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tout: la religion feule peut les élever au-deffus des foibleffes de l'humanité; mais malheureusement il y en a peu qui en foient affez pénétrés pour vaincre la nature, & brifer les chaînes qui les retiennent dans l'efclavage des paffions.

Les Communautés de Filles ne font pas exemptes, à beaucoup près, des envies & des jaloufies qui troublent fouvent la paix des Communautés d'Hommes; elles y font même plus fréquentes & plus obftinées, parce que les plus légers fujets y donnent lieu. Les femmes portent leur caractère jufque dans le cloître; l'empreinte de leur frivolité fe remarque encore dans leurs goûts & dans leurs occupations : la vanité se cache en vain fous leurs guimpes & leurs voiles; & l'austérité de leur vie n'éteint pas toujours en elles l'amour des préférences; elles le portent jufqu'aux pieds des Autels, & leur ami

tié s'en reffent. Elle eft inquiete, & femble exiger fans ceffe, pour fubfifter, ces propos flatteurs qui font plutôt faits pour fatisfaire l'amour - propre, que pour remplir le cœur : la plus légére négligence dans ce genre, caufe les refroidiffements les plus marqués ; la vertu feule peut furmonter ces miferes ou du moins les pallier; mais le sentiment ne fouffre point d'effort; il veut être libre comme l'air qui nous environne; & dès qu'il éprouve de la contrainte, il s'évanouit auffi-tôt, & ne laiffe après lui que les procédés, plus froids encore que l'indifférence.

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COMME

OMME la façon d'envisager les objets, foit matériels, foit intellectuels, varie selon les différens âges; il en est de même de celle de fentir. Il réfulte

que

de cette obfervation que la maniere d'aimer eft proportionnée au degré de force & d'élévation plus ou moins grand de notre efprit. Je crois avoir démontré au commencement de cet Ouvrage l'amitié étoit, pour ainsi dire, innée en nous, & que c'étoit le premier fentiment qui s'y développoit; mais comme dans les premieres années de notre vie, les opérations de notre ame font fort obfcures, & que l'inftinct paroît agir feul, il ne peut y avoir ni choix ni réflexion dans nos goûts, & le ha

zard eft l'unique moteur de nos attachements: on ne fauroit donc appeller proprement amitié ces premieres lueurs de fentiment; & on ne doit les confidérer que comme un germe que le Créateur a mis en nous pour notre bonheur, & que l'âge feul peut faire éclore. J'ai fait obferver, en effet, que dès la plus tendre jeuneffe notre cœur étoit capable de ce choix, dont l'attrait feul est le principe, & que la raifon ne fait qu'approuver; dans l'âge mûr nos organes ayant acquis le degré de perfection où ils peuvent atteindre, les facultés de notre ame font entiérement développées : nous fommes en état de fentir & de connoître qu'un vérita¬ ble ami eft pour nous un bien précieux, & nous en jouiffons avec un fentiment d'autant plus flatteur pour lui, & plus agréable pour nous, que nous fommes capables de juger de fa valeur.

Le bonheur en tout genre eft fait pour cet âge heureux; le feu des passions commence à s'amortir; nos defirs sont plus réfléchis & plus modérés; nos jugements en font plus sûrs, parce qu'ils font plus exempts de prévention. L'expérience que nos propres fautes & celles des autres nous ont acquife, met ordinairement une tête bien faite à l'abri d'en commettre à l'avenir; la réputation que notre mérite perfonnel ou nos talents ont pu mériter, eft dans tout fon éclat : : en un mot, c'est l'âge de la jouiffance, non pas de cette jouiffance tumultueufe, qui pour vouloir jouir de tous les biens à la fois, ne jouit d'aucun en particulier; mais de cette jouiffance douce & paifible, dont l'ame peut se rendre compte, & dont la réflexion ne fait qu'augmenter la félicité. Cet heureux temps passé, nous ne faisons plus que décroître. La faculté de penfer, de

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