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BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE

DE GENÈVE.

DES REVUES EN GÉNÉRAL

ET DE LA BIBLIOthèque univerSELLE EN PARTICULIER.

On trouverait difficilement, à l'époque où nous vivons, une seule personne ayant reçu une éducation libérale qui ne lise son journal tous les matins et sa revue tous les soirs. Est-ce un bien? est-ce un mal? Question oiseuse, à laquelle il suffit de répondre par ces trois mots : c'est une nécessité. - Toutefois cette réponse, suffisante pour le grand nombre, ne l'est peut-être aux yeux de ceux qui entreprennent un travail de ce genre. Il faut à ceux-ci quelque chose de plus pour encourager leurs efforts et ennóblir leur tâche; il leur faut la conscience, que si ce besoin, totalement inconnu il y a un siècle, est devenu tellement impérieux, c'est qu'il a pour origine des mobiles bien plus puissants que le mode ou la simple fantaisie d'esprits oisifs et cultivés, et pour résultat un accroissement de lumières et de nobles jouissances. Ce besoin, si généralement senti, est évidemment la conséquence naturelle du prodigieux mouvement d'idées et de faits qui s'entassent tous les jours depuis le commencement de ce siècle, dans une progression constamment croissante, en sorte que sous peine de demeurer un véritable Épiménide, il est indispensable de suivre plus ou moins ce mouvement, dont la puissance entraîne ceux mêmes qui affectent ou essaient d'y demeurer complétement étrangers. Quelques réflexions suffiront pour le faire sentir à nos lecteurs.

L'histoire ne présente à aucune époque une période dans laquelle l'activité humaine ait accumulé, en moins de temps que dans le demi-siècle qui vient de s'écouler, une succession d'événements de toute nature, aussi considérables par leur nombre que par leur importance. Ce demisiècle, en effet, s'ouvre sous les derniers feux d'une révolution qui avait remué la société jusque dans ses fondements, puis il en voit naître successivement, en 1830 et 1848, deux autres, échos affaiblis, il est vrai, de la première, mais symptômes évidents cependant de l'état de bouillonnement dans lequel sont encore les esprits. Il inaugura ses quinze premières années par ces luttes gigantesques qui changent chaque jour la face de l'Europe, jusqu'au moment où une paix chèrement achetée vient donner au continent la physionomie territoriale qu'il a su jusqu'à ce jour, et non sans difficulté, conserver à peu près intacte. Puis pendant cette longue période de paix à peu près universelle, des changements de forme dans les gouvernements, fréquemment répétés, viennent attester la prodigieuse mobilité de cette race européenne, si intelligente et si passionnée en même temps, et dont l'activité dévorante cherche constamment de nouveaux aliments. A partir de 1789, que de dates viennent enregistrer chacune de ces grandes secousses qui semblent avoir remplacé dans l'ordre moral celles que dans l'ordre physique le globe terrestre éprouvait de temps à autre, à la grande épouvante des nations. Dix-huit brumaire, 1804, 1814, 1815, 1830, 1848, 1852. Un seul des grands événements que rappelle chacune de ces dates aurait suffi jadis à défrayer un siècle. Et non-seulement par eux-mêmes, mais par le nombre incalculable de conséquences qu'ils entraînent avec eux, ils touchent à tous les intérêts, soit moraux,

soit matériels, et amènent ainsi l'obligation de se tenir jour à jour au courant de ce qu'on appelle les faits politiques. Il n'est pas nécessaire d'aller chercher plus loin le secret de l'empire toujours croissant du journalisme, et d'expliquer comment la lecture des journaux est entrée si avant dans les habitudes générales.

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Mais les faits ne marchent jamais seuls les idées les accompagnent comme souvent aussi elles les précèdent. L'activité d'esprit, le mouvement de l'intelligence s'intercalent toujours, lorsqu'ils ne sont pas simultanés avec eux, entre les événements qui agitent la société. Le calme plat ne peut pas succéder à la tempête, l'agitation seulement change de forme. Aux luttes de la guerre succèdent celles de la tribune, au besoin de conquêtes territoriales celui de conquêtes intellectuelles et industrielles, aux querelles politiques les querelles religieuses. Il faut toujours à cette société nouvelle qu'a inaugurée le siècle où nous vivons, un aliment à dévorer, un but à poursuivre; la halte serait pour elle la mort.

Le journal quotidien peut bien jusqu'à un certain point tenir ses lecteurs au courant de ce mouvement intellectuel, mais il ne suffit pas aux esprits cultivés, aux penseurs sérieux et aux hommes spéciaux. Les intelligences de cet ordre n'ont pas seulement besoin de connaître les faits, les découvertes et leurs résultats, mais elles tiennent à être initiées à la cause des faits, à l'origine des découvertes, à la marche de l'esprit qui y a conduit leurs auteurs. Il leur faut à la fois de la critique et de l'histoire; en un mot, ils exigent des matériaux suffisants pour asseoir eux-mêmes leur jugement, sans se contenter de le recevoir tout fait. C'est ce

genre de besoin que la Revue a surtout pour but de satisfaire. Rédigée avec plus de maturité que le simple journal,

susceptible de consacrer un beaucoup plus grand développement aux sujets qu'elle traite, elle peut, dans bien des cas, remplacer les ouvrages originaux par l'analyse qu'elle en donne, et agrandir la sphère des connaissances de ses lecteurs, sans exiger d'eux un travail que son étendue rendrait impraticable pour la plupart d'entre eux.

On a fait, il est vrai, à ce mode de publication une objection qui n'est pas sans force, et sur laquelle il nous paraît nécessaire de nous arrêter un instant. La lecture des revues empêche, dit-on, celle des ouvrages sérieux, elle crée ainsi des esprits superficiels, en remplaçant par un ensemble de notions plus ou moins mal digérées sur toutes choses, ces connaissances solides, quoique plus limitées peut-être, que donnait jadis l'habitude de vivre d'une manière plus intime avec les grands écrivains.

Cette objection, quoique plus applicable à la lecture des journaux quotidiens qu'à celle des revues, n'est pas cependant sans fondement, il faut en convenir, même lorsqu'il s'agit de celles-ci. Mais on peut se demander d'abord si les lecteurs superficiels que crée l'existence des journaux et même celle des revues, auraient été des esprits bien profonds et se seraient nourris des ouvrages sérieux, à l'époque où il n'y avait ni journaux ni revues; il est permis d'en douter, et il est assez probable que ces mêmes hommes auraient figuré dans le nombre si considérable des esprits légers que présente cette époque. Il y a plus, il serait facile de montrer que le nombre absolu des intelligences fortes et laborieuses, loin d'avoir diminué, a plutôt augmenté depuis que se sont accrus les moyens de diffusion des connaissances, et cela par une très-bonne raison, c'est que plus il y a d'appelés, plus il y a d'élus. On peut dire même que si le journal est devenu une nécessité pour

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