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s'emparer de la direction suprême. Livré aux factieux, il méconnut les limites nécessaires de son action, il s'attira des répressions impitoyables; mais il se releva de tous les échecs que lui valurent sa précipitation et son inexpérience politique, et la supériorité que la nature des choses lui fit conserver toutes les fois qu'il s'agit de finances, obligea la couronne à ménager de plus en plus les chefs naturels du tiers état.

L'anarchie désastreuse dans laquelle le royaume était tombé pendant le gouvernement nominal de Charles VI, avait disposé le tiers état dans beaucoup de provinces, et le peuple de Paris, en particulier, à reconnaître volontiers pour roi Henri V, Plantagenet, souverain de l'Angleterre, sous le sceptre duquel on espérait voir paraître l'ordre dans les campagnes, et respecter les franchises municipales dans les communes. « A voir la joie des simples,» écrit un contemporain, « à l'entrée de Henry V, laquelle n'avait point eu de pareille depuis que PhilippeAuguste était revenu de Bouvines, on aurait dit que le monde eût du tout été renouvellé et établi en perpétuelle et permanente félicité. » Le parlement et l'université de Paris, le clergé, et par-dessus tout la magistrature municipale, donnèrent leur entière adhésion au nouveau régime; mais sous la main dure et maladroite des oncles de Henri VI, qui parvinrent presque aussitôt au gouvernement, ces impressions favorables ne tardèrent point à s'effacer, et Charles VII fut, à son tour, accueilli comme un libérateur.

Ce prince mérite, à bien plus juste titre que son fils, le nom, habituellement donné à celui-ci, de fondateur de la monarchie française dans le sens des nouveaux temps. Charles VII reconquit son héritage, et refit la monarchie, à l'aide des grands vassaux d'abord, ensuite de l'ordre 4

Litt. T. XXII.

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équestre, enfin du peuple des campagnes qui se dévoua courageusement à sa cause, quand il se fut, assez tard, résolu à la considérer comme nationale. « Jeanne d'Arc réveilla cette religion de la royauté dans les masses populaires, et le fit à la française, les armes à la main : Les hommes d'armes combattront, disait-elle, et Dieu donnera la victoire. De tout le territoire qu'Edouard III avait possédé en France, Charles VII ne laissa que Calais aux petits-fils de ce roi. Il fit pour l'Aquitaine ce que Philippe-Auguste avait fait pour la Normandie, Louis VIII pour le Languedoc, Philippe le Bel pour Lyon, Philippe de Valois pour le Dauphiné; il compléta le territoire du royaume. Il s'appliqua ensuite à le mettre à l'abri d'invasions nouvelles, et à lui donner, vis-à-vis des puissances dont le siége était au dehors, toute l'indépendance compatible avec les croyances nationales. La pragmatique sanction à laquelle il fit concourir le clergé de son royaume, fonda l'Eglise gallicane, et lui procura les franchises les plus essentielles, aussi bien vis-à-vis du souverain pontife que vis-à-vis du souverain temporel. Après cette grande innovation, Charles VII en introduisit de moins populaires, mais qui n'étaient pas moins essentielles : l'établissement d'un impôt permanent, la taille, dont les Etats même des grands vassaux ne devaient point être exempts', et celui d'une armée également permanente, composée de neuf mille gentilshommes à cheval et couverts d'armures complètes (les compagnies d'hommes d'armes), et de vingtsept mille gens de pied (les francs-archers).

Ainsi préparées pour les événements qui ont fondé le

1 Il y eut exception de fait pour la Bretagne et le Béarn; la plupart des grands vassaux stipulèrent en outre, pour leurs fiscs privés, une indemnité pécuniaire.

monde moderne, la nation et la monarchie française, forces désormais inséparables, accueillirent les grandes inventions qui marquèrent le cours et spécialement la fin du quinzième siècle. A mesure que le développement naturel des institutions amenait ce que nous indiquons par l'expression très-indéterminée « des progrès de la civilisation, » les événements faisaient disparaître, l'un après l'autre, les Etats secondaires dont la possession associait, dans un ordre subalterne, les grands-vassaux à la souveraineté du roi. Louis XI recueillait l'héritage de Charles de Bourgogne; Charles VIII épousait l'héritière de Bretagne; les ducs de Bourbon, seuls des anciens pairs du royaume, devaient subsister jusqu'au règne de François Ier.

