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d'une philosophie négative, mais d'une réforme conservatrice des principes essentiels de l'État. >>

Au reste, les protestants ne s'associèrent pas d'une manière décidée aux tendances vers une réforme politique : ces idées nouvelles leur semblaient des alliés puissants, mais dangereux, de leurs propres idées religieuses. Ils ne surent pas non plus se tenir nettement en dehors du parti novateur; ils reculaient devant l'immensité de la tâche qu'il aurait fallu accomplir pour transformer la France; et cependant ils sentaient qu'une transformation semblable pouvait seule leur garantir la sécurité domestique et le libre emploi de leurs facultés.

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En attendant que la couronne se résolût à des concessions d'une extrême gravité ou bien à une résistance obstinée, le célèbre « Colloque de Poissy » conduisit, non point à un accord sur les doctrines religieuses, mais à la publication d'un premier « édit de tolérance,» dont le chancelier de Lhôpital a l'immortel honneur d'avoir été non-seulement le rédacteur, mais encore l'inspirateur et le soutien.

Cet édit, plusieurs fois révoqué, violé plus fréquemment encore, renouvelé après chaque soulèvement heureux des protestants, devenu enfin, par la volonté ferme et la puissance victorieuse de Henri IV, loi permanente de l'État, cet édit, qui nous semble, à bon droit, n'accorder aux dissidents qu'une justice fort incomplète, n'en constituait pas moins, à l'époque où il fut rendu, un changement absolu des bases sur lesquelles l'État politique reposait depuis le baptême de Clovis. Jamais, dans cette suite de onze siècles, il n'avait été question de séparer l'Église de l'État; l'un et l'autre avaient les mêmes principes; on ne regardait pas comme sérieusement possible que deux confessions enne

mies puissent vivre à côté l'une de l'autre dans un même corps politique, sans en venir aux mains, ou sans causer, par le fait de leur opposition déclarée, une anarchie destructive de l'État. La félicité des temps récents est d'avoir compris que le principe contraire est seul vrai; la malédiction des temps actuels serait d'abandonner ce principe de réconciliation et de salut, pour revenir, par les anciennes oppressions, aux anciennes luttes et à l'ancienne corruption.

Jusqu'à son dernier soupir, Calvin fit tous ses efforts pour empêcher l'explosion d'une guerre civile en France; <«et cependant, lorsque les passions politiques et religieuses sont déchaînées, il s'en faut bien que la guerre ouverte soit le plus grand des malheurs qu'une nation puisse subir.» Les assassinats judiciaires et autres dégradent infiniment plus les caractères, et laissent après eux des haines infiniment plus atroces que les combats livrés à la face des hommes, et dont la décision appartient à Dieu.

L'assassinat entra de bonne heure dans le tissu des calamités que les haines religieuses déchaînèrent sur la France; on commença par le massacre de Vassy, puis vint le meurtre du duc de Guise, et enfin la boucherie de la Saint-Barthélemy. M. Ranke, suivant les données les plus modérées réduit à vingt-deux mille, dans toute la France, le nombre des victimes de cette exécrable nuit. Il ajoute, avec trop de raison, que dans les nations romaines, jusqu'à nos jours, la doctrine des représailles, mère d'incroyables atrocités, a conservé toute sa puissance. Il insiste sur ce fait, que dans la lutte, engagée les armes à la main, l'an 1560, la population de Paris, en s'attachant à la cause catholique avec une violence que les Espagnols eux-mêmes ne purent surpasser, rendit un

Litt. T. XXII.

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service inappréciable aux ennemis de la Réforme. Il y avait en 1562, à Paris, vingt mille huguenots, vraisemblablement un vingtième de la population totale; mais ils ne tardèrent point à se disperser, et jamais ils ne purent reprendre pied dans cette grande cité qui, depuis le règne de Louis XI, décidait, en définitive, du sort de tout le pays.

