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La pluie a versé ses ondées;
Le ciel reprend son bleu changeant ;
Les terres luisent fécondées
Comme sous un réseau d'argent.
Le petit ruisseau de la plaine,
Pour une heure enflé, roule et traîne
Brins d'herbe, lézards endormis,
Court, et précipitant son onde
Du haut d'un caillou qu'il inonde,
Fait des Niagaras aux fourmis !

Tourbillonnant dans ce déluge,
Des insectes sans avirons
Voguent pressées, frêle refuge!
Sur des ailes de moucherons ;
D'autres pendent, comme à des îles,
A des feuilles, errans asiles;
Heureux dans leur adversité,
Si, perçant les flots de sa cime,
Une paille au bord de l'abîme
Retient leur flottante cité !

Les courans ont lavé le sable;
Au soleil montent les vapeurs,
Et l'horizon insaisissable

Tremble et fuit sous leurs plis trompeurs.
On voit seulement sous leurs voiles,

Comme d'incertaines étoiles,

Des points lumineux scintiller,
Et les monts, de la brume enfuie,
Sortir, et ruisselant de pluie,
Les toits d'ardoise étinceler.

Viens errer dans la plaine humide.
A cette heure nous serons seuls.
Mets sur mon bras ton bras timide;
Viens, nous prendrons par les tilleuls.
Le soleil rougissant décline :

Avant de quitter la colline,

Tourne un moment tes yeux pour voir, Avec ses palais, ses chaumières,

Rayonnans des mêmes lumières,

La ville d'or sur le ciel noir.

O! vois voltiger les fumées
Sur les toits de brouillards baignés !
Là, sont des épouses aimées,
Là, des cœurs doux et résignés.
La vie, hélas ! dont on s'ennuie,
C'est le soleil après la pluie.—
Le voilà qui baisse toujours!
De la ville, que ses feux noient,
Toutes les fenêtres flamboient
Comme des yeux au front des tours.

L'arc-en-ciel l'arc-en-ciel! Regarde.
Comme il s'arrondit pur dans l'air!
Quel trésor le Dieu bon nous garde
Après le tonnerre et l'éclair!
Que de fois, sphères éternelles,
Mon âme a demandé ses ailes,
Implorant quelque Ithuriel,
Hélas! pour savoir à quel monde
Mène cette courbe profonde,
Arche immense d'un pont du ciel !

A Châteaubriand.

I.

LE MEME.

Il est, Châteaubriand, de glorieux navires
Qui veulent l'ouragan plutôt que les zéphires.
Il est des astres, rois des cieux étincelans,
Mondes volcans jetés parmi les autres mondes,
Qui volent dans les nuits profondes
Le front paré des feux qui dévorent leurs flancs.

Le Génie a partout des symboles sublimes.
Ses plus chers favoris sont toujours des victimes,
Et doivent aux revers l'éclat que nous aimons;
Une vie éminente est sujette aux orages;
La foudre a des éclats, le ciel a des nuages

Qui ne s'arrêtent qu'aux grands monts!

Oui, tout grand cœur a droit aux grandes infortunes : Aux âmes que le sort sauve des lois communes, C'est un tribut d'honneur par la terre payé.

Le grand homme en souffrant s'élève au rang des justes. La gloire en ses trésors augustes,

N'a rien qui soit plus beau qu'un laurier foudroyé.

II.

Aussi dans une cour, dis-moi, qu'allais-tu faire ?
N'es-tu pas, noble enfant d'une orageuse sphère,
Que nul malheur n'étonne et ne trouve en défaut,
De ces amis des rois, rares dans les tempêtes,
Qui, ne sachant flatter qu'au péril de leurs têtes,
Les courtisent sur l'échafaud?

Ce n'est pas lorsqu'un trône a retrouvé le faîte,
Ce n'est pas dans les temps de puissance et de fête,
Que la faveur des cours sur de tels fronts descend.
Il faut l'onde en courroux, l'écueil et la nuit sombre,
Pour que le pilote qui sombre

Jette au phare sauveur un œil reconnaissant.

Va c'est en vain déjà qu'aux jours de la conquête,
Une main de géant a pesé sur ta tête;

Et chaque fois qu'au gouffre entraînée à grands pas,
La tremblante patrie errait au gré du crime,
Elle eut pour s'appuyer au penchant de l'abîme
Ton front qui ne se courbe pas !

