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Les sujets d'éloquence que le siecle de Louis XIV a vu porter au plus haut degré de perfection, sont sans contredit le sermon et l'oraison funebre.

A l'égard des sermons, l'on sait assez ce qu'ils étaient dans les deux âges qui ont précédé le sien, et ce qu'étaient les Menot, les Maillard, et ce Barlet, dont les savans disaient en latin: Nescit pradicare qui nescit barletisare. Ne sait prêcher qui ne sait barletiser. On s'est égayé partout sur leurs farces grotesques et indécentes. Nous avons des sermons de la Ligue : ils joignent l'atrocité à cette grossiéreté dégoûtante qui dut nécessairement diminuer à mesure que la politesse s'introduisait dans tous les états, à la suite de l'ordre qui renaissait avec l'autorité. Mais le premier, dit Voltaire, qui fit entendre dans la chaire une raison toujours éloquente, ce fut Bourdaloue. Peut-être faut-il un peu restreindre cet éloge en l'expliquant.

Bourdaloue fut le premier qui eut toujours dans la chaire l'éloquence de la raison: il sut la substituer à tous les défauts de ses contemporains. Il leur apprit le ton convenable à la gravité d'un saint ministere, et le soutint constamment dans ses nombreuses prédications. Il mit de côté l'étalage des citations profanes et les petites recherches du bel-esprit. Uniquement pénétré de l'esprit de l'Évangile et de la substance des livres saints, il traite solidement un sujet, le dispose avec méthode, l'approfondit avec vigueur. Il est concluant dans ses raisonnemens, sûr dans sa marche, clair et instructif dans ses résultats. Mais il a peu de ce qu'on peut appeler les grandes parties de l'orateur, qui sont les mouvemens, l'élocution, le sentiment. C'est un excellent théologien, un savant catéchiste plutôt qu'un puissant prédicateur. En portant toujours avec lui la conviction, il laisse trop desirer cette onction précieuse qui rend la conviction efficace.

Tel est en général le caractere de ses sermons. Ceux de Cheminais, autre jésuite, ne sont pas sans quelque douceur; et celle qu'il mettait dans son débit lui procura une vogue passagere, dont l'impression fut le terme, comme elle l'a été de la réputation de Bretonneau et de quelques autres

sermonaires leurs contemporains, qui depuis longtems ne sont plus guere lus. Les sermons mêmes de Bossuet et de Fléchier ne répondent pas à la célébrité qu'ils ont acquise dans l'oraison funebre ; et sans parler de la foule des prédicateurs médiocres, il suffit de dire que lorsqu'on eut entendu, et plus encore lorsqu'on eut lu Massillon, il éclipsa

tout.

Bossuet et Massillon sont donc les modeles par excellence que nous avons à considérer principalement dans l'éloquence chrétienne, l'un dans l'oraison funebre, et l'autre dans le sermon. Je commencerai par le premier, en me conformant à l'ordre des tems et même à celui des choses, puisque l'oraison funebre réunit plus de parties oratoires, exige plus d'art et d'élévation que le

sermon.

Mais je me crois obligé de jeter en avant quelques réflexions que l'esprit du moment a rendues nécessaires, par rapport aux différentes dispositions que chacun peut apporter à ces objets, suivant les diverses manieres de penser. Quoique le mérite d'orateur et d'écrivain soit ici particuliérement ce qui doit nous occuper, cependant on ne peut se dissimuler que le degré d'attention et d'intérêt pour le talent dépend un peu en ces

matieres, et surtout aujourd'hui, du degré de respect pour les choses, et, pour tout dire en un mot, de la croyance ou de l'incrédulité. Celle-ci, devenue plus intolérante à mesure qu'elle est plus répandue, en vient enfin depuis quelques années jusqu'à vouloir détourner nos yeux des plus beaux monumens de notre langue, dès qu'elle y Voit empreint le sceau de la religion. Je laisse de côté les opinions que personne n'a le droit de forcer, mais je réclame contre cette espece de proscription que personne n'a le droit de prononcer. Il faut se rappeler que c'est le siecle de Louis XIV qui passe actuellement sous vos yeux, et qu'ainsi que moi, vous devez considérer à la fois dans ce qui nous en reste, et l'esprit des écrivains, et celui de leur siecle. Il était tout religieux : le nôtre ne l'est pas ; mais de quelque maniere qu'on juge l'un et l'autre, on ne peut nier du moins que les écrivains et les orateurs ont dû écrire et parler pour ceux qui les lisaient et les écoutaient. C'est un principe de raison et d'équité que j'oppose d'abord à l'impérieux dédain de ceux qui voudraient qu'on n'eût jamais écrit et parlé que dans leur sens. Je n'examine point encore si ce sens est le bon sens dans l'étendue de ce Cours, chaque chose doit venir en son tems et à sa place. Mais je puis

avancer, dès cet instant, que, dans ce siecle des grandeurs de la France, la religion, à ne la considérer même que sous les rapports humains, fut grande comme tout le reste, et que la France, son monarque et sa cour furent pour l'Europe entiere, dans la religion comme dans tout le reste, un spectacle et un modele. Il n'est permis ni de l'ignorer ni de l'oublier. Ayez donc devant les yeux, pendant les séances actuelles, un Bossuet convertissant un Turenne; un Fénélon montant dans la chaire pour donner l'exemple de la soumission à l'Église ; un Luxembourg, au lit de la mort, préférant à toutes ses victoires le souvenir d'un verre d'eau donné au nom du Dieu des pauvres; un Condé, un cardinal de Retz, une princesse palatine, donnant, après avoir joué de si grands rôles dans le monde, à la guerre, à la cour, l'exemple de la piété et du repentir, au pied des autels; une Lavalliere, allant pleurer aux Carmélites, jusqu'à son dernier jour, le malheur d'avoir aimé le plus aimable des rois; enfin ce roi luimême, regardé comme le premier des hommes, humiliant tous les jours dans les temples un diadême de lauriers, et se reprochant ses faiblesses au milieu de ses triomphes. Revoyez dans les Let→ tres de Sévigné, ces fideles images des mœurs de

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