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sorte, à l'état embryonnaire : elles n'ont point, à vrai dire, rang dans la société; elles sont, comme la cuisson des aliments, des annexes de l'industrie domestique; et elles pourvoient aux besoins les plus indispensables qui se rapportent à l'habitation, à l'ameublement, au vêtement, à la sécurité et aux récréations de la famille; enfin à cette multitude de détails qu'embrasse la vie publique ou privée d'un voisinage. Dans la seconde époque, qui commence en Occident vers le milieu du moyen âge, quand le territoire, complétement occupé, est approprié aux trois constitutions de la propriété foncière (IV, In. 3 à 5), l'industrie manufacturière se sépare de la vie domestique. Adoptant des méthodes de travail perfectionnées, elle substitue, à l'effort de l'homme, celui des moteurs inanimés; elle développe rapidement des établissements spéciaux, épars dans les campagnes, ou bien elle s'agglomère en certaines localités, en créant des villes populeuses. Enfin, la force de la vapeur multiplie les moteurs inanimés; et les engins mécaniques, substituant leur action à celle des mains, transforment aujourd'hui, en une révolution brusque, l'évolution lente des cinq derniers siècles. Les populations manufacturières envahissent, par une impulsion irrésistible, tous les territoires contigus aux bassins carbonifères. Dix hommes, préposés, dans une usine moderne, à la direction de ces moteurs et de ces engins, fabriquent la quantité de produits qui exigeait autrefois, dans les ateliers domestiques, le concours de cent ouvriers. Toutefois, dans ces nouvelles conditions, les prix de fabrication sont tellement réduits et les débouchés s'étendent à ce point qu'en définitive la population manufacturière est souvent décuplée.

Le commerce ne crée, ni ne façonne, aucun produit ; et, en cela, il diffère de toutes les autres industries; mais il est pour elles un auxiliaire toujours utile, souvent indis

pensable. Il achète, conserve, transporte et vend les matières, les instruments et les autres moyens d'action nécessaires aux producteurs. Il rend les mêmes services aux consommateurs des produits marchands. Comparé aux autres industries, le commerce, pour manier une quantité donnée de marchandises, emploie un nombre d'ouvriers relativement faible. Cependant il contribue beaucoup à augmenter la population d'une contrée, soit en procurant un débouché aux produits qu'elle fabrique, soit en y important les matières premières et les objets, de toutes sortes, nécessaires à ses ateliers de travail. Ce double mouvement s'opère surtout, de nos jours, au profit des rivages carbonifères. Des populations nombreuses sont agglomérées dans plusieurs localités de l'Angleterre, pour fabriquer des produits dont la matière première et le débouché ne se trouvent pas sur le sol anglais. Ainsi, par exemple, le Pays de Galles expédie dans toutes les parties du monde des cuivres fabriqués avec des minerais importés de l'Amérique et de l'Australie; le Lancashire livre également au monde entier des tissus de coton dont la matière est fournie en totalité par les pays étrangers. Il n'y a, pour ainsi dire, pas de limites à l'accroissement que la population peut recevoir, sur un territoire riche en houillères, par l'alliance du commerce et de l'industrie manufacturière. Sous ce rapport, la Grande-Bretagne reproduit, de nos jours, sur une plus grande échelle, les phénomènes d'agglomération et de richesse que présentèrent Tyr, Carthage et les autres peuples manufacturiers ou commerçants de l'antiquité. La population de l'Angleterre, qui dépassait à peine 2 millions au x1° siècle, sous le régime rural, pastoral et forestier des Saxons, a atteint, aux époques suivantes, les développements indiqués ciaprès au XVe siècle, 3 millions, après l'établissement

des premières manufactures rurales et urbaines; au xvio, 6 millions, après la création des usines à moteurs hydrauliques et le développement donné au commerce étranger, sous le protectorat de Cromwell; au commencement du xix, 9 millions, trente ans après les premiers effets de la machine à filer et des machines à vapeur. En ce moment, l'âge de la houille et des engins mécaniques montre plus que jamais sa force d'agglomération : au recensement de 1851, la population s'est élevée à 18 millions; elle s'accroît à raison de 2 millions en dix années; et, en 1881, elle atteindra vraisemblablement 24 millions.

$ 5.

COMMENT LES SOCIÉTÉS, APRÈS S'ÊTRE FORTIFIÉES PAR LA COMPLICATION DE LEUR EXISTENCE, S'AFFAIBLISSENT, S'ÉBRANLENT ET SE DÉSORGANISENT, EN ABUSANT DE LA RICHESSE, DE LA SCIENCE ET DU POUVOIR, DÉVELOPPÉS PAR LA PROSPÉRITÉ.

