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écrits auxquels il donna le jour vers l'époque dont il s'agit, M. Pingeon nous paraît n'avoir jamais perdu de vue l'étude de l'ouvrage de Pinel dont le nom se soutenait encore avec éclat dans l'Ecole, et dont les idées semblent n'avoir pas été sans influence plus tard sur l'esprit de notre collègue.

A la fin de sa dissertation inaugurale, le jeune docteur a fait ajouter le serment d'Hippocrate, que, contre un usage qui n'existe que dans la Faculté de Montpelfier, il se plut à prononcer solennellement. Avant d'entrer dans la carrière du praticien, il ne pouvait offrir de témoignage, ni plus grand, ni plus simple à la fois, des sentiments d'honneur et de moralité avec lesquels tout médecin instruit et charitable doit envisager la dignité de sa profession.

En fixant dans cette ville sa résidence, M. M. Pingeon avait en vue d'utiliser pour l'étude un temps qu'il savait précieux pour d'autres intérêts. Il mettait un véritable plaisir à s'acquitter des devoirs de sa profession, parce qu'il avait l'assurance d'être en mesure de rendre le plus ordinairement d'importants services.

Il consacra les premières années de sa pratique à recueillir comme religieusement les leçons que les meilleurs médecins ont fait passer dans leurs ouvrages; il s'en pénétrait. Ce goût pour le travail ne fit que s'accroître par la préférence qu'il donna toujours au recueillement du cabinet sur les habitudes du monde qui ne parut jamais captiver son esprit. D'ailleurs l'étude a bien aussi ses dédommagements: M. Pingeon le reconnut bientôt ; il fut assez heureux pour recevoir de la Société royale de médecine de Bordeaux, une médaille en or, à l'occasion d'un prix qui avait été l'objet d'une vive émulation, et la récompense fut alors doublée pour

le vainqueur par l'avantage qu'il eut d'obtenir, en même temps, le titre de correspondant de la savante Compagnie qui avait couronné son œuvre.

Un peu plus tard, différentes Sociétés des départements et de la capitale l'accueillirent comme leur membre associé; et vous également, Messieurs, en 1828, vous voulûtes le récompenser de ses efforts, en le faisant asseoir parmi vous. De la connaissance que vous aviez acquise de ses excellentes qualités et de ses productions, était résulté le sentiment que vous vous étiez formé de son mérite, qui dans la suite justifia votre choix. Ce n'est pas moi qui vous rappellerai et son exactitude dans le sein de l'Académie, et son aptitude aux sciences et aux travaux de tous genres que vous aimez à vous partager. Rien ne pouvait égaler l'intérêt avec lequel il se livrait à tout ce qui vous occupait vousmêmes. L'on peut dire ici que ce que M. Pingeon voulait prouver avec une constance bien rare, c'était le désir de faire dans toutes ses entreprises ce que lui prescrivaient sa conscience et le sentiment des devoirs qu'il s'était imposés ou qu'il s'était chargé d'accomplir. Cette louable persévérance qui était devenue une habitude invétérée allait même jusqu'à imprimer à son esprit une disposition particulière, que les personnes qui connaissaient le moins notre collègue auraient confondue avec une sorte de défaut, celui d'un doute trop sévère; et cependant l'on doit convenir, pour être juste, que dans ses discussions, dans ses conférences sur des malades, ou bien encore dans ses analyses, si vous le voyez souvent douter, c'était de sa part, moins pour critiquer que pour vérifier. Une semblable manière de procéder peut passer pour de la rigueur; mais assuréloin d'être le témoignage d'un superbe dédain,

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elle est bien plutôt la preuve d'une sage impartialité.