Parvenu à l'objet principal de son travail, M. Ranke fait usage, pour peindre à grands traits, mais avec une vérité parfaite, l'époque des Valois, non-seulement des documents imprimés à différentes époques, et dont les dernières années ont singulièrement augmenté la richesse, mais encore, et principalement, des pièces inédites qui existent en quantité prodigieuses, et généralement en excellent ordre, dans les archives de France, d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne et de Belgique. Les registres des parlements, les procès-verbaux des états généraux tenus en France pendant le seizième siècle, lui ont fourni des secours précieux. Il a donc été non-seulement fondé, mais encore contraint de s'écarter souvent de l'histoire traditionnelle, laquelle fut d'abord fondée sur des représentations partiales, et quelquefois sur des falsifications officielles de la vérité. Nous insisterons principalement sur les faits tout à la fois importants et nouveaux (au moins pour la généralité des lecteurs), que la méthode aussi laborieuse que sage et consciencieuse de M. Ranke l'a mis

à portée de rétablir à leur place légitime et d'employer, pour fixer le sens réel, d'autres événements qui sont, depuis longtemps, d'une notoriété universelle.

L'abandon de la pragmatique sanction fut un des actes de François Ier qui amenèrent les conséquences les plus graves et les plus promptes tout à la fois. D'un côté, la couronne abandonnait la voie qu'elle avait suivie, en matière de gouvernement ecclésiastique, pendant les quatorzième et quinzième siècles; elle condamnait les principes que, dans l'ordre spirituel, elle avait affirmés et fait triompher comme bases de l'organisation religieuse du pays. Le concordat de 1516 était, en théorie comme en pratique, avantageux à la papauté: il mettait fin aux prétentions des conciles qui, depuis la réunion de Bâle, soutenaient la supériorité de leur autorité sur celle de la cour romaine; il abandonnait au pape la juridiction suprême en toutes matières ecclésiastiques, et lui assurait, par la concession des annates, la jouissance d'un revenu considérable et fixe dérivé des pays français. D'autre part, le roi gagnait la libre disposition des bénéfices ecclésiastiques : dix archevêchés, quatre-vingt-trois évêchés, cinq cent vingt-sept abbayes, un nombre énorme de prébendes de toute espèce. La couronne fit de cette faculté illimitée qu'elle acquérait de conférer les bénéfices ecclésiastiques, l'usage le plus capricieux et le plus corrupteur. Elle les employait à récompenser, sans le moindre discernement, sans la moindre attention aux intérêts religieux ni à la discipline ecclésiastique, les services qui lui étaient rendus à l'armée et à la cour. C'était le salaire des campagnes, le patrimoine des fils cadets de la noblesse; on les donnait à des enfants; des veuves les recueillaient comme un héritage; et ce qu'il y avait de plus scandaleux, c'est que ces étran

ges titulaires se faisaient quelquefois une sorte d'obligation dérisoire d'accomplir les fonctions spirituelles attachées à leur titre, à leur habit. Des étrangers, des Italiens surtout, obtenaient en grande quantité des bénéfices et en trafiquaient ouvertement; la duchesse de Valentinois disposa, pendant le règne de Henri II, de presque tons ceux du royaume. Rien ne frappait les «orateurs vénitiens,>> dont les précieux rapports ont livré à M. Ranke une foule d'observations importantes, comme « la servitude dans laquelle ecclésiastiques et laïques vivaient à l'égard de la couronne, comme dispensatrice des bénéfices, » et comme l'étrange abus qui régnait dans cette disposition.1

La pragmatique sanction avait été une pièce essentielle du système de la monarchie tempérée, où la liberté des élections et des délibérations fondait la franchise générale de la nation. Mais le règne de François Ier fit faire à la France, dans toutes les directions, beaucoup de chemin vers l'établissement du pouvoir illimité de la couronne. La ruine du connétable de Bourbon renversa ce qui subsistait encore de l'autonomie féodale des grands vassaux. On s'accoutuma graduellement à voir l'autorité royale exercée par de simples ministres, et les affaires principales de l'Etat résolues sans la participation, précédemment nécessaire, des princes du sang. Les résultats de la bataille de Pavie ressemblèrent, sur un point, à ceux des batailles de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt et de Morat: le sang de la noblesse française y coula par torrents; cet ordre, épuisé d'une autre façon par les dépenses que lui imposaient des guerres continuelles, s'appauvrit par la vente forcée de ses domaines; son action diminua, son poids déchut dans l'État. Le pouvoir des officiers royaux s'éleva sur cette

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Rapports de Giustiniani, 1535; de Soranzo, 1559.

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