Les peuples qui se sont ainsi fortifiés par l'emploi judicieux de leur territoire et par l'organisation intelligente de leurs travaux ont eu le même point de départ. Ils sont sortis de l'une de ces races patriarcales, à existence simple, que j'ai précédemment décrites (3); et tous ont trouvé le principe de leurs succès dans les coutumes fondées par leurs ancêtres sur la pratique du Décalogue. Toutefois, là s'arrête l'analogie. Les peuples prospères n'ont point atteint le but en suivant tous la même voie; ou, plutôt, ils n'y ont guère persévéré. Ils se sont souvent égarés en abandonnant le fil conducteur que leur fournissait la loi suprême. En général, ces temps d'arrêt ou de recul sont survenus au milieu même des circonstances qui semblaient avoir assuré aux

peuples les trois éléments de la prospérité. A quelques nuances près, l'histoire du passé et l'observation du présent nous montrent les mêmes caractères dans ces phénomènes alternatifs de progrès et de décadence.

La substitution de l'agriculture au régime des productions spontanées accroît la sécurité de la vie matérielle. En raison de leur variété, les produits agricoles ne souffrent pas tous, autant que les herbes, des termes extrêmes de chaleur et de froid, de sécheresse et d'humidité: ils mettent donc les populations à l'abri des disettes cruelles qu'infligent aux pasteurs nomades les épizooties et les désordres de l'atmosphère. Les agglomérations d'hommes que crée la vie sédentaire donnent un autre élément de sécurité elles augmentent la force des armées qui défendent le territoire contre des agressions injustes. La propriété foncière se constitue sous ses trois formes naturelles (IV, In. 3 à 5) : elle devient l'appui de la hiérarchie rurale qui est le fondement de toute société stable et prospère (III, IV, 19). Aux trois degrés de cette hiérarchie se conservent les grandes forces sociales: chez le bordier, la frugalité liée à l'exiguïté des ressources et l'énergie physique indispensable aux travaux des arts usuels ; chez le paysan, les vertus usuelles assurées par la possession d'une fortune modeste, garanties contre la mauvaise impulsion d'un maître par la libre direction d'une propriété individuelle; enfin, chez les grands propriétaires, les hautes vertus du patronage, garanties par les sentiments d'honneur et de devoir. L'initiation à ces sentiments a toujours été l'enseignement principal transmis à leurs héritiers par les familles placées au sommet de la hiérarchie agricole. Cet enseignement donné par la tradition des ancêtres et par la pratique journalière de la famille peut, à la rigueur, se résumer en une vérité. La possession

d'un grand domaine rural est liée étroitement à trois obligations à la conservation des races stables de tenanciers; au soulagement de certains malheurs privés; au service gratuit des principaux intérêts publics.

Une société qui se complique ainsi, en restant fidèle au Décalogue et aux coutumes qui en émanent, développe sans secousse les trois éléments de la prospérité. L'exploitation intelligente du sol, complétée par le bon ordre de la vie privée et de la vie publique, crée partout une puissante réserve de denrées, de métaux et des autres matières utiles. La richesse constituée par l'accumulation de ces produits conjure toutes les formes de la souffrance; et, tout au moins, elle y porte remède. Elle fait pénétrer le bien-être dans toutes les couches de la société et favorise la mission de paix confiée aux gouvernants. Elle permet à la minorité studieuse de procurer à la nation les bienfaits émanant des arts libéraux et surtout des cultures intellectuelles. La science, créée par ces cultures, augmente beaucoup les forces physiques de l'homme; elle féconde les forces morales inculquées à l'enfance par les méthodes traditionnelles; les classes dirigeantes, mieux instruites, voient plus clairement la grandeur de Dieu, la destinée de l'homme et l'étendue de leurs propres devoirs. Sous l'influence de cet enseignement, le pouvoir exercé par les gouvernants acquiert ses deux caractères essentiels : il donne, dans tous ses actes, le bon exemple aux particuliers; et, en réprimant avec justice les défaillances de la nature humaine, il crée la paix et la stabilité.

Quand les peuples reviennent à cette heureuse condition par un retour à la loi morale, ils ne remontent pas tous au même niveau. Cependant, ils offrent, aux bonnes époques, au moins deux caractères communs. A l'intérieur, ils réunissent toutes les classes de la société dans le senti

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