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Tu croyais l'accabler, tu l'avais résolu :
Mais le tombeau creusé pour elle

Dévore tôt au tard le monarque absolu :

Un tyran tombe ou meurt; seule elle est immortelle.
Laissant l'Europe vide, et la Victoire en deuil,
Ainsi, de faute en faute et d'orage en orage,
Il est venu mourir sur un dernier écueil,
Où sa grandeur a fait naufrage.

La vaste mer murmure autour de son cercueil.

Une île t'a reçu sans couronne et sans vie,
Toi, qu'un empire immense eut peine à contenir ;
Sous la tombe, où s'éteint ton royal avenir,
Descend avec toi seule toute une dynastie;
Et le pêcheur le soir s'y repose en chemin ;
Reprenant ses filets qu'avec peine il soulève,
Il s'éloigne à pas lents, foule ta cendre, et rêve...
A ses travaux du lendemain.

Buonaparte.
1.

CASIMIR DELAVIGNE.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent ;
Que le vent sème au loin un poison voyageur;
Quand l'ouragan mugit; quand des monts brûlans s'ouvrent;
C'est le réveil du Dieu vengeur.

Et si, lassant enfin les clémences célestes,

Le monde à ces signes funestes

Ose répondre en les bravant,

Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant!

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs long-temps armés de l'anathême,-
Par l'anathême renversés !

De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables

Régné par la flamme et le fer;

Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer!

II.

Naguère, de lois affranchie,
Quand la Reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions;
On vit, dans ce chaos fétide,
Naître de l'hydre régicide

Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde

Et vomit un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes, Il vint, chef populaire, y combattre en courant, Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes, Sous sa tente de conquérant.

Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes. En vain l'auguste France en larmes

Se promettait des jours plus beaux ;

Quand des vieux Pharaons il foulait la couronne, Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux !

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice.
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi.
L'anarchie, à Vincenne, admira son complice,-
Au Louvre elle adora son Roi.

Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome.

Vint bénir son front menaçant;

Car sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadême
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant le pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;

Fier, il s'endort dans son néant;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,

Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.

Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage,

Devant les fils de Galgacus;

Et quand de leurs foyers il ramenait ses braves,
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.—
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental!

Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au Nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;

Mais là, parut l'écueil de sa course hardie.
Les peuples sommeillaient: un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil !

Il tomba Roi;-puis, dans sa route,

Il voulut, fantôme ennemi,

Se relever, afin, sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, loin de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,

On jeta ce captif suprême

Sur un rocher, débris lui-même

De quelque ancien monde englouti!

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.

Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de loin comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonnier.

Il mourut.-Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier!

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.—
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.

Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;

Soldat, on vantait sa valeur.

Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges:-
Ce ne sont point là les héros !

Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

À Lord Byron.

VICTOR HUGO.

Toi dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents
Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents!...
La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine:
L'aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine :
Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés
Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappés,

M M

Des rivages couverts des débris du naufrage,
Ou des champs tout noircis des restes du carnage ;

Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs,
Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts.
Le mal est ton spectacle, et l'homme est ta victime.
Ton œil, comme Satan, a mesuré l'abîme,

Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu,
A dit à l'espérance un éternel adieu!

Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres,
Ton génie invincible éclate en chants funèbres;
Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal,
Chante l'hymne de gloire au sombre dieu du mal.
Mais que sert de lutter contre sa destinée ?
Que peut contre le sort la raison mutinée ?
Elle n'a, comme l'œil, qu'un étroit horizon,
Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison.

Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître :
Ignorer et servir, c'est la loi de notre être.

Byron, ce mot est dur: long-temps j'en ai douté ;
Mais pourquoi reculer devant la vérité ?

Ton titre devant Dieu, c'est d'être son ouvrage ;
De sentir, d'adorer ton divin esclavage
Dans l'ordre universel, faible atome emporté,
D'unir à ses desseins ta libre volonté,
D'avoir été conçu par son intelligence,
De le glorifier par ta seule existence !
Voilà, voilà ton sort. Ah! loin de l'accuser,
Baise plutot le joug que tu voulais briser.

Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace ;
Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place;

Aux regards de celui qui fit l'immensité

L'insecte vaut un monde: ils ont autant coûté !

DE LA MARTINE.

Le Ruisseau.

"Ton murmure, importun Ruisseau,

Fatigue enfin ma patience.

Cesse à l'instant; tu dois, dans un humble silence Traîner ton maigre filet d'eau."

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