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N'entre qu'à peine en la pensée.
La majesté de vos Autels
Elle même en eft offenféc:
Car fachez que les Immortels

Ont les regards fur nous. Graces à vos exemples; Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur, De mépris d'eux, & de leurs Temples, D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne fuffit aux gens qui nous viennent de Rome;
La terre, & le travail de l'homme

Font pour les affouvir des efforts fuperflus,
Retirez-les; on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes,

Nous quittons les Citez, nous fuyons aux montagnes,
Nous laiffons nos cheres compagnes.

Nous ne converfons plus qu'avec des Ours affreux,
Découragez de mettre au jour des malheureux;
Et de peupler pour Rome un païs qu'elle opprime.
Quant à nos enfans déja nez

Nous fauhaitons de voir leurs jours bien-tôt bornez:
Vos Preteurs au mal-heur nous font joindre le crime.
Retirez-les, il ne nous apprendront
Que la molleffe, & que le vice.

Les Germains comine eux deviendront
Gens de rapine & d'avarice.

C'est tout ce que j'ai veu dans Rome à mon abord:
N'a-t-on point de prefent à faire?

Point de pourpre à donner? c'eft en vain qu'on efpere
Quelque refuge aux loix: encor leur ministere
A-t'il mille longueurs. Ce difcours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Puniffez de mort
Une plainte un peu trop fincere.

A

A ces mots il fe couche, & chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon fens, l'éloquence
Du fauvage ainfi posterné.

On le créa Patrice; & ce fut la vengeance,
Qu'on crut qu'un tel difcours méritoit. On choifit
D'autres Preteurs, & par écrit

Le Senat demanda ce qu'avoit dit cét homme,
Pour fervir de modele aux parleurs à venir.
On ne fçut pas long-temps à Rome
Cette éloquence entretenir.

CCXII.

Le vieillard & les trois jeunes hommes.

N octogenaire plantoit,

Une concorde batir; mais planter à cét âge!

Difoient trois jouvenceaux enfans du voisinage, Affurément il radotoit.

Car au nom des Dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez vous recueillir?
Autant qu'un Patriarche il vous faudroit vieillir.
A quoi bon charger vôtre vie

Des foins d'un avenir qui n'eft pas fait pour vous;
Ne fongez deformais qu'à vos erreurs paffées;
Quittez le long efpoir, & les vastes pensées?
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous mêmes,
Repartit le Vieillard. Tout établissement
Vient tard & dure peu. La main des Parques blémes.
De vos jours, & des miens fe jouë également.

Nos

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Nos termes font pareils par leur courte durée. Il
Qui de nous des clartez de la vôute azurée
Doit jouir le dernier? Eft-il 'aucun moment
Qui vous puiffe affurer d'un fecond feulement ?
Mes arriere-neveux me devront cét ombrage:
Hé bien défendez-vous au Sager

De fe donner des foins pour le plaifir d'autrui ?'
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui:
J'en puis jouir demain, & quelques jours encore;
Je puis enfin conter l'Aurore di 60

Plus d'une fois fur vos tombeaux.

Le Vieillard eut raifon; l'un des trois jouvenceaux
Se noia dés le port aliant à l'Amerique.

L'autre afin de monter aux grandes dignitez,
Dans les emplois de Mars fervant la Republique,
Par un coup impréveu vit fes jours emportez.
Le troifiéme tomba d'un arbre,
Que lui-même il voulut enter;.

Et pleurez du. Vieillard, il grava fur leur marbro
Ce que je viens de raconter.

رو

CCXIII.

Les Souris 5 le Chat-buant.

L ne faut jamais dire aux gens,

Ecoûtez un bon mot, oyez une merveille;
Savez-vous fi les écoûtans

En feront une eftime à la vôtre pareille?
Voici pourtant un cas qui peut étre excepté.
Je le maintiens prodige, & tel que d'une Fable,
Z

Il a l'air & les traits, encor que veritable.
On abatit un pin pour fon antiquité,

Vieux Palais d'un hibou, trifte & fombre retraite
De l'oifeau qu'Atropos prend pour fon interprete.
Dans fon trone caverneux; & miné par le temps
Logeoient entre autres habitans and bla
Force fouris fans pieds, toutes rondes de graiffe.
L'oifeau les nourriffoit parmi des tas de blé,
Et de fon bec avoit leur troupeau mutilé;
Cét Oyfeau raifonnoit. Il faut qu'on le confeffe
En fon temps aux Souris le compagnon chaffa
Les premieres qu'il prit du logis échapées,
Pour y remedier, le drôle eftropia

Tout ce qu'il prit en fuite. Et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeoit à fa commodité,
Aujourd'hui l'une, & demain l'autre.

Tout manger à la fois, l'impoffibilité
S'y trouvoit, joint auffi le foin de fa fanté.
Sa prévoiance alloit auffi loin que la nôtre;
Elle alloit jufqu'à leur porter

Vivres & grains pour fubfifter.
Puis qu'un Cartefien s'obstine
A traiter ce hibou de montre, & de machine.
Quel reffort lui pouvoit donner

Le confeil de tronquer un peuple mis en muë?
Si ce n'eft pas là raisonner,

La raifon m'est chose inconnuë.
Voiez que d'argumens il fit.

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Quand ce peuple eft pris il s'enfuit:

Donc il faut le croquer auffi-tôt qu'on le hape.
Tout; il eft impoffible. Et puis pour le befoin::
N'en dois-je pas garder? donc il faut avoir foin
De le nourrir fans qu'il échape. 21• 1:1་

Mais comment? drons Tui les pieds. Or trouvez moi Chofe par les humains à fa fin mieux conduite. Quel autre art de penfer Ariftote & fa fuite HAT Enfeignent-ils par vostre foy?

Cecy n'eft point une Fable, & la chofe quoy que merveillenfe & prefque incroyable, eft veritablement arrivée. Fay peut-eftre porté trop loin la prévoiance de ce hibou; car je ne pretends par établir dans les beftes un progrés de raisonnement tel que cez luy-cy; mais ces exagerations font permifes à la Poefie, fur tout dans la maniere d'écrire dont je me fers.

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Eft ainfi que ma Mufe,aux bords d'une onde pure, Traduifoit en langue des Dieux Tout ce que difent fous les Cieux

,

Tant d'eftres empruntans la voix de la nature.
Truchemant de peuples divers

Je les faifois fervir d'Acteurs en mon Ouvrage:
Car tout parle dans l'Univers;

Il n'eft rien qui n'ait fon langage.

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Plus éloquens chez eux qu'ils ne font dans mes vers.
Si ceux que j'introduis me trouvent peu fidele.
Si mon œuvre n'eft pas un affez bon modele,
J'ai du moins ouvert le chemin :`---
D'autres pourront y mettre une derniere main..
Favoris des neufs Soeurs achevez l'entreprise:
Donnez mainte leçon que j'ay fans doute omife:
Z 2

Sous

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