Page images
PDF
EPUB

Chacun de vous peut-être, en son cœur solitaire,
Sous des ris passagers étouffe un long regret ;
Hélas! nous souffrons tous ensemble sur la terre,
Et nous souffrons tous en secret!

Tu n'as qu'une colombe, à tes lois asservie ;
Tu mets tous tes amours, vierge, dans une fleur,
Mais à quoi bon? La fleur passe comme la vie,
L'oiseau fuit comme le bonheur!

On est honteux des pleurs; on rougit de ses peines,
Des innocens chagrins, des souvenirs touchans;
Comme si nous n'étions sous les terrestres chaînes
Que pour la joie et pour les chants!

Hélas! il m'a donc fui sans me laisser de trace,
Mais pour le retenir j'ai fait ce que j'ai pu,
Ce temps où le bonheur brille, et soudain s'efface,
Comme un sourire interrompu!

L'Histoire.

VICTOR HUGO.

I.

Le sort des nations, comme une mer profonde,
A ses écueils cachés et ses gouffres mouvans.
Aveugle qui ne voit, dans les destins du monde,
Que le combat des flots sous la lutte des vents!

Un souffle immense et fort domine ces tempêtes.
Un rayon du ciel plonge à travers cette nuit.
Quand l'homme aux cris de mort mêle le cri des fêtes,
Une secrète voix parle dans ce vain bruit.

Les siècles tour à tour, ces gigantesques frères,
Différens par leur sort, semblables dans leurs vœux,
Trouvent un but pareil par des routes contraires,
Et leurs fanaux divers brillent des mêmes feux.

II.

Muse! il n'est point de temps que tes regards n'embrassent;

Tu suis dans l'avenir leur cercle solennel;

Car les jours, et les ans, et les siècles ne tracent

Qu'un sillon passager dans le fleuve éternel.

Bourreaux, n'en doutez pas, n'en doutez pas, victimes! Elle porte en tous lieux son immortel flambeau,

Plane au sommet des monts, plonge au fond des abîmes,
Et souvent fonde un temple où manquait un tombeau.

Elle apporte leur palme aux héros qui succombent,
Du char des conquérans brise le frêle essieu,
Marche en rêvant au bruit des empires qui tombent,
Et dans tous les chemins montre les pas de Dieu!

Du vieux palais des temps elle pose le faîte;
Les siècles à sa voix viennent se réunir;

Sa main, comme un captif honteux de sa défaite,
Traîne tout le passé jusque dans l'avenir.

Recueillant les débris du monde en ses naufrages,
Son œil de mers en mers suit le vaste vaisseau,
Et sait voir tout ensemble, aux deux bornes des àges,
Et la première tombe et le dernier berceau !

LE MEME.

La Bande Noir.

J'aimais le manoir dont la route
Cache dans les bois ses détours,
Et dont la porte sous la voûte,
S'enforce entre deux larges tours;
J'aimais l'essaim d'oiseaux funèbres
Qui sur les toits, dans les ténèbres,
Vient grouper ses noirs bataillons;
Ou, levant des voix sépulcrales,
Tournoie en mobiles spirales
Autour des légers pavillons.

J'aimais la tour, verte de lierre,
Qu'ébranle la cloche du soir;
Les marches de la croix de pierre
Où le voyageur vient s'asseoir;
L'église veillant sur les tombes,
Ainsi qu'on voit d'humbles colombes
Couver les fruits de leur amour;
La citadelle crénelée,

Ouvrant ses bras sur la vallée,

Comme les ailes d'un vautour.

J'aimais le beffroi des alarmes ;
La cour où sonnaient les clairons;
La salle où, déposant leurs armes,
Se rassemblaient les hauts barons;
Les vitraux éclatans ou sombres;
Le caveau froid où, dans les ombres,
Sous des murs que le temps abat,
Les preux, sourds au vent qui murmure,
Dorment couchés dans leur armure,
Comme la veille d'un combat.

Aujourd'hui, parmi les cascades,
Sous le dôme des bois touffus,
Les piliers, les sveltes arcades,
Hélas! penchent leurs fronts confus;
Les forteresses écroulées,

Par la chèvre errante foulées,
Courbent leurs têtes de granit;

Restes qu'on aime et qu'on vénère !
L'aigle à leurs tours suspend son aire,
L'hirondelle y cache son nid.