III.

A ton tour soutenu par la France unanime,
Laisse donc s'accomplir ton destin magnanime!
Chacun de tes revers pour ta gloire est compté.
Quand le sort t'a frappé, tu lui dois rendre grâce,
Toi qu'on voit à chaque disgrâce

Tomber plus haut encor que tu n'étais monté !
LE MEME.

Le Génie.
I.

Malheur à l'enfant de la terre,

Qui, dans ce monde injuste et vain,
Porte en son âme solitaire
Un rayon de l'Esprit divin!
Malheur à lui! l'impure Envie
S'acharne sur sa noble vie,

Semblable au Vautour éternel;
Et, de son triomphe irritée,
Punit ce nouveau Prométhée
D'avoir ravi le feu du ciel !

La Gloire, fantôme céleste,
Apparaît de loin à ses yeux;
Il subit le pouvoir funeste
De son sourire impérieux!
Ainsi l'oiseau, faible et timide,
Veut en vain fuir l'hydre perfide
Dont l'œil le charme et le poursuit ;
Il voltige de cime en cime,

Puis il accourt, et meurt victime
Du doux regard qui l'a séduit.

Ou, s'il voit luire enfin l'aurore
Du jour promis à ses efforts,
Vivant, si son front se décore
Du laurier qui croît pour les morts;
L'erreur, l'ignorance hautaine,
L'injure impunie et la haine.
Usent les jours de l'immortel.
Du malheur imposant exemple,
La Gloire l'admet dans son temple
Pour l'immoler sur son autel!

II.

Pourtant, fallût-il être en proie
A l'injustice, à la douleur,

Qui n'accepterait avec joie
Le génie aux prix du malheur?
Quel mortel, sentant dans son âme
S'éveiller la céleste flamme

Que le temps ne saurait ternir,
Voudrait, redoutant sa victoire,
Au sein d'un bonheur sans mémoire,
Fuir son triste et noble avenir?

A un Poëte.

LE MEME.

L'Aigle, c'est le génie! oiseau de la tempête,

Qui des monts les plus hauts cherche le plus haut faîte ; Dont le cri fier, du jour chante l'ardent réveil ;

Qui ne souille jamais sa serre dans la fange,
Et dont l'œil flamboyant incessamment échange
Des éclairs avec le soleil.

Son nid n'est pas un nid de mousse; c'est une aire,
Quelque rocher, creusé par un coup de tonnerre,
Quelque brèche d'un pic, épouvantable aux yeux,
Quelque croulant asile, aux flancs des monts sublimes,
Qu'on voit, battu des vents, pendre entre deux abîmes,
Le noir précipice et les cieux !

Ce n'est pas l'humble ver, les abeilles dorées,
La verte demoiselle, aux ailes bigarrées,

Qu'attendent ses petits, béants, de faim pressés;
Non! c'est l'oiseau douteux, qui dans la nuit végète,
C'est l'immonde lézard, c'est le serpent qu'il jette,
Hideux, aux aiglons hérissés.

Nid royal! palais sombre, et que d'un flot de neige
La roulante avalanche en bondissant assiége!
Le génie y nourrit ses fils avec amour,

Et, tournant au soleil leurs yeux remplis de flammes,
Sous son aile de feu couve de jeunes âmes,
Qui prendront des ailes un jour!

Pourquoi donc t'étonner, Ami, si sur ta tête,
Lourd de foudres, déjà le nuage s'arrête ?
Si quelque impur reptile en ton nid se débat?
Ce sont tes premiers jeux, c'est ta première fête :
Pour vous autres aiglons, chaque heure a sa tempête,
Chaque festin est un combat.

Rayonne, il en est temps! et s'il vient un orage,
En prisme éblouissant change le noir nuage.
Que ta haute pensée accomplisse sa loi.

Viens, joins ta main de frère à ma main fraternelle.
Poëte, prends ta lyre; aigle, ouvre ta jeune aile;
Etoile, étoile, lève-toi!

La brume de ton aube, Ami, va se dissoudre.
Fais-toi connaître, aiglon, du soleil, de la foudre.
Viens arracher un nom par tes chants inspirés ;
Viens; cette gloire, en butte à tant de traits vulgaires,
Ressemble aux fiers drapeaux qu'on rapporte des guerres,
Plus beaux quand ils sont déchirés !

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