu'un délassement de l'esprit, où les facultés de l'ame qui échauffent et passionnent eussent fait ombrage.

D'autres hommes de talent travaillèrent pour le théâtre selon les traditions classiques des deux siècles précédents. On distingue parmi eux notre aimable compatriote, M. Brifaut, l'auteur de Ninus et de contes charmants qui sont écrits avec la facilité et la grâce de Voltaire, moins la malice et le venin que le patriarche de Ferney a répandus dans tous ses écrits. La comédie fut badine et légère, s'attaquant seulement aux sur

faces de la société. Des traits incisifs et vigoureux dans la peinture des mœurs et le jeu des passions ne pouvaient être ni saisis ni tracés dans une période toute préoccupée des grandes scènes de la vie réelle. Disons encore que des vices et des travers dont la société nouvelle eût offert plus d'un modèle se trouvaient à couvert sous une égide. Molière avait pu traduire au théâtre les marquis de son temps tout en respectant la grandeur; il ne l'eût pu faire alors sans frapper plus haut que le but. Tout faisait défaut à la vraie comédie : le sujet, le poète et le public.

L'histoire et la philosophie eurent peu de lustre sous le Consulat et l'Empire. La culture de ces branches des connaissances humaines demande du calme, des méditations fortes et la patience des longues études. Il leur faut encore pour se produire avec avantage une pensée libre et dégagée d'entraves. Ces conditions manquaient sous le régime impérial. Les esprits inclinèrent de préférence vers les sciences naturelles et les sciences exactes dont l'élan était secondé par le chef de l'Etat, et dont l'étude pratique menait à prendre position dans l'administration et dans l'armée:

L'époque de l'Empire fut donc pour la littérature française un temps d'arrêt, en ce sens que celle-ci demeura stationnaire au point où cette brillante période la trouva. Dans la première partie (sous le Consulat) nous voyons les esprits impliqués dans une lutte entreles traditions opposées de deux littératures, l'une religieuse, l'autre philosophique : polémique savante et forte, mais qui ne dépasse point les limites de la critique. Deux écrivains pourtant sortent des chemins battus; l'un des deux même ouvre une école nouvelle, mais elle devait porter ses fruits plus tard; le mouve

ment de l'Empire entraîne tout, et il domine ce qu'il n'absobe pas. Il faut ou se taire, ou se circonscrire dans la pensée d'un homme. Les lettres, pour prendre un essor, attendaient une autre époque.

Cependant l'Empire accomplit ses destins. L'homme au bras puissant qui soutenait ce grand corps tombe lui-même du faîte des grandeurs, laissant un nom fastique au monde qu'il a remué. Sa force, instrument de gloire et d'asservissement, s'évanouit. Dans notre France, un régime de liberté va s'ouvrir, et avec lui une phase nouvelle de la littérature contemporaine.

Cette littérature que nous avons vu naître et se développer sous nos yeux est marquée à deux caractères qui l'ont faite ce qu'elle est : l'indépendance absolue de la pensée et l'imitation des littératures étrangères.

Exsurge veritas et quasi de patientiá erumpe! s'écriait dans sa ferveur un Père de l'Eglise ; « Lève-toi » donc, ô vérité et romps le lien de ta patience! 1 » Avec le régime représentatif et la liberté de la presse, la vérité chez nous sortit d'un long sommeil. Mais ce ne fut point la vérité pure et sainte, tout éclatante d'une auréole de lumière; ce fut la vérité conçue dans l'esprit de l'homme, mélangée de bien et de mal, et teinte de nos passions et de nos faiblesses.

D'un autre côté, les productions étrangères vinrent prendre place dans nos idées. Goethe, Schiller, Kant, Fichte, Schelling, Herder, Hégel, les poètes, les philosophes, les historiens de l'Allemagne, tous ces génies soumis à la douane de la police impériale; puis à leur suite et plus tard, Walter Scott et Byron, génies européens, ont fait irruption dans nos esprits et y ont laissé

Tertullien.

leur impression et leur influence. Ce sont ces éléments divers, modifiés par le caractère national et nos mœurs, par le cours des événements et des passions, qui vont, avec la liberté de la pensée, donner la forme et la vie à la littérature de nos jours. Nous aurons à l'expliquer sous ses différentes faces.

Nous aborderons une à une les renommées contemporaines dans le champ de la prose et dans celui de la poésie. Nous reprendrons les ouvrages du chef de l'école moderne et nous scruterons ses titres à une suprématie aussi incontestée qu'elle est glorieuse. Puis nous interrogerons cet autre génie qui a fait parler à la poésie française une langue nouvelle, qui nous a montré qu'au bout de deux siècles de vie et d'éclat, elle tenait encore en réserve des accents inconnus. Après ces deux grandes renommées, nous passerons en revue les de Bonald, de Maistre, Lamennais, Hugo, Thierry, Guizot et d'autres noms encore. Nous essaierons d'apprécier ces hommes avec vérité selon nos lumières. Nous les jugerons sans prévention comme aussi sans faveur. Nous embrasserons dans leur ensemble ces travaux d'une époque, et nous en signalerons autant qu'il est en nous les caractères généraux et la portée tâche hardie, périlleuse et difficile. J'ai besoin de recueillir mes forces pour fournir cette carrière. Ce sera l'objet d'une dernière étude qui mettra fin à ces discours.

L'âge d'or des Anciens et l'île d'Utopie
Sont les rêves brillants de la philanthropie.
Pour connaître la vérité,

Remontons le fleuve des âges

Et consultons toutes les pages
Des fastes de l'humanité.

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Qu'y voyons-nous? des maux sans nombre ; L'horizon de l'histoire est toujours triste et sombre, Partout des crimes, des malheurs ;

Sous le chaume du pauvre et sous le diadême
Retentit la voix des douleurs;

Et victime ou tyran, l'homme, étrange problême,
Répand ou fait couler des pleurs.

Ecartons ces noires images;

On promet aux mortels un meilleur avenir;
L'on dit qu'en Orient le plus savant des Mages
Annonce que du mal le règne doit finir.

L'an deux mil quatre cent quarante,

Terme de nos calamités,

Paraît dans le lointain, sa marche est triomphante,
Et l'on voit sur son front l'étoile étincelante
Du siècle des prospérités.

Tels sont les mots sacrés, solennels de l'oracle.
Par quel être vivant serait-il démenti?

Nos arrière-neveux verront ce grand miracle;
Voilà de son destin l'Univers averti.

Ah! si, nouvel Epimenide,

Je pouvais dormir d'un sommeil

De six cents ans, quel doux réveil ! Mon regard étonné, de nouveautés avide,

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