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monter de la plus basse à la plus haute sans intermédiaire. C'est dans la déclamation surtout qu'on doit avoir attention de bien faire sonner les syllabes, et d'appuyer sur les mots saillans.

Pour bien déclamer, il faut dabord se pénétrer de sa matière, afin de donner à ses paroles le ton qui leur convient. Car il y a des tirades entières qui veuillent être prononcées doucement, comme il arrive dans les narrations; d'autres veuillent qu'on exprime autant qu' on peut le personnage que parle ou qui agit. Tantôt il faut prendre le ton suppliant, tantôt le ton assuré et même quelquefois fier; tantôt simple, tantôt grave, tantôt badin, tantôt serieux selon que la matière l'exige; mais toujours sans affectation et sans bassesse.

H faut tenir le corps droit, les bras pendans sans nonchalence, quand on parle debout; les mains doucement posées sur les bords de la Tribune, si l'on parle d'une Tribune; fixer modestement son auditoire ; prendre le ton convenable de sa voix, et n'en point changer, montrer de la main droite les objets agréables, de la gauche les désagréables, sans trop étendre, baisser ni élever les bras ; jamais ne baisser les mains de maniere que le bras soit tout à fait étendu ; ne les élever jamais au delà de la hauteur

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des yeux. Quand on adresse la parole à l'auditoire, il faut s'incliner un peu, présenter les deux mains modestement ouvertes. On doit bien se garder, en tout sujet, de présenter son poing; mais avoir attention d'avoir toujours la main étendue sans roideur, et les doigts point serrés. Quand on s'adresse à Dieu, il faut renforcer la voix, porter les yeux en haut et les deux mains ouvertes élevées un peu au dessus de la hauteur des épaules. Toujours dans le geste l'œil doit accompagner la main.

Quand on déclame des vers, il faut particuliérement faire sentir l'hémistiche et la rime. L'hémistiche est un repos ménagé après la sixieme syllabe dans les vers de douze, et après la quatrieme dans ceux de dix. Les autres n'ont point d'hémistiche, si ce n'est les points et les virgules, et quelque repos que la matière fournit d'elle même, ou que le Poëte a eu le talent de ménager. La rime est un même son à la fin des mots qui terminent les vers.

Voici une fable de la Fontaine qui est susceptible de différens tons :

Le Chêne et le Rozeau.

Le Chêne un jour dit au Rozeau :
Vous avez bien sujet d'accuser la Nature.
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau,

Le moindre vent, qui d'avanture
Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête :

Tout ceci doit être prononcé avec une modestie, à travers de la quelle on rémarque certain dédain.

A ce qui suit, l'orateur doit prendre un ton ferme, comme d'un homme qui est content de lui-même.

Cependant que mon front au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du Soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est Aquilón; tout me semble Zéphir.

Ce qui suit doit être prononcé d'un air deprotection.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage;

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage.

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.

La réplique du Rozeau doit être présentée avec une modestie mêlée d'assurance.

Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie, & ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Resisté sans courber le dos :

Mais attendons la fin.

Le reste doit être prononcé d'un ton narratif animé. L'orateur doit donner autant qu'il est possible un air d'approbation à la chûte du Chêne, dont le ton orgueilleux avoit excité l'indignation.

Comme il disoit ces mots :
Du bout de l'Horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût porté jusques-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon, le Rozeau plie:

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il deracine

Celui de qui la tête au Ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l'Empire des Morts.

Edouard. Mais, Monsieur, est-il nécessaire de savoir déclamer ?

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Le Maître. Oui Monsieur, la déclamation est un art auquel on paroît faire peu d'attention qui cependant est de la première utilité. Comme il est bonteux de ne pas savoir lire correctement; il l'est aussi d'une. certaine maniere de ne pas savoir déclamer un morceau de poësie ou de prose; par exemple, vous serez dans une société, on vous priera de lire quelque chose; si vous vous en acquitez mal, quelle confusion!...

Edouard. Ah! Monsieur, vous me rappellez un traît que j'ai vu, il n'y à pas longtems. J'étois dans une société avec mon Pere et ma Mere, on a apporté justement la

gazette; une Dame a prié Mr. *** de la lire. J'ai vu qu'on a refusé d'entendre quelques articles. On a parlé ensuite de Sciences, la Dame a prié Mr. ** de lui déclamer un morceau de Poësie qu'elle lui cita, et qu'il savoit. Il a déclamé avec la meilleure grace du monde et toute la compagnie lui en a fait compliment. J'ai deviné à l'air avec lequel on a écouté cette petite Déclamation, que Mr. ** qui avoit fait la lecture de la Gazette ne s'en étoit pas acquité si bien ; car au fait, en refléchissant, quoique je ne fusse pas fort expert dans la lecture, j'ai bien vû qu'il écorchoit des mots ; au reste je n'ai pas entendu grand' chose de ce qu'il a lû.

Le Mattre. Vous voyez bien qu'il est utile et agréable de savoir lire et déclamer comme il faut; ce sont deux talens qui servent toujours dans la Société. D'ailleurs, vous ne savez ce à quoi la Providence vous appellera, Vous êtes peut-être destiné à la Chaire ou au Barreau; C'est là où il faut savoir payer de sa personne. Quelquefois pour vous-même pour expliquer vos propres affaires, pour faire valoir vos droits devant un Rapporteur ou un Juge. Cela sert toujours. Il arrive des cas fortuits dans lesquels il faut se montrer. Par exemple, quand le premier Consul est venu dans notre Pays, il y a eu jusqu'à des eu jusqu'à des

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