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quels motifs lui ont fait choisir ce nouveau sujet, qui n'a qu'un rapport indirect avec ceux dont il s'est occupé précédemment avec tant de persévérance et d'activité.

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<< Parmi les peuples du monde moderne, aucun, dit M. Ranke, n'a exercé sur les autres une influence plus variée et plus permanente que le peuple français. » Il est bien certain que les nations voisines ont, à leur tour, agi sur celle-ci; que la France a reçu de l'Italie une culture artistique et littéraire, et que les fondateurs principaux du système monarchique au dix-septième siècle ont tenu leurs yeux fixés sur le modèle que l'Espagne leur offrait; de même encore les tendances vers une réforme religieuse se rattachèrent à l'Allemagne, et les tendances vers une réforme politique se fortifièrent et se régularisèrent sur l'exemple des Anglais. Mais il n'en est pas moins indubitable que les fermentations et les commotions générales, sur le continent de l'Europe, depuis bien longtemps, sont principalement sorties du sein de la nation française. Les grands problèmes en discussion, dans les sphères ecclésiastique et politique, ont toujours occupé les Français de la manière la plus ardente: ils ont, par le talent qui leur est propre en fait d'expression, réussi à rendre ces problèmes. attachants et clairs pour les autres peuples; le privilége des Français a été, de tout temps, lorsque les esprits se mettaient en mouvement, de centraliser leurs efforts, dispersés d'abord, et de donner une application pratique aux théories jusqu'alors sans résultats. De là suit qu'à différentes époques l'histoire nationale de France a pris le caractère d'une histoire universelle, en raison de l'importance générale des faits accomplis en France, et de l'étendue des effets produits par ces événements sur le reste du monde civilisé.

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C'est à la peinture de deux de ces époques, dont la seconde a immédiatement suivi la première (le règne de Henri IV étant leur lien commun), que M. Ranke consacre le nouveau travail dont nous entretenons nos lecteurs. Les premiers chapitres ne sont qu'une introduction nécesfaire bien comprendre la scène sur laquelle les nouveaux Valois (Louis XII, et surtout François Ier avec ses descendants) allaient paraître, et les matériaux que l'œuvre des âges venait de préparer à ces princes pour les mettre en état d'accomplir le rôle considérable qu'ils avaient à jouer dans le développement de la puissance française et le progrès de la civilisation européenne.

M. Ranke commence par mettre en relief les obligations que la population gallo-romaine et la culture, dont celle-ci était dépositaire, eurent à l'Eglise romaine, qui accomplit dans ces contrées la conquête pacifique des nations germaniques, au moment où celles-ci commençaient la conquête militaire du territoire romain. Partout où les Germains, encore attachés à leur religion nationale, subjuguèrent des contrées romanisées, ils en détruisirent ou bien en asservirent les populations; ils déracinèrent l'idiome et les institutions des anciens maîtres du sol. Le contraire eut lieu partout où les conquérants germains arrivèrent déjà convertis au christianisme, comme les Goths et les Burgundes; ou bien disposés à l'embrasser au commencement même de leur carrière victorieuse, ce qui eut lieu pour la nation des Francs. L'Eglise sauva ce qui pouvait encore être sauvé de l'Etat dont l'indépendance politique venait de succomber; les destructions systématiques prirent fin aussitôt que Clovis eût reçu le baptême; il n'y eut pas, il est vrai, d'assimilation immédiate des Francs aux Gallo-Romains, mais il y eut moins encore d'assimi

lation des Gallo-Romains aux Teutons, comme cela était arrivé dans la Bretagne insulaire et même dans la Gaule rhénane. Le caractère futur de la nation française se trouva déterminé par ce fait, immense dans ses conséquences, que la tribu salienne adopta le christianisme dans la forme pratiquée et la communion admise par ses nouveaux sujets, ce qui assura l'existence civile de ceux-ci, et créa entre les deux races un lien indissoluble.

La nation française étant ainsi fondée, la monarchie, institution fondamentale de la France, ne tarda point à s'affermir. Mais plusieurs siècles se passèrent avant qu'elle devint exclusivement française; le caractère de souverains germaniques était inséparable de l'origine et des tendances héréditaires des Carolingiens; la dynastie capétienne, en devenant héréditaire, fonda ce qui n'avait jamais encore existé une monarchie de la France nouvelle, c'est-à-dire de la Gaule occidentale, formée par une congrégation d'Etats réunis sous la suzeraineté d'une maison qui passait pour aborigène, et à qui les affections nationales s'attachèrent dès le principe, pour ne plus l'abandonner, pendant une longue suite de siècles.

