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distinctes. Les partisans de l'ancien régime, les adorateurs du trône et de l'autel se mirent à la suite de Châteaubriand; les libéraux se groupèrent plutôt autour de Mme de Staël. Mais par une singulière anomalie, les premiers se montraient enclins à se lancer témérairement dans des voies nouvelles, tandis que les seconds, qui professaient un saint respect pour les principes de 89, demeurèrent fidèles aux traditions littéraires des siècles précédents. L'école libérale conserva plutôt la forme classique; son principal poëte, Casimir Delavigne lui-même, n'usa qu'avec une extrême circonspection de la liberté littéraire proclamée par des écrivains royalistes. Le fait est que, la lutte des idées se ranimant avec vivacité, l'esprit de parti toujours plus ou moins aveugle dominait le goût. D'une part, en haine du dix-huitième siècle, on prétendait remonter au delà du seizième dans lequel on voyait son origine, et l'on allait demander des modèles au moyen âge, sans calculer les périls d'une réaction si brusque et si impossible à réaliser. De l'autre, les amis du progrès regardant l'empire comme le lien qui les rattachait à la révolution, s'obstinaient à vouloir suivre ses errements que la plupart d'entre eux avaient condamnés naguère, mais qui leur apparaissaient maintenant sous un tout autre aspect. Cette double inconséquence exprimait du reste parfaitement l'état des opinions dans le pays. Le seul résultat positif des malheureuses expériences révolutionnaires se trouvant dans les réformes administratives consacrées par la législation impériale, et les glorieux souvenirs de cette période étant en définitive ce qu'il y avait de plus populaire en France, l'opposition cherchait à s'y rattacher autant que possible; elle arborait le drapeau tricolore comme un signe propre à rallier tous les mécontents.

Béranger fut le poëte de ce libéralisme bâtard, auquel on peut donner pour symbole un aigle impérial coiffé du bonnet phrygien. Dans ses chansons il flattait la vanité française, tournait en ridicule les hommes du pouvoir, lançait des traits acérés contre les jésuites et les frères ignorantins. Cette verve mordante unie à un talent du premier ordre, et à une certaine bonhomie d'allures, lui assura bientôt la plus grande popularité. On peut dire qu'il lui arriva, comme jadis à Beaumarchais, de réussir même auprès de ceux qu'il scandalisait. Les ciseaux de la censure, les réquisitoires du procureur du roi, les condamnations des tribunaux, tout sembla tourner au profit de sa renommée et, par conséquent, de son influence. Il contrebalança celle de Châteaubriand, ou plutôt ces deux écrivains, quoique de genres opposés, furent l'un et l'autre à la mode, comme les principaux représentants des deux tendances de l'époque: la philosophie voltairienne, et le réveil du catholicisme. Mais c'est au dernier qu'appartenait l'avenir, parce qu'il devançait le mouvement de réaction qui était inévitable, tandis que l'autre ne faisait que répéter l'écho du précédent siècle. Les chansons de Béranger évoquaient surtout des souvenirs, et, par conséquent, agissaient sur ceux qui pouvaient en avoir. Châteaubriand, au contraire, s'adressait à la jeunesse, remuait des idées, frappait les imaginations; son talent avait une bien plus grande portée, il se montrait hardiment novateur dans la forme, tout en se rattachant, pour le fond, à ce que le passé lui offrait de plus solide, à cet édifice catholique encore debout, malgré les brèches qu'y avaient faites la réformation du seizième siècle, et la philosophie du dix-huitième. Aussi ce fut sur ses traces qu'on vit bientôt naître une école à la fois novatrice dans la forme et réactionnaire dans les idées. MM. de

Lamartine et Victor Hugo débutèrent en poëtes catholiques et monarchistes. Leurs premières productions, celles où leur talent brille avec le plus de fraîcheur et d'éclat, sont fortement empreintes de ce double cachet. Ils adoptaient hardiment la voie ouverte par Châteaubriand, et le public les y suivit avec enthousiasme.

C'est un fait bien étrange que cette puissance de la mode qui domine les opinions de la foule, et entraîne parfois tous les suffrages de la manière la plus inattendue. En France, surtout, elle produit des effets que, partout ailleurs, les convictions les plus réelles peuvent à peine obtenir; elle agit sur les esprits comme une secousse électrique, et semble toujours opérer une métamorphose aussi complète que subite, et malheureusement peu stable.

