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tences en arrêts, on comptait quatre cent mille réformés déclarés dans le royaume. En 1559, leurs délégués se rassemblèrent à Paris, où, en face du bûcher qui fumait encore, ils travaillèrent à poser les bases d'une constitution générale pour les Eglises de France. La loyauté politique de ces << religionnaires » n'était alors l'objet d'aucune accusation; bien plus, on entendait des théologiens catholiques opiner pour qu'on laissât la parole libre aux réformateurs; car, en opposant l'autorité de l'Ecriture aux anarchistes du temps, les anabaptistes et les autres niveleurs, ils pouvaient contribuer à raffermir la société, si profondément ébranlée dans ces temps1. Peu de mois avant la mort de Henri II, le parlement de Paris, lassé par l'inutilité des exécutions qui avaient lieu depuis douze ans, et craignant d'ailleurs que l'autorité royale ne finît par souffrir quelque préjudice, « quand ces sujets naturels du prince seraient prévenus et entrepris par un official ou inquisiteur,» délibéra sur un adoucissement des mesures alors prescrites par la législation; on proposa de suspendre les poursuites jusqu'à ce qu'un concile eût décidé sur les points litigieux en matière de foi. Le premier président, Guy Le Maistre, voyant son opinion, qui était absolument contraire, en danger de succomber, appela le roi à tenir un lit de justice. Tout fut alors tranché par voie d'autorité absolue, et le principal défenseur des doctrines de tolérance, Anne Dubourg, fut envoyé au bûcher, premier exemple d'un homme de rang appelé à souffrir pour ses opinions religieuses.

Sous le gouvernement du cardinal de Lorraine, qui tint les rênes de l'Etat pendant le règne nominal de François II,

Lettre de Santa Croce au cardinal Borromée. Ap. Ranke, page 239.

le but extérieur des efforts de la couronne fnt principale – ment d'expulser Elisabeth du trône d'Angleterre, pour y faire asseoir Marie Stuart; en même temps le désordre des finances, commencé sous François II, et beaucoup accru sous Henri II, devint absolument intolérable; l'affaiblissement qui en résulta pour l'autorité souveraine inspira finalement aux religionnaires l'idée que la résistance aux violences qu'on exerçait contre eux pourrait devenir avantageuse; mais il restait à savoir si l'on pouvait la considérer comme légitime. Ils consultèrent à cet égard Calvin: celuici repoussa vivement toute idée de révolte, même contre les Guise, attendu que l'autorité de ces princes leur venait, par délégation régulière, de la source même du pouvoir, le roi. «Il vaut mieux, écrivit le législateur de Genève, que nous périssions tous cent fois, que d'être cause que le nom des chrétiens de l'Evangile soit exposé à un tel opprobre. » Cependant, la Renaudie et avec lui les plus déterminés parmi les gentilshommes et les militaires, firent l'entreprise audacieuse d'Amboise. Ils y périrent; mais la face des choses fut changée. Calvin comparait cette expédition à une aventure de la chevalerie errante, et s'applaudissait de s'y être montré toujours contraire, quand déjà le cardinal de Lorraine, mesurant toute l'étendue du danger, et reconnaissant la profondeur avec laquelle ces doctrines, qu'il avait cru pouvoir anéantir par des coups vigueur, avaient jeté leurs racines dans le sol du royaume, faisait suspendre les poursuites pour fait de religion, ouvrir les prisons aux protestants détenus, et, sans permettre encore l'exercice, même domestique de la religion réformée, ôtait toute sanction aux lois qui continuaient à l'interdire. Dans un conseil des grands du royaume et des chefs de la magistrature, lequel se tint à Fontainebleau, pendant l'été

de

de 1560, l'archevêque de Vienne osa demander la tenue d'un concile national, afin de régler, pour la France, les affaires de la religion, et l'établissement d'une constitution d'états généraux, pour assister, éclairer et modérer l'autorité royale dans le gouvernement temporel du pays. Le cardinal ne s'opposa que faiblement à la convocation d'un concile, et n'osa refuser la réunion des états généraux auxquels l'opinion publique, alors complétement réveillée, déférait hautement la tâche d'opérer une réforme politique. Ces deux grandes assemblées furent indiquées pour la fin de l'année 1560 et le commencement de l'année suivante. Mais, avant que la première se fût réunie, la mort du jeune roi avait ôté le pouvoir au cardinal et mis les rênes de l'Etat entre les mains de la reine-mère, Catherine de Médicis.

