Page images
PDF
EPUB

Ne sont que de francs ignorans ;
Et si vous le voulez, demain je les y prends.
D'un semblable tableau je laisserai la tête,
Vous mettrez la vôtre en son lieu :

Qu'ils reviennent demain, l'affaire sera prête.
J'y consens, dit notre homme; à demain donc; adieu.
La troupe des experts le lendemain s'assemble;
Le peintre leur montrant le portrait d'un peu loin,
Cela vous plaît-il mieux ? dites, que vous en semble?
Du moins j'ai retouché la tête avec grand soin.
Pourquoi nous rappeler, disent-ils ? Quel besoin
De nous montrer encore cette ébauche?

S'il faut parler de bonne foi,

Ce n'est point du tout lui, vous l'avez pris à gauche, Vous vous trompez, messieurs, dit la tête; c'est moi. LA MOTTE.

Le Fleuve.

Un grand fleuve parcourt le monde :
Tantôt lent, il serpente entre des prés fleuris,
Les embellit et les féconde;

Tantôt rapide, il s'enfle, il se courrouce, il gronde,
Roulant, précipitant au milieu des débris

Son eau turbulente et profonde.

A travers les cités, les guérets, les déserts,
Il va, distribuant à mesure inégale,

Aux avides humains dont ses bords sont couverts,
Les trésors de son urne avare et libérale.

Ainsi, tandis que l'un, dans son repos,
Bénit la main de la nature,

Qui dans son héritage a fait passer leurs flots,
Ou les lui donne pour ceinture;

L'autre maudit le sol dont les flancs déchirés
Reproduisent sans cesse et le roc et la pierre,
Indestructible digue, éternelle barrière,
Assise entre le fleuve et ses champs altérés.
Mais le plaisant de cette histoire,
C'est de voir certain compagnon,
Plongé dans l'eau jusqu'au menton :
Plus il a bu, plus il veut boire.
Infatigable, et dans son bain,

Cent fois moins heureux et moins sage

Qu'un homme qui tout près, sans désirs, sans dédain,
Regardant l'eau couler, n'en prend pour son usage
Que ce qu'il peut tenir dans le creux de sa main.
Homme rare, sur ma parole!
Avec moi vous en conviendrez,
Mes bons amis, quand vous saurez
Que notre fleuve est le Pactole.

Ah! mon Habit.

ARNAULT.

Ah! mon Habit, que je vous remercie !
Que je valus hier, grace à votre valeur!
Je me connais; et plus je m'apprécie,
Plus j'entrevois qu'il faut que mon tailleur,
Par une secrète magie,

Ait caché dans vos plis un talisman vainqueur,
Capable de gagner et l'esprit et le cœur.

Dans ce cercle nombreux de bonne compagnie,
Quel honneurs je reçus! quels égards! quel accueil !
Auprès de la maîtresse, et dans un grand fauteuil,
Je ne vis que des yeux toujours prêts à sourire ;
J'eus le droit d'y parler, et parler sans rien dire.
Cette femme à grands falbalas,

Me consulta sur l'air de son visage ;
Un robin sur des opéras,

Un blondin sur un mot d'usage:

Ce que je décidai, fut le nec plus ultra.
On applaudit à tout: j'avais tant de génie !
Ah! mon Habit, que je vous remercie !
C'est vous qui me valez cela.

De complimens, bons pour une maîtresse,
Un petit-maître m'accabla;
Et pour m'exprimer sa tendresse,
Dans ses propos guindés, me dit tout Angola.
Ce poupin à simple tonsure,

Qui ne songe qu'à vivre, et ne vit que pour soi,
Oublia quelque temps son rabat, sa figure,

Pour ne s'occuper que de moi:

Ce Marquis, autrefois mon ami de collége,
Me reconnut enfin, et du premier coup-d'œil,
Il m'accorda, par privilége,

Un tendre embrassement qu'approuvait son orgueil :

Ce qu'une liaison dès l'enfance établie,
Ma probité, des mœurs que rien ne dérégla,
N'eussent obtenu de ma vie,

Votre aspect seul me l'attira.