Quelques années après son admission dans le sein de l'Académie, M. Pingeon fut chargé d'être votre secrétaire. Votre choix, plus flatteur encore pour son cœur ardent à l'étude que pour son amour propre, entretiņt chez lui le sentiment d'une émulation qui ne fut pas inutile à l'Académie. Ses derniers Comptes-rendus sont un irrécusable témoignage du talent qu'il possédait dans l'art de bien rédiger, et qui conserva dans ses écrits l'empreinte d'un double et rare caractère de sagesse et de raison. Rapporteur exact des ouvrages et des communications qui faisaient l'objet des séances de l'Académie, votre secrétaire savait saisir avec une égale facilité et les sujets qui, comme les sciences, lui étaient particulièrement familiers, et les parties qui regardaient les belles-lettres aussi bien que les arts. C'est dans un style élégant qu'il vous entretenait de ces matières différentes, et vous avez eu souvent l'occasion d'apprécier le mérite de son esprit analytique, fécond et varié; nous croyons devoir vous rappeler ici qu'il se trouvait alors contraint à se partager entre ces agréables mais difficiles occupations, et les exigences d'une clientelle qui devenait plus pressante et plus étendue tous les jours.

En 1831, une Société fut organisée parmi les médecins de Dijon, dans le but honorable de concourir aux progrès de l'art de guérir d'une manière plus directe qu'auparavant. M. Pingeon fut désigné par ses collègues, pour porter à la connaissance du public les travaux de cette société naissante. Pendant deux années on lui conféra le titre de secrétaire : cet honneur auquel il ne fut pas indifférent, eut même à ses yeux d'autant

fut en quelque sorte mortel au moment même qu'il était porté, et malgré les secours éclairés de ses amis et de ses collègues qui lui donnaient avee ardeur les témoi– gnages d'un dévouement hélas ! inutile, que M. Pingeon, victime d'un mal de gorge gangréneux, se sentit soutenu par son courage qui ne l'abandonna pas un instant. Il avait reconnu lui-même la gravité de la maladie dont il était atteint, et il avait calculé le terme de sa marche effrayante et rapide. Mais les progrès d'un mal qui duț le faire singulièrement souffrir, trouvèrent un homme ferme et résolu, une ame entièrement résignée aux maux physiques. Son courage alors tint même de l'hé roïsme le plus admirable. Il est vrai de dire qu'il puisa cette noble ressource dans ses sentiments religieux ;. il conserva cette tranquillité de conscience qui fortifie l'homme de bien dans ses derniers moments et qui se repose dans un grand espoir. M. Pingeon avait une foi inébranlable dans la religion chrétienne; il croyait fermement au bonheur aussi pur qu'infini que notre religion assure à tous ceux qui savent s'en rendre dignes. Au moment où la vie allait abandonner ses organes, chacun vit avec un pieux recueillement que son esprit n'était occupé que de cette conviction sublime à laquelle se joignaient des derniers témoignages d'amour pour sa famille. En quittant cette vie de passage et d'épreuves, il a laissé des souvenirs qui honorent sa mémoire, et il a montré unadmirable exempleà imiter, celui de l'homme vertueux qui sait dignement mourir.

H. RIPAULT, D. M. P..

THEOPHRASTE ET LA BRUYÈRE.

PAR J.-F. STIÉVENART.

coup

L'illustre fondateur du Lycée, sexagénaire et accablé d'infirmités, semblait toucher au terme de sa laborieuse carrière. Un jour, tous ses disciples se pressent autour de lui, le suppliant de désigner lui-même son successeur : les plus renommés, les plus chéris du maître, étaient le lesbien Théophraste et Eudème de Rhodes. << Quand il sera temps, répondit le yieillard, je ferai ce que vous demandez. » Plusieurs mois s'écoulent, et ses élèves le voient un soir s'arrêter tout à dans une de ses doctes promenades : il se plaint de l'àpreté du vin qu'il boit; il faudrait à son estomac débile un peu de vin étranger, du Rhodes, par exemple, ou du Lesbos. C'étaient le Bordeaux et le Bourgogne de ce temps-là. Il prie ses disciples de lui procurer de l'un et de l'autre, pour essayer et choisir. Ils partent, prennent sur les lieux la cordiale liqueur (précaution déjà utile alors), et l'apportent. Le malade trouve le vin de Rhodes chaud et agréable. Après avoir goûté l'autre, « Excellents tous deux ! s'écrie-t-il, mais la sève de Lesbos est plus exquise. » Délicat et touchant aveu du choix plus important qu'on lui demandait! Aristote fut compris : il alla mourir paisiblement à Chalcis, échappant ainsi

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