M. de Lamartine eut d'abord de la peine à trouver un éditeur qui voulût se charger de ses Méditations. Après les avoir lues, M. F. Didot lui rendit son manuscrit en déclarant que de semblables vers, quoiqu'ils décelassent un talent incontestable, n'avaient aucune chance de succès. Le savant imprimeur ne prévoyait pas qu'une génération encore fortement imbue des doctrines philosophiques du dix-huitième siècle, et des principes révolutionnaires, s'éprendrait tout à coup d'un bel amour pour cette poésie religieuse, intime, qui, dédaignant les questions du jour, s'inspirait de sentiments tout personnels et n'exprimait que l'amour, l'adoration et la prière. Comment s'imaginer surtout qu'avec de pareilles tendances un auteur, inconnu jusqu'alors, obtiendrait la même popularité que Béranger et Casimir Delavigne avaient acquise en faisant vibrer les cordes les plus sensibles de l'amour-propre national.

Il est vrai que l'attrait de la nouveauté s'y trouvait, rehaussé par le charme d'une harmonie suave, par la no

blesse du langage et l'élévation de la pensée. Ce fut un cri général d'admiration, à peine la critique osa-t-elle suggérer quelques timides remarques qui passèrent inaperçues, on proclama l'auteur poëte lyrique du premier ordre; les Méditations devinrent bientôt le livre favori de tous, comme si par un changement soudain les esprits eussent été d'accord pour renoncer, soit à l'incrédulité, soit à l'indifférentisme. On semblait heureux de revenir vers la religion par le chemin peu direct, mais riant el facile de la poésie; c'était un biais commode qui levait les scrupules de fausse honte et mettait les consciences à l'aise. D'ailleurs, quant au mérite littéraire, l'œuvre de M. de Lamartine était très-supérieure aux productions pâles et froidement correctes des poëtes de l'époque impériale. On y sentait la vie, le mouvement, le souffle inspirateur et la richesse du style jointe à l'harmonie du rhythme faisait de cette poésie une musique aussi délicieuse à l'oreille que propre à séduire les âmes tendres et rêveuses. Mais sous cette apparence brillante se cachait un double péril. Quoique novateur sage et très-modéré, le poëte rompait avec la tradition classique, il ouvrait la voie dans laquelle ses imitateurs allaient se livrer à tous les écarts de l'individualisme, et malheureusement chez lui la forme indécise de l'expression provenait du vague des idées. Sa foi, qui n'était que de l'inspiration poétique, faiblit déjà dans les Harmonies, y prend un accent monotone, qu'il abandonne bientôt pour se servir, dans Jocelyn, des ressources que lui fournissent le doute et la lutte des passions; enfin la Chute d'un ange nous le montre s'éloignant toujours davantage de la pure doctrine chrétienne, inclinant plutôt même vers un matérialisme panthéiste, auquel son imagination ne craint pas d'emprunter des images sensuelles et

des scènes voluptueuses. Les mêmes phases se retrouvent dans les convictions politiques du poëte le chantre du sacre de Charles X s'empresse de prêter serment à la monarchie nouvelle de 1830, devient l'un des champions du régime constitutionnel, et puis tourne au premier souffle de la tempête révolutionnaire et proclame la république en février 1848, après quoi il s'est remis à écrire l'histoire de la Restauration avec amour et enthousiasme. Grâce à cette instabilité qui caractérise éminemment M. de Lamartine, sa renommée a défié les caprices de la mode qu'il semblait toujours deviner d'avance, et auxquels il se soumettait aussitôt avec une admirable souplesse de talent. Mieux servi en cela par sa nature que M. Victor Hugo ne l'avait été par le calcul, il n'a point éprouvé la prompte décadence de celui-ci, qui, après avoir aspiré, non sans quelque succès, à se faire le législateur de l'art et de la littérature, est tombé tout à coup dans les rangs obscurs des pamphlétaires politiques.

On se souvient encore de l'effet que produisit en 1830 la représentation d'Hernani. Ce fut comme une véritable émeute littéraire qui servait de prélude à la révolution de juillet. En attendant de lever l'étendard de la révolte contre l'autorité civile, la jeunesse essayait ses forces et satisfaisait son impatience, en s'insurgeant contre les règles de la vieille poétique française. L'époque était très-favorable. D'un côté l'école classique ne possédait plus un seul de ces hommes d'élite qui avaient fait sa gloire, et ne comptait guère dans son sein que des défenseurs routiniers peu propres à soutenir la lutte; de l'autre, au contraire, l'ardeur de l'atttaque s'unissait à des talents jeunes, vigoureux et pleins d'audace. Aussi la victoire ne resta pas longtemps douteuse. De vaines protestations ne pouvaient

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