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Vois l'astre chevelu qui, royal météore,
Roule, en se grossissant des mondes qu'il dévore ;
Tel, ô jeune géant, qui t'accrois tous les jours,
Tel ton génie ardent, loin des routes tracées,
Entraînant dans son cours des mondes de pensées,
Toujours marche et grandit toujours!

Le Vaisseau.

LE MEME.

Fils de forêts, et roi des ondes,
Salut, ô magnifique et rapide Vaisseau,
Toi, dont le vol hardi, sur les plaines profondes,
Devance le vol de l'oiseau !

Tu cours, emporté par l'audace,
Du bord par le Soleil sans relâche brûlé,
Jusqu'au bord où s'étend la ceinture de glace
De l'âpre et sauvage Thulé.

Ta fierté se rit de l'orage

Qui soulève le gouffre entr'ouvert sous tes pas :
Vainement l'Aquilon te poursuit de sa rage,
L'Aquilon ne t'arrête pas.

Ta voile, en franchissant les ondes,

Sème au loin tes bienfaits, laissés de ports en ports;
C'est par toi que, sans fin, commercent les deux mondes,
Dont tu dispenses les trésors.

Si la sombre voix de la Guerre
Retentit, et t'appelle à des jeux plus sanglans,
Tu fais à l'ennemi redouter le tonnerre
Que tu recèles dans tes flancs.

Fils des forêts, et roi des ondes,

Salut, ô magnifique et rapide Vaisseau,

Toi, dont le vol hardi, sur les plaines profondes,

Devance le vol de l'oiseau!

CHENEDOLLE.

SCENES DRAMATIQUES.

TRAGÉDIE.

Scène prise d'Athalie.—Entre Joad et Abner.

ABNER.

Oui, je viens dans son temple adorer l'Eternel.
Je viens, selon l'usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée,

Où sur le Mont Sina la Loi nous fût donnée
Que les temps sont changés!

Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher,
Vous-même de l'autel vous faisant arracher,
N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
Et d'un respect forcé ne dépouille les restes.

JOAD.

D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment?

ABNER.

Pensez-vous être saint et juste impunément?
Dès long-temps elle hait cette fermeté rare
Qui rehausse en Joad l'éclat de la thiare.
Dès long-temps votre amour pour la religion
Est traité de révolte et de sédition.

Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter
Que sur vous son courroux ne soit près d'éclater;
Et que de Jézabel la fille sanguinaire

Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire.

JOAD.

Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchans arrêter les complots.

Soumis avec respect à sa volonté sainte,

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte.

Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche:

Du zèle de ma loi que sert de vous parer?
Par de stériles vœux pensez-vous m'hono
Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices?
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses?
Le sang de vos rois crie, et n'est point écouté.
Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété.
Du milieu de mon peuple exterminez les crimes,
Et vous viendrez alors m'immoler vos victimes.

ABNER.

Hé que puis-je au milieu de ce peuple abattu?
Benjamin est sans force, et Juda sans vertu.
Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race,
Eteignit tout le feu de leur antique audace.
Dieu même, disent-ils, s'est retiré de nous.
De l'honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée,
Et sa miséricorde à la fin s'est lassée.

On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
De merveilles sans nombre effrayer les humains.
L'Arche sainte est muette, et ne rend plus d'oracles.

JOAD.

Et quel temps fut jamais si fertile en miracles?
Quand Dieu, par plus d'effets, montra-t-il son pouvoir!
Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
Peuple ingrat? Quoi, toujours les plus grandes merveilles,
Sans ébranler ton cœur, frapperont tes oreilles!
Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
Des prodiges fameux accomplis en nos jours?
Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces,
Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces;
L'impie Achab détruit, et, de son sang trempé,
Le champ que par le meurtre il avait usurpé;
Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
Sous les pieds des chevaux cette reine foulée;
Dans son sang inhumàin les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés ;
Des prophètes menteurs la troupe confondue ;
Et la flamme du ciel sur l'autel descendue;
Elie aux élémens parlant en souverain,
Les cieux par lui fermés et devenus d'airain,
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée;
Les morts se ranimant à la voix d'Elisée;

Reconnoissez, Abner, à ces traits éclatans,
Un Dieu, tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps.
Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire,
Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.

Songe d'Athalie.

ATHALIE.

RACINE.

Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive.

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit; Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée : Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté; Même elle avait encor cet éclat emprunté Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans l'irréparable outrage. Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi; Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi. Je te plains de tomber dans ses mains redoubtables, j Ma fille. En achevant ces mots épouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser; Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser; Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange, Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux, Que des chiens dévorans se disputaient entre eux. Hélas! Dans ce désordre à mes yeux se présente Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante, Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus. Sa vue a ranimé mes esprits abattus; Mais, lorsque revenant de mon trouble funeste, J'admirais sa douceur, son air noble et modeste, J'ai senti tout à coup un homicide acier, Que le traître en mon sein a plongé tout entier. De tant d'objets divers le bizarre assemblage Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage. Moi-même, quelque temps honteuse de ma peur, Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur; Mais de ce souvenir mon âme possédée A deux fois, en dormant, revu la même idée. Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.

Lasse enfin des horreurs dont j'étais poursuivie,
J'allais prier Baal de veiller sur ma vie,

Et chercher du repos au pied de ses autels :
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels!
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée ;

J'ai cru que des présens calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux.
Pontife de Baal, excusez ma foiblesse.

J'entre: le peuple fuit, le sacrifice cesse.

Le grand-prêtre vers moi s'avance avec fureur :
Pendant qu'il me parlait, ô surprise! ô terreur!
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin;
C'est lui-même. Il marchait à côté du grand-prêtre :
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.

LE MEME.

Athalie et Joas.

JOSABET [aux deux Levites].

O vous, sur ces enfans si chers, si précieux,
Ministres du Seigneur, ayez toujours les veux.

ABNER [à Josabet].

Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.

ATHALIE.

O Ciel, plus j'examine, et plus je le regarde!—
C'est lui! D'horreur encor tous mes sens sont saisis.

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