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magnanime qu'elle donna à Poetus; pour l'exciter à fe donner la mort *.

Après la défaite de Scribonianus, dont Pœtus avoit embraffé le parti, ce dernier fut fait prifonnier, & conduit à Rome. Arie ne pouvant fe réfoudre à abandonner fon époux, après avoir en vain fupplié les conducteurs de Cecina Poetus, de la recevoir dans leur vaiffeau, s'embarqua dans un miférable bateau de pêcheur; & méprisant le danger d'un long trajet dans un navire auffi fragile, elle fuivit ainfi fon mari, depuis la Sclavonie jufqu'à Rome. Etant un jour chez l'Empereur, elle y trouva Junie, veuve de Scribonianus, qui voulut s'approcher d'elle comme d'une compagne de fes malheurs ; mais Arie la repoussa rudement: Moi, que je te parle, lui dit-elle, ni que je t'écoute, toi qui vis expirer Scribonianus Lettres de Pline, Liv. 3. Chap. 16.

dans tes bras, & qui vis encore ! Ces paroles auffi fières que tendres, firent craindre à ceux qui s'intéreffoient à elle, qu'elle n'eût deffein d'attenter à fa vie. Elle tenta vainement de fe donner la mort, en fe lançant avec force contre les murailles de fon appartement; mais voyant que fes efforts étoient inutiles, elle alla trouver Pœtus; & après avoir employé, pour l'engager à céder au deftin, cette éloquence perfuafive que le cœur feul peut infpirer, voyant qu'il hésitoit encore, elle tira le poignard qu'il portoit à son côté, & fe le plongeant dans le sein : Fais ainfi, Pætus, lui dit-elle; l'ayant retiré enfuite tout fanglant, elle le lui préfenta, en lui difant ces paroles mémorables; Tiens, Patus, il ne m'a point fait de mal*. Encouragé par un exemple

* Martial a interprété ces paroles d'Arie, de la

auffi frappant, ou plutôt pénétré de douleur de la perte qu'il venoit de faire, Pœtus ne voulant pas furvivre un instant à celle qui venoit de mourir pour lui, fe perça auffi-tôt du même fer qui venoit de lui ravir une femme si digne d'être aimée, & pour qui feule il pouvoit regretter la vie : cette preuve d'un attachement fans borne, n'est pas la feule dont la vertu des femmes puiffe fe glorifier, L'hiftoire nous fournit des traits fans nombre de tendreffes conjugales : les Arthémises, les Cornélies, les Porcies, les Paulines, & plufieurs autres dont l'antiquité nous a confervé la mémoire, font des témoignages inconteftables que

manière la plus ingénieufe dans cette Epigramme fi

connue :

Cafta fuo gladium cùm traderet Aria Pato
Quem de vifceribus traxerat ipfa fuis,

Si qua fides, vulnus quod feci, non dolet, inquit,
Sed quod tu facies, id mihi, Pate, dolet.

Martial, Liv. 1. Epigr. 14.

pas

cette vertu mâle & fenfible n'est étrangère à un sexe qu'on ne croit fait que pour les graces. Quand les femmes font libres des paffions effrénées qui altèrent la pureté de leur cœur, & qui aviliffent leur ame, elles font capables, auffi bien que les hommes, de ces actes d'héroisme que dicte le sentiment quand il eft joint au devoir.

Comme les hommes ont en général plus de courage que les femmes, & que leur éducation contribue encore à augmenter leur force physique & morale, on ne doit point être furpris des actes de fermeté que le fentiment peut leur inspirer auffi l'Histoire a-t-elle pris moins de foin pour les transmettre à la poftérité; il ne nous refte même fur cet objet que des fables qui ne méritent pas d'être rapportées. Quelques Auteurs cependant ont paru y ajoûter foi. Va

a

lere Maxime nous a confervé plufieurs traits de ce genre b; mais fa crédulité ne diminue rien de l'abfurdité de ces prétendus faits; elle fert feulement à prouver le peu de cas qu'on doit faire du témoignage de cet Auteur, quand il n'est appuyé de celui d'aucun

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CHAPITRE VII I.

De l'amitié des femmes pour les hommes, &de celle des hommes pour les femmes.

QUOIQUE les femmes paffent pour avoir le cœur plus tendre que les hom

a Valere Maxime, citoyen Romain, vivoit sous le règne de Tibere.

Livre 4. Chap. 6.

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