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plaire. La taupe aurait tort de se tenir dans son trou si elle avait entrepris de faire sa cour au rossignol.

La brillante Célimène, jeune veuve de vingt ans, s'amuse aux dépens des ridicules de ses amis; mais on n'a garde de toucher dans son salon à ce qui est odieux. Alceste n'a point cette prudence, et voilà justement ce qui fait le ridicule particulier du pauvre Alceste. Sa manie de se jeter sur ce qui paraît odieux, son talent pour le raisonnement juste et serré, sa probité sévère, tout le mènerait bien vite à la politique, ou, ce qui est bien pis, à une philosophie séditieuse et malsonnante. Dès lors, le salon de Célimène deviendrait compromettant; bientôt ce serait un désert; et que faire, pour une coquette, au milieu d'un salon désert?

C'est par là que le genre d'esprit d'Alceste est de mauvais goût dans ce salon. C'est là ce que Philinte aurait dù lui dire. Le devoir de cet ami sage était d'opposer la passion de son ami à sa manie raisonnante. Molière le voyait mieux que nous; mais l'évidence et l'à-propos du raisonnement de Philinte eût pu coûter au poëte la faveur du grand roi.

Le grand roi dut trouver de fort bon goût, au contraire, le ridicule donné à la manie du raisonnement sérieux 1.

S'il fut jamais un homme créé, par sa douceur, pour faire aimer la sagesse, ce fut sans doute Franklin, voyez pourtant dans quel lieu singulier le roi Louis XVI fait placer son portrait, pour l'envoyer à madame la duchesse de Polignac.

(Mémoires de madame Campan.)

L'odieux que nous fuyons aujourd'hui est d'un autre caractère; il n'est de mauvais goût que lorsqu'il conduit au sentiment de la colère impuissante, et il passe pour fort agréable dès qu'il peut se produire sous la forme d'un ridicule amusant, donné aux gens du pouvoir. Même, plus le rang des personnes immolées au ridicule est auguste, plus le mot fait de plaisir, loin d'inspirer aucune crainte :

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« Le conseil des ministres vient de finir, il a duré trois heures. Que s'est-il passé? Il s'est passé trois heures. Ce vieux ministre imbécile ne veut pas ouvrir les yeux. Eh bien qu'il les ferme1. »

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Une conversation vive, plaisante, étincelante d'esprit, jouant toujours la gaieté et fuyant le sérieux comme le dernier des ridicules, après un règne d'un siècle, fut tout à coup détrônée vers 1786, par une discussion lourde, interminable, à laquelle tous les sots prennent part. Ils ont tous aujourd'hui leur jugement sur Napoléon, qu'il nous faut essuyer. Les courses à cheval, les visites en chenille et les occupations du matin cédèrent la place aux journaux. Il fallut, en 1786, donner deux heures de sa vie, chaque jour, à une lecture passionnée, coupée à chaque instant par les exclamations de la haine. ou par des rires amers sur les déconvenues du parti còntraire. La légèreté française périt, le sérieux prit sa place, et tellement sa place, que les gens aimables d'un autre siècle font tache dans les salons de 1825.

Miroir (petit journal fort libéral et très-spirituel), mars 1823.

Comme nous n'avons pas d'universités à l'allemande, la conversation faisait autrefois toute l'éducation d'un Français; aujourd'hui, c'est la conversation et le journal.

CHAPITRE VI.

DES HABITUDES DE LA VIE, PAR RAPPORT A LA LITTÉRATURE

Je vois les gens de ma connaissance passer six mois dans l'oisiveté de la campagne. La tranquillité des champs a succédé à l'anxiété des cours et à l'agitation de la vie de Paris1. Le mari fait cultiver ses terres, la femme dit qu'elle s'amuse, les enfants sont heureux; sans besoin d'idées nouvelles, arrivant de Paris, ils courent et gambadent dans les bois, ils mènent la vie de la nature.

De telles gens, à la vérité, ont appris de leurs pères à dire que le moindre manque de dignité les choque dans les ouvrages de l'esprit; que la moindre convenance blessée les dégoûte. Le fait est que, s'ennuyant beaucoup, que, manquant absolument d'idées nouvelles et amusantes, ils dévorent les plus mauvais romans. Les libraires le savent

↑ Mémoires de madame d'Épinay, genre de vie de M. de Francueil,

son amant.

bien, et tout ce qu'il y a de trop plat, pendant le reste de l'année, est par eux réservé pour le mois d'avril, le grand moment des départs et des pacotilles de campagne.

Ainsi l'ennui a déjà brisé toutes les règles pour le roman; l'ennui! ce dieu que j'implore, le dieu puissant qui règne dans la salle des Français, le seul pouvoir au monde qui puisse faire jeter les Laharpe au feu. Du reste, la révolution dans le roman a été facile. Nos pédants, trouvant que les Grecs et les Romains n'avaient pas fait de romans, ont déclaré ce genre au-dessous de leur colère ; c'est pour cela qu'il a été sublime. Quels tragiques, suivants d'Aristote, ont produit, depuis un siècle, quelque œuvre à comparer à Tom Jones, à Werther, aux Tubleaux de famille, à la Nouvelle Héloïse ou aux Puritains? Comparez cela aux tragédies françaises contemporaines; vous en trouverez la triste liste dans Grimm.

De retour à la ville à la fin de novembre, nos gens riches, assommés de six mois de bonheur domestique, ne demanderaient pas mieux que d'avoir du plaisir au théâtre. La seule vue du portique des Français les réjouit, car ils ont oublié l'ennui de l'année précédente; mais ils trouvent à la porte un monstre terrible : le bégueulisme, puisqu'il faut l'appeler par son nom.

Dans la vie commune, le bégueulisme est l'art de s'offenser pour le compte des vertus qu'on n'a pas; en littérature, c'est l'art de jouir avec des goûts qu'on ne sent point. Cette existence factice nous fait porter aux nues les Femmes savantes et mépriser le charmant Retour imprévu.

A ces mots malsonnants, je vois la colère dans les yeux des classiques. Eh! messieurs, ne soyez en colère que pour ce qui vous y met réllement. La colère est-elle donc un sentiment si agréable?-Non, certes; mais, en fronçant le sourcil aux farces de Regnard, nous avancerons notre réputation de bons littérateurs.

Le bon ton court donc les rues; car il n'est pas de calicot qui ne siffle Molière ou Regnard, à tout le moins une fois l'an. Cela lui est aussi naturel que de prendre, en entrant au café, l'air militaire d'un tambour-major en colère. On dit que la pruderie est la vertu des femmes qui n'en ont pas; le bégueulisme littéraire ne serait-il point le bon goût de ces gens que la nature avait faits tout simplement pour être sensibles à l'argent, ou pour aimer avec passion les dindes truffées?

Une des plus déplorables conséquences de la corruption du siècle, c'est que la comédie de société ne trompe plus personne en littérature, et si un littérateur affecté réussit encore à faire illusion, c'est qu'on le méprise trop pour le regarder deux fois.

Ce qui fit le bonheur de la littérature sous Louis XIV, c'est qu'alors c'était une chose de peu d'importance'. Les courtisans qui jugèrent les chefs-d'œuvre de Racine et de Molière furent de bon goût, parce qu'ils n'eurent pas l'idée qu'ils étaient des juges. Si, dans leurs manières et

« Le bonhomme Corneille est mort ces jours-ci, » dit Dangeau Aujourd'hui il y aurait quatre discours prononcés au Père-Lachaise, et le lendemain insérés au Moniteur.

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