Ah! mon Habit, que je vous remercie !
C'est vous qui me valez cela.
Mais ma surprise fut extrême;
Je m'apperçus que sur moi-même
Le charme sans doute opérait.
J'entrais jadis d'un air discret :
Ensuite suspendu sur le bord de ma chaise,
J'écoutais en silence, et ne me permettais
Le moindre Si, le moindre Mais.

Avec moi tout le monde était fort à son aise,
Et moi je ne l'étais jamais.

Un rien aurait pu me confondre,
Un regard, tout m'était fatal;
Je ne parlais que pour répondre;
Je parlais bas, je parlais mal.

Un sot provincial arrivé par le coche,

Eût été moins que moi tormenté dans sa peau.
Je me mouchais presqu'au bord de ma poche,
J'éternuais dans mon chapeau.

On pouvait me priver, sans aucune indécence,
De ce salut que l'usage introduit;

Il n'en coûtait de révérence

Qu'à quelqu'un trompé par le bruit.
Mais à présent, mon cher Habit,

Tout est de mon ressort; les airs, la suffisance,
Et ces tons décidés qu'on prend pour de l'aisance,
Deviennent mes tons favoris.

Est-ce ma faute à moi, puisqu'ils sont applaudis?

Dans la Hollande, il est une autre loi ;
En vain j'étalerais ce galon qu'on renomme;
En vain j'exalterais sa valeur, son débit;
Ici l'habit fait valoir l'homme,

Là l'homme fait valoir l'habit:

Mais chez nous, peuple aimable, où les graces, l'esprit,
Brillent à présent dans leur force,

L'arbre n'est point jugé sur ses fleurs, ou son fruit;
On le juge sur son écorce.-

M. SEDAINE.

Le Vieux Drapeau.

De mes vieux compagnons de gloire
Je viens de me voir entouré.
Nos souvenirs m'ont enivré ;
Le vin m'a rendu la mémoire.
Fier de mes exploits et des leurs,
J'ai mon drapeau dans ma chaumière :
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Il est caché sous l'humble paille
Où je dors pauvre et mutilé;
Lui qui, sûr de vaincre, a volé
Vingt ans de battaille en battaille !
Chargé de lauriers et de fleurs
Il brilla sur l'Europe entière:
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Ce drapeau payait à la France
Tout le sang qu'il nous a coûté.
Sur le sein de la liberté,

Nos fils jouaient avec sa lance.
Qu'il prouve encore aux oppresseurs
Combien la gloire est roturière :
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Son aigle est resté dans la poudre,
Fatigué de lointains exploits.
Rendons-lui le coq des Gaulois,
Il sut aussi lancer la foudre.
La France, oubliant ses douleurs
Le rebénira, libre et fière:
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Y Y

Las d'errer avec la victoire,
Des lois il deviendra l'appui.
Chaque soldat fut, grace à lui,
Citoyen aux bords de la Loire.
Seul il peut voiler nos malheurs ;
Déployons-le sur la frontière :
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Mais il est là, près de mes armes ;
Un instant, osons l'entrevoir.

Viens, mon drapeau! viens, mon espoir !
C'est à toi d'essuyer mes larmes.
D'un guerrier qui verse des pleurs,
Le ciel entendra la prière :

Oui, je secoûrai la poussière

Qui ternit tes nobles couleurs.

L'Exilé.

A d'aimables compagnes

Une jeune beauté

Disait: Dans nos campagnes

Règne l'humanité.

Un étranger s'avance,

Qui, parmi nous errant,

Redemande la France

Qu'il chante en soupirant.

D'une terre chérie

C'est un fils désolé.

Rendons une patrie,
Une patrie

Au pauvre exilé.

Près d'un ruisseau rapide
Vers la France entraîné,
Il s'assied, l'œil humide,
Et le front incliné.

BERANGER.

« PreviousContinue »