Tandis que, dans toute la France, on procédait avec beaucoup d'application, quoique au milieu d'une fermentation excessive des esprits, au choix des députés qui devaient former les états généraux, Calvin déclarait dans ses lettres qu'il attendait peu de cette assemblée. Il adjurait ses coreligionnaires de s'abstenir de toute menée factieuse contre les Guise, de n'opposer aux violences de leurs ennemis qu'une résistance passive, mais de se tenir serrés autour du roi de Navarre et du prince de Condé, son frère, dont le premier inclinait aux doctrines de la réformation et l'autre les avait ouvertement embrassées; Calvin et Bèze proposaient de grandes démonstrations désarmées, où les princes du sang de France et la noblesse séculière dirigeraient contre l'influence illégale des Guise les forces de l'opinion; ils étaient persuadés qu'il suffirait d'une opposition constitutionnelle et aristocratique (comme on s'exprimerait aujourd'hui), pour briser les forces de leurs ad

versaires, et pour arriver au but définitif de leurs efforts: l'établissement d'une liberté complète de religion.

Les événements ne justifièrent pas ces conjectures; mais la loyauté qui dicta ces conseils ne doit pas être perdue de vue. Sous la régence de Catherine, les délibérations des corps publics devaient demeurer stériles; mais il n'est pas moins essentiel d'en connaître la nature, afin de posséder, à côté de l'histoire des faits, celle des croyances et des tendances politiques de la nation française, à cette époque si critique de luttes et de transition.

Les états généraux, ouverts à Pontoise le 13 décembre 1560, ont été fort imparfaitement pris en considération par les historiens de cette époque. Les procès-verbaux de leurs délibérations, contenant en outre le texte des instructions données aux commettants des deux ordres séculiers, existent à la bibliothèque du roi ; M. Ranke s'étonne à bon droit que cette autorité si authentique et si précieuse ait été tellement négligée jusqu'à lui; il en présente l'analyse claire et complète.

Le tiers état demandait une réforme absolue de la constitution ecclésiastique du pays. Il aurait voulu que les pasteurs fussent choisis par leurs congrégations, et seulement approuvés par leur évêque; que l'élection des évêques fût confié aux pasteurs et aux notables séculiers du diocèse; que, pour le choix des métropolitains, les suffragants et les chanoines fussent, en outre, admis à voter. Le tiers état demandait aussi que la troisième partie des revenus ecclésiastiques fût employée au soulagement des pauvres, et un autre tiers à l'entretien des édifices sacrés, à la dotation des hôpitaux et à celle des écoles. Bientôt, même, il alla beaucoup plus loin dans ses prétentions. Il aurait voulu que la totalité des biens ecclésiastiques fût réunie

aux domaines de l'État. Il proposait d'affecter un revenu de quatre millions de livres à l'entretien du clergé, de vendre tout le reste des immeubles, d'employer, sur le produit de cette aliénation, quarante-deux millions à l'extinction de la dette publique, et de prêter les trente millions restants aux villes manufacturières, pour y développer le commerce, et se faire, par les intérêts, un revenu qui, selon les conjectures du temps, pouvait suffire à la défense des frontières. Il ne s'agissait rien moins, dans ce projet, que d'une constitution civile » du clergé, et de la transformation d'un ordre de l'État, fondé sur les possessions territoriales, en une corporation de fonctionnaires de l'ordre spirituel vivant d'une assignation sur le trésor.

En matières politiques, le tiers état demandait l'abolition des parlements; et la noblesse était, sur ce point, peu précise dans ses propositions. Elle aurait voulu que, dans chaque bailliage, les fonctions judiciaires fussent confiées à des magistrats choisis en partie par la noblesse, en partie par les corporations du tiers-état, magistrats qui seraient changés de trois en trois ans, et rémunérés au moyen d'un salaire fixe, payé par le trésor public.

« Si des innovations aussi hardies et aussi profondes eussent été effectuées, il en serait résulté, observe M. Ranke, quelque chose de semblable à ce qu'a produit la révolution de 1789; mais l'ordre du clergé aurait été le seul à disparaître. Le tiers état aurait, incontestablement, recueilli les principaux avantages de ce changement de régime; mais la noblesse, au lieu d'être anéantie, aurait acquis une force nouvelle (car le tiers état lui-même insistait sur la nécessité de a former généralement des baronnies, » ce qui équivalait à dire établir un système général de majorats); le mouvement serait sorti, non point

«

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