Comme cet oiseau de passage,
Le poëte, dans tous les temps,
Chercha, de voyage en voyage,
Les ruines et le printemps.
Ces débris, chers à la patrie,
Lui parlant de chevalerie;
La gloire habite leurs néants;
Les héros peuplent ces décombres ;--
Si ce ne sont plus que des ombres,
Ce sont des ombres de géants!

O Français! respectons ces restes!
Le ciel bénit les fils pieux

Qui gardent, dans le jours funestes,
L'héritage de leurs aïeux.
Comme une gloire dérobée,
Comptons chaque pierre tombée;
Que le temps suspende sa loi ;
Rendons les Gaules à la France,
Les souvenirs à l'espérance,
Les vieux palais au jeune roi!

LE MEME.

Au Vallon de Cherizy.

Le voyageur s'assied sous votre ombre immobile, Beau vallon; triste et seul, il contemple en rêvant L'oiseau qui fuit l'oiseau, l'eau que souille un reptile, Et le jonc qu'agite le vent!

Hélas! l'homme fuit l'homme; et souvent avant l'âge
Dans un cœur noble et pur se glisse le malheur;
Heureux l'humble roseau qu'alors un prompt orage
En passant brise dans sa fleur!

Cet orage, ô vallon, le voyageur l'implore.
Déjà las de sa course, il est bien loin encore
Du terme où ses maux vont finir;

Il voit devant ses pas, seul pour se soutenir,
Aux rayons nébuleux de sa funèbre aurore,
Le grand désert de l'avenir!

De dégoûts en dégoûts il va traîner sa vie.
Que lui font ces faux biens qu'un faux orgueil envie ?
Il cherche un cœur fidèle, ami de ses douleurs;
Mais en vain: nuls secours n'aplaniront sa voie,
Nul parmi les mortels ne rira de sa joie,
Nul ne pleurera de ses pleurs!

Son sort est l'abandon; et sa vie isolée
Ressemble au noir cyprès qui croît dans la vallée.
Loin de lui, le lis vierge ouvre au jour son bouton;
Et jamais, égayant son ombre malheureuse,
Une jeune vigne amoureuse

A ses sombres rameaux n'enlace un vert feston.

Avant de gravir la montagne,

Un moment au vallon le voyageur a fui.
Le silence du moins répond à son ennui,
Il est seul dans la foule: ici, douce compagne,
La solitude est avec lui!

Isolés comme lui, mais plus que lui tranquilles,
Arbres, gazons, rians asiles,

Sauvez ce malheureux du regard des humains!
Ruisseaux, livrez vos bords, ouvrez vos flots dociles
A ses pieds qu'a souillés la fange de leurs villes,
Et la poudre de leurs chemins!

Ah! laissez-lui chanter, consolé sous vos ombres,
Ce long songe idéal de nos jours les plus sombres,
La vierge au front si pur, au saurire si beau!
Si pour l'hymen d'un jour c'est en vain qu'il l'appelle,
Laissez du moins rêver à son âme immortelle

L'éternel hymen du tombeau !

La terre ne tient point sa pensée asservie;
Le bel espoir l'enlève au triste souvenir;
Deux ombres désormais dominent sur sa vie :
L'une est dans le passé, l'autre dans l'avenir!

Oh! dis, quand viendras-tu? quel Dieu va te conduire,
Etre charmant et doux, vers celui que tu plains?
Astre ami, quand viendras-tu luire,

Comme un soleil nouveau, sur ses jours orphelins?

Il ne t'obtiendra point, chère et noble conquête,
Au prix de ces vertus qu'il ne peut oublier;
Il laisse au gré du vent le jonc courber sa tête ;
Il sera le grand chêne, et devant la tempête
Il saura rompre et non plier.

Elle approche, il la voit; mais il la voit sans crainte.
Adieu, flots purs, berceaux épais,

Beau vallon où l'on trouve un écho pour sa plainte,
Bois heureux où l'on souffre en paix !

Heureux qui peut au sein du vallon solitaire,
Naître, vivre et mourir dans le champ paternel!
Il ne connaît rien de la terre,
Et ne voit jamais que le ciel!

Pluie d'Eté.

Que la soirée est fraîche et douce !
O viens! il a plu ce matin;
Les humides tapis de mousse
Verdissent tes pieds de satin.
L'oiseau vole sous les feuillées,
Secouant ses ailes mouillées ;
Pauvre oiseau que le ciel bénit!
Il écoute le vent bruire,

Chante, et voit des gouttes d'eau luire,
Comme des perles, dans son nid.

LE MEME.

« PreviousContinue »