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PROCÈS DE LA COURONNE.

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ACCUSATION, PAR ESCHINE.

Vous voyez, ô Athéniens! quel appareil on 'déploie, quelle armée se range en bataille; vous voyez certains hommes solliciter sur la place publique l'abolition des règles et des usages d'Athènes1. Pour moi, je me présente plein de confiance dans les dieux, puis dans les lois et en vous, persuadé qu'auprès de vous l'intrigue ne prévaut jamais sur les lois ni sur la justice.

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Je voudrais, ô Athéniens! que le Conseil des Cinq-Cents, que les assemblées du Peuple fussent régulièrement dirigés par ceux qui les président, et que la législation de Solon sur la discipline des orateurs reprît son empire 2. Ainsi, le plus vieux citoyen, appelé le premier par ces lois, montant avec modestie à la tribune, pourrait, sans tumulte, sans trouble, tirer de son expérience l'avis le plus utile à la république ; après lui, tout autre qui en aurait le désir, opinerait seul à son tour et selon l'âge, sur chaque question 3. Je vois là le moyen et de gouverner très bien l'Etat, et de rendre les accusations très-rares. Mais, depuis que toutes les règles, jadis reconnues sages, sont brisées ; depuis

que les uns proposent sans scrupule des motions illégales, tandis que d'autres, parvenus à la présidence, non par la voie légitime du sort, mais par la brigue, les convertissent en décrets, et, dans la pensée que l'administration publique est devenue leur patrimoine, menacent de poursuivre comme traître tout autre membre du Conseil qui, réellement appelé par le sort à présider, déclarerait fidèlement vos suffrages; depuis qu'asservissant les citoyens et s'arrogeant tous les pouvoirs, ils ont anéanti la jurisprudence conforme aux lois, et jugent avec passion là où il faut appliquer vos décrets 4 elle est muette, cette proclamation, : plus belle, la plus prudente de toutes, Quel citoyen, au-dessus de cinquante ans, veut haranguer le Peuple? Quel autre Athénien, à son tour, veut prendre la parole? et rien ne peut plus réprimer la licence des orateurs, ni lois, ni prytanes, ni proèdres 5, ni la tribu qui préside, c'est à dire ni la dixième partie de la nation.

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En présence de pareils désordres, dans ces jours mauvais où vous voyez la patrie, un seul débris d'autorité vous reste, si je ne m'abuse c'est le droit de poursuivre l'auteur d'une motion illégale 6. Si vous y renoncez, si vous permettez qu'on vous l'enlève, je vous prédis qu'à votre insu vous aurez peu à peu abandonné la constitution à quelques hommes. Vous le savez, Athéniens, il est parmi les peuples, trois formes de gouvernement, monarchie, oligarchie, démocratie. Les deux premières sont régies par la volonté des chefs; la démocratie,

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par les lois qu'elle se donne. Que nul n'ignore donc, que chacun sache nettement que, le jour où il monte au tribunal pour juger une infraction de la loi, il va prononcer sur sa propre liberté. Aussi le législateur 7 a-t-il écrit en tête du serment des juges: J'opinerai conformément aux lois. Il sentait bien que le culte des lois est la sauvegarde du pouvoir populaire. L'esprit plein de ces pensées, sévissez contre celui qui attaque une loi par son décret; ne voyez point de fautes légères là où tout est crime énorme ; ne vous laissez ravir personne le droit de punir; repoussez et les sollicitations de ces généraux qui, depuis long-temps, travaillent, avec certains harangueurs, à la ruine de notre gouvernement, et les prières de ces étrangers que des prévaricateurs présentent ici pour échapper aux tribunaux. Il n'est pas un de vous qui, dans une bataille, ne rougit d'abandonner son poste eh bien! aujourd'hui, sentinelles avancées de la démocratie, ayez honte de déserter le poste que les lois vous ont assigné. Il faut vous rappeler encore que tous vos concitoyens, les uns présents et attentifs à ce jugement, les autres absents pour leurs affaires, ont déposé la chose publique en vos mains, et vous ont confié la constitution. Consultez votre respect pour eux, le souvenir de votre serment et des lois ; et, si je convaincs Ctésiphon d'avoir proposé un décret contraire à ces lois, contraire à la vérité, contraire au bien public, annulez, ô Athéniens! de coupables motions, raffermissez notre démocratie, châtiez ceux

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dont la politique fut hostile à la législation, à la patrie, à votre bien-être. Si vous m'écoutez dans cet esprit, votre sentence, j'en suis certain, sera conforme à la justice, à votre serment, à vos intéré's personnels, comme à ceux de la république. J'espère avoir suffisamment annoncé l'ensemble de l'accusation : je vais parler brièvement des lois sur les comptables, lois que Ctésiphon a violées par son décret. On a vu précédemment quelquesuns de nos premiers magistrats, des administrateurs des finances, gagner, pendant une gestion vénale, les orateurs du Conseil et du Peuple, et se prémunir de loin contre la liquidation de leurs charges par des éloges et des proclamations. De là, dans l'examen des comptes, grand embarras pour les accusateurs, plus grand encore pour les juges. Beaucoup de comptables, convaincus de flagrant péculat, échappaient à la justice; et cela devait être. Les juges auraient rougi que le même magistrat, dans la même ville, peut-être la même année, proclamé dans les jeux publics, honoré par le Peuple d'une couronne d'or pour sa vertu et son intégrité, sortit, peu après, des tribunaux, flétri comme voleur. Ils étaient donc forcés de régler leur scrutin, non sur le crime, mais sur l'honneur du Peuple.

Remarquant cet abus, un nomothète 9 porte une loi fort sage, qui défend formellement de couronner un comptable. Malgré cette prudente précaution du magistrat, on a imaginé des paroles plus puissantes que les lois; et, si l'on ne vous les.

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