Appuyé sur l'Eglise, qui avait ouvertement favorisé l'élévation de sa famille, Louis VI employa le pouvoir naissant de la couronne à l'établissement, par la force des armes, de l'ordre légal dans les contrées où le bras du roi pouvait s'étendre. Philippe-Auguste entreprit, avec un singulier mélange d'ardeur et de persévérance, d'être, au moins dans l'étendue du ressort féodal de la couronne, héritier de la puissance comme il l'était du titre de Charlemagne: il dépouilla de ses principaux Etats sur le continent le roi d'Angleterre, dont les prédécesseurs immédiats avaient possédé plus d'une moitié de la Gaule occi

dentale; il remporta sur l'empereur Othon IV la victoire de Bouvines, qui fut ressentie, de l'Escaut aux Pyrénées, comme un triomphe vraiment national. Louis VIII fit dans le sud ce que son père avait fait dans l'ouest; et Louis IX, au sortir d'une minorité pleine de troubles, se trouva chef de l'Etat de la chrétienté où la couronne disposait des forces les plus considérables. Ce prince voulut réformer la législation féodale, et organiser sur un plan régulier l'administration de ses domaines immédiats; il remplit cette tâche dans l'esprit de son temps, et d'accord avec l'Eglise, qui demeurait investie d'un pouvoir moral supérieur à tous les autres. Les croisades prirent fin avec Louis IX, série d'entreprises toutes françaises par leur esprit, et principalement exécutées par des forces françaises, entreprises dont les résultats définitifs, en ce qui concerne l'Orient, furent désastreux, mais dont la réaction sur le développement des sociétés occidentales demeura très-considérable, et fut avantageux à la consolidation de la monarchie dont Philippe le Bel recueillit l'héritage. Ce prince changea complétement l'esprit dans lequel la couronne de France avait agi depuis l'élection de Hugues Capet, et chercha d'autres voies d'agrandissement; il y employa sans scrupule les moyens les plus violents qui se trouvèrent à sa portée. Il s'émancipa de l'autorité, jusqu'alors presque illimitée, de la cour de Rome, abandonna la terre sainte, anéantit, avec l'ordre des templiers, la dernière espérance de reconquérir Jérusalem, enleva la cité de Lyon à l'Empire, et prépara la réunion à la France du royaume d'Arles, que ses prédécesseurs n'avaient jamais disputé aux Césars d'Occident; il transforma ce qui restait encore de l'ancienne féodalité, en faisant des grands vassaux autant de satellites de sa couronne, astre dont l'éclat sinistre a été

peint par Dante, avec des couleurs immortelles : le chantre Gibelin voyait dans Philippe le Bel « un arbre immense dont l'ombre meurtrière ruinait toute la chrétienté, >> tandis qu'en réalité cette puissance n'était funeste qu'aux prétentions de l'empire germanique.

Les guerres anglaises suivirent de près cette transformation de la monarchie française.

Nous avons vu les populations de la Gaule occidentale s'éveiller, après la conquête de la Normandie par Jean Plantagenet et la défaite du César des Allemands au Hainaut, s'éveiller au sentiment de la nationalité française. Pendant la lutte avec Edouard III, et celle qui suivit, après trois quarts de siècle, avec Henri V, ce même sentiment se développa, se fortifia, s'exalta jusqu'à prendre le caractère d'une passion, d'une religion populaire. La noblesse française versa son sang par torrents sur les champs de bataille où sa valeur indisciplinée succombait devant l'excellente organisation des milices insulaires. « On vit alors s'élever une puissance nouvelle, qui s'était préparée dans le silence, et qui, durant bien des générations, avait tiré son accroissement d'éléments en œuvre dans les profondeurs de la nation : les villes' développèrent leurs ressources, devinrent, à côté des princes, des prélats et de la chevalerie, un pouvoir politique dans l'Etat. »

Ce pouvoir, à peine reconnu, à peine admis à se faire représenter aux états généraux du royaume, tenta de

1 M. Ranke a raison d'employer cette expression de préférence à celle de communes. Les communes s'étaient rendues libres au douzième siècle; les villes, au quatorzième, se rendirent puissantes. Les communes avaient fait un élément plébéien dans les provinces; les villes firent un ordre politique dans l'Etat.

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