M. Ranke fait observer pareillement que les guerres de religion, en France, portèrent le caractère de guerres générales, sur une petite échelle, il est vrai: car toutes les nations belligérantes de l'Europe occidentale y étaient représentées par des auxiliaires de l'un ou de l'autre des partis, et toutes les causes, débattues les armes à la main dans ce même Occident, attendaient leur solution de la catastrophe du drame sanglant qui se jouait alors en France. Les catholiques appelèrent à leur secours des troupes suisses, wallones, espagnoles, italiennes; les protestants firent aussitôt alliance avec la reine d'Angleterre et les princes réformés d'Allemagne, dont ils reçurent des auxiliaires nombreux.

Dans le principe on tint, de part et d'autre, soigneusement et sincèrement les causes politiques en dehors du débat, qui était primitivement d'une nature purement religieuse. Mais la force des choses amena la fusion des intérêts analogues dans l'ordre temporel et l'ordre spirituel. En France, le parti protestant, dont toute la force reposait dans la noblesse réformée, et qui ne voulait jamais reconnaître pour chefs que des princes du sang royal', combattit sans relâche pour les libertés publiques, mais

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L'amiral de Coligny ne fait pas exception à cette règle. Il fut, pour un temps, le généralissime du parti huguenot; le roi de Navarre ou le prince de Condé en était alors le chef.

les libertés entendues dans un sens tout aristocratique; ce parti voulait une autorité royale très-puissante, modérée toutefois par un conseil de seigneurs, et dont l'ordre équestre serait tout à la fois l'exécuteur et l'appui. Le parti catholique, fortifié par l'adhésion de la multitude et dirigé par l'esprit supérieur de Philippe II, conduisit par ses triomphes à l'oppression temporaire de la démagogie et à la consolidation durable du despotisme. Le caractère tout espagnol du parti catholique, dans ses différentes ramifications, ne peut être méconnu par aucun observateur qui sait l'histoire des deux pays. Les ligueurs furent des comuneros violents; et les conseils de Charles IX finirent par penser, comme le duc d'Albe, « qu'il vaut mieux avoir un royaume ruiné, en le conservant pour Dieu et le roi, que de l'avoir tout entier, au profit du démon et des hérétiques ses sectateurs 1. »

Contre de telles tendances, qui pouvait reprocher aux huguenots de stipuler la remise des « places de sûreté, » qui faisaient, à la vérité, un État dans l'État, et quelquefois contre l'État? Quatre seulement furent concédées dans le principe: La Rochelle, Cognac, Montauban el La Charité-sur-Loire. Mais une paix conclue avec de telles conditions n'était qu'une trêve armée; celle-ci fut rompue par le massacre de la Saint-Barthélemy.

(La suite au prochain numéro.)

'Lettre d'Alba à Philippe II, ap. Ranke, p. 281.

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UN ÉPISODE

DE

LA GUERRE DE CALABRE EN 1806.

(Suite et fin 1.)

Une heure après la scène que je viens de vous raconter, j'étais le fiancé d'une belle fille, qui seize ans auparavant avait été baptisée sous le nom de Rafaëlla Sporuzzi, et ce que vous n'auriez peut-être pas deviné, c'est que déjà je l'aimais éperdûment, comme on aime quand on a dix-neuf ans, et qu'on aime pour la première fois.

Lors même que je me suis trompé, mon ami, en croyant vous ménager la surprise de ce dénouement, il est essentiel qu'avant de poursuivre je vous donne quelques explications sur l'arrivée imprévue de cette héroïne qui vient de se laisser cheoir dans mon récit. Quelque romanesque qu'ait dû vous paraître cette métamorphose si inattendue, ce n'est point un roman que je fais ici, c'est une histoire, une histoire authentique et scrupuleusement exacte. Or, même en histoire, souvent il arrive que le vrai n'est pas vraisemblable, et peut-être au lieu de vous surprendre à l'étourdie par un événement sortant des limites de l'ordinaire, aurais-je dû le faire précéder des éclaircissements que je vais vous donner.

Neuf ans avant l'époque où commence ce récit, la mère de don Gaëtano était restée veuve avec deux fils, Gaëtano

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Voyez Bibl. Univ., cahiers de novembre et décembre 1852.

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