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CXLIX.

Le Rieur & les Poiffons.

N cherche les Rieurs & moy je les évite.

Dieu ne crea que pour les fots
Les méchans difeurs de bons mots.
J'en vais peut-etre en une Fable
Introduire un; peut-être au ffi

Que quelqu'un trouvera que j'auray reüffi.
Un Rieur étoit à la table

D'un Financier ; & n'avoit en fon coin
Que de petits poiffons; tous les gros étoient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille;
Et puis il feint à la pareille
D'écouter leur réponse. On demeura furpris :
Cela fufpendit les efprits.

Le Rieur alors d'un ton fage,
Dit qu'il craignoit qu'un fien am ;
Pour les grandes Indes party,

N'eût depuis un an fait naufrage.
Il s'en informoit donc à ce menu fretin:
Mais tous luy répondoient qu'ils n'étoient pas d'un
âge

A fçavoir au vray fon deftin;

Les gros en fçauroient davantage.

N'en puis-je donc, Meffieurs, un gros interroger?
De dire fi la compagnie

Prit gout à fa plaifanterie,
Q

J'en

J'en doute; mais enfin, il les fceut engager

A luy fervir d'un monftre affez vieux pour luy dire Tous les noms des chercheurs de Mondes inconnus, Qui n'en étoient pas revenus,

Et

que depuis cent ans fous l'abyfme avoient veus Les anciens du vafte empire.

CL.

Le Rat & l'Huitre.

UNRat hôte d'un champ, Rat de peu de cervelle,

Des Lares paternels un jour fe trouva fou.

Il laiffe là le champ, le grain, & la javelle,
Va courir le pais, abandonne fon trou.
Si-tôt qu'il fut hors de la cafe,

Que le Monde, dit-il, eft grand & spacieux !
Voilà les Apennins, & voici le Caucafe;
La moindre Taupinée étoit mont à fes yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thetis fur la rive
Avoit laiffé mainte Huitre; & nôtre Rat d'abord
Crût voir en les voyant des vaiffeaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon pere étoit un pauvre Sire:
Il n'ofoit voyager, craintif au dernier point:
Pour moy, j'ay déja veu le maritime empire:
J'ay paffé les deferts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain magifter le Rat tenoit ces chofes,
Et les difoit à travers champs;

N'étant pas de ces Rats qui les livres rongeans
Se font fçavans jufques aux dents.

Par

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Parmy tant d'Huitres toutes closes
Une s'étoit ouverte, & bâillant au Soleil,
Par un doux Zephir réjouïe,

Humoit l'air, refpiroit, étoit épanouic,
Blanche, graffe, & d'un gout à la voir nompareil.
D'auffi loin que le Rat voit cette Huitre qui bâille,
Qu'apperçois-je ? dit-il, c'eft quelque victuaille;
Et fi je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'huy bonne chere, ou jamais.
Là deffus maitre Rat plein de belle esperance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
Se fent pris comme aux lacs, car l'Huitre tout d'un
coup

Se referme, & voilà ce que fait l'ignorance.

Cette Fable contient plus d'un enfeignement.
Nous y voyons premierement;

Que ceux qui n'ont du monde aucune experience,
Sont aux moindres objets frappez d'étonnement:
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel eft pris qui croyoit prendre,

CLI.

L'Ours l'Amateur des Jardins.

Ertain Ours montagnard, Ours à demi leche, Confiné par le fort dans un bois folitaire, Nouveau Bellerophon vivoit feul & caché. Il fut devenu fou; la raifon d'ordinaire N'habite pas long-temps chez les gens fequeftrez: Heft bon de parler, & meilleur de fe taire, Q 2

Mais

Mais tous deux font mauvais alors qu'ils font outrez
Nul animal n'avoit affaire

Dans les lieux que l'Ours habitoit;
Si bien que tout Ours qu'il étoit
Il vint à s'ennuyer de cette trifte vie.
Pendant qu'il fe livroit à la mélancholie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyoit auffi de fa part.

Il aimoit les jardins, étoit Prétre de Flore.
Il l'étoit de Pomone encore:

Ces deux emplois font beaux;Mais je voudrois parmy,
Quelque doux & difcret amy.

Les jardins parlent peu; fi ce n'est dans mon livre;
De façon que laffé de vivre

Avec des gens muets nôtre homme un beau matin
Va chercher compagnie, & fe met en campagne.
L'Ours porté d'un même deffein
Venoit de quitter fa montagne :
Tous deux par un cas furprenant
Se rencontrent en un tournant.
L'homme eut peur ; mais comment cfquiver, & que
faire ?

Se tirer en Gafcon d'une femblable affaire
Eft le mieux: Il fceut donc diffimuler fa peur.
L'Ours tres-mauvais complimenteur

Luy dit; Vien t'en me voir. L'autre reprit, Seigneur,
Vous voyez mon logis; fi vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ay des fruits, j'ay du lait : Ce n'est peut-être pas
De Noffeigneurs les Ours le manger ordinaire,
Mais j'offre ce que j'ay. L'Ours l'accepte; & d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver.
Arrivez, les voilà, fe trouvant bien ensemble.

Et

Et bien qu'on foit, à ce qu'il femble
Beaucoup mieux feul qu'avec des fots,

Comme l'Ours en un jour ne difoit pas deux mots,
L'homme pouvoit fans bruit vaquer à fon ouvrage.
L'Ours alloit à la chaffe, apportoit du gibier,
Faifoit fon principal métier
D'étre bon émoucheur, écartoit du visage
De fon amy dormant ce parafite aiflé
Que nous avons mouche apellé.

Un jour que le veillard dormoit d'un profond fomme,
Sur le bout de fon nez une allant fe placer
Mit l'Ours au defefpoir, il eut beau la chaffer.
Je t'attraperay bien, dit-il. Et voici comme.
Auffi-tôt fait que dit; le fidele émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Caffe la tête l'homme en écrazant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu fur la place il le couche.
Rien n'eft fi dangereux qu'un ignorant amy;
Mieux vaudroit un fage ennemy.

CLII.

Les deux Amis,

Eux vrais amis vivoient au Monomotapa:
L'un ne poffedoit rien qui n'apartint à l'autre ;
Les amis de ce païs là

Valent bient dit-on ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupoit au fommeil,
Et mettoit à profit l'abfence du Soleil,

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