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EXTRAITS

DES

MEILLEURS ECRIVAINS FRANÇAIS,

ANCIENS ET MODERNES.

Prose.

LITTÉRATURE.

Extrait d'un Essai sur l'Origine et les Progrès de la Langue Française.

L'EPOQUE des croisades nous offre les premiers monumens de la poésie Française. Thibault, comte de Champagne, et le Châtelain de Coucy chantèrent leur amour dans cette langue informe. Joinville écrivit en prose l'histoire de la guerre dans laquelle il s'était signalé.* Son langage était si peu intelligible, même sous le règne de François I. qu'à cette époque on le traduisit. Nous ne lisons plus aujourd'hui que cette traduction. Le Roman de la Rose, attribué à Guillaume de Lorris et à Jéhan de Mehun, fut aussi un monument littéraire de ce temps. Quoique le fonds de ce roman n'ait rien d'attachant, ni d'ingénieux, il est encore très-recherché par les amateurs du vieux langage.

Charles V., qui aimait les lettres, fit rassembler dans son palais les livres les plus estimés de son temps, et jeta les fondemens de la bibliothèque impériale, la plus complète, peut-être, qui existe. Sous son règne, Froissard se distingua comme poëte et comme historien. Les chroniques de cet auteur, qui ont été d'une si grande utilité aux historiens Français, deviennent plus intelligibles que les récits

• Il accompagna St. Louis en Palestine.

B

de Joinville. On y remarque que la langue a fait des progrès sensibles; les règles grammaticales sont moins arbitraires, et l'on trouve même une sorte d'élégance.

Philippe de Commines, qui vécut sous le règne suivant, parvint aux premières dignités à la cour d'un roi qui avait assez de pénétration pour distinguer le mérite, mais dont le caractère sombre et cruel rendait souvent cette distinction dangereuse pour ceux qui en étaient l'objet.

Ses Mémoires sont le seul ouvrage Français de ce tempslà qu'on lise encore avec plaisir. La diction est claire et intelligible; elle a même une sorte d'élégance inconnue aux auteurs contemporains. Philippe de Commines avait été long-temps dans l'intimité du roi; il avait pu quelquefois pénétrer dans les replis de cette âme sombre et dissimulée; enfin il avait eu part à l'administration publique et à des négociations importantes. Il rapporte donc des faits dont lui seul a pu être instruit. Son langage porte toujours le caractère de la vérité. Les récits intéressans qu'il offre aux lecteurs paraissent faits sans art; il y règne une grâce et un ton facile qui ne peuvent se trouver que dans un homme de la cour. Ses Mémoires servent encore de guide à tous ceux qui veulent s'instruire à fond des particularités du règne de Louis XI.

François I., dont le règne fut si brillant et si malheureux, protégea la littérature Française, et la langue fit de plus grands pas vers sa perfection. Dans les intervalles trop courts de repos dont jouit François I. les fêtes somptueuses qu'il donna, les réunions brillantes qu'il forma à sa cour, la galanterie noble qui s'y introduisit, l'influence des femmes dont l'éducation commençait à être moins négligée, et que l'on ne confinait plus dans des châteaux, firent contracter l'habitude de s'exprimer avec grâce; et la délicatesse se joignit à la naïveté simple des règnes précédens. L'esprit de société prit naissance. La culture des lettres n'appartint plus exclusivement aux savans qui ne pouvaient s'empêcher d'y mêler du pédantisme. On s'en occupa dans les cercles; on se permit d'en juger; le goût et la langue dûrent beaucoup à cette heureuse innovation.

François I. ne borna pas ses soins à l'impulsion qu'il avait donnée aux personnes de sa cour. Il fonda le Collége de France qui s'est conservé jusqu'à nos jours. Cet établissement fut consacré, dès son origine, à perfectionner l'enseignement littéraire qu'on recevait dans les colléges de

l'université. L'étude du Grec qui avait été négligée, fut cultivée dans ce collége, et l'on y embrassa toutes les parties des sciences et de la belle littérature.

Nos relations avec l'Italie continuèrent sous ce règne, et la langue Française s'enrichit encore des trésors littéraires dùs à la protection éclairée des Médicis et de la maison d'Est. On commença à reconnoître, principalement dans les poésies légères, une différence marquée dans la manière de s'exprimer des deux peuples. Les poëtes érotiques de l'Italie cherchaient toujours à mettre de l'esprit dans leurs productions; leurs pensées avaient quelque chose de subtil qui en affaiblissait l'effet; ils se plaisaient aux cliquetis de mots; ils se bornaient trop souvent à flatter l'oreille; leur délicatesse était recherchée; ils tombaient enfin dans le défaut reproché à Ovide, d'épuiser une idée, en la retournant dans tous les sens. Clément Marot, que nous pouvons regarder comme notre premier bon poëte, prit une autre route. Il sut badiner avec grâce, et éviter toute espèce d'affectation; une délicatesse fine et aimable domina dans ses vers, mais elle ne fut jamais poussée jusqu'à cette quintessence de sentiment qui en détruit le charme. Une sensibilité vive et naturelle échauffa seule son imagination, et l'on n'eut jamais à lui reprocher le défaut de ces poëtes qui s'exaltent à froid, et remplacent par de grands mots les expressions simples qui, plus que toutes les autres, conviennent aux passions.

Chez tous les peuples, la prose s'est formée plus tard que la poésie. Il semble que, pour bien posséder cette aisance, ce nombre, cette variété de tours qui caractérisent la bonne prose, il faut s'être rompu à la versification, et que les difficultés du langage mesuré soient nécessaires pour perfectionner le langage ordinaire. Aussi Rabelais, contemporain de Marot, ne mérita-t-il pas les mêmes éloges. Sous le voile d'une bouffonnerie grossière, il fit intervenir dans son ouvrage tous les grands personnages du siècle où il vécut. Il ne respecta ni les mœurs, ni la religion; et le ton grotesque qu'il avait pris, put seul le soustraire aux persécutions qu'il se serait attirées, s'il avait eu l'air de parler sérieusement.

Ronsard avait remarqué que la diction de Marot ne pouvait se prêter aux sujets nobles; et il en avait conclu qu'au lieu de chercher à faire un choix d'expressions

relevées, il fallait opérer une révolution dans la langue, en y introduisant les richesses de la langue Grecque et de la langue Latine. Les succès qu'il obtint, et qu'il dut plutôt à quelques beaux vers épars dans ses ouvrages, qu'aux innovations dangereuses qu'il avait osé tenter, l'enivrèrent au point qu'il ne garda plus aucune mesure. Il

hérissa ses écrits de d'Homère et celle de un jargon barbare.

mots nouveaux, et l'on vit la langue Virgile, tronquées et défigurées dans Cet abus fut heureusement porté si loin, qu'on n'entendit bientôt plus le poëte. Sa chute fut aussi prompte que son succès.

La traduction des Hommes Illustres et des Euvres morales de Plutarque, par Amiot, est le premier monument durable de notre prose. C'étaient peut-être les seuls ouvrages de l'antiquité qui pussent passer dans la langue Française telle qu'elle était alors. Plutarque est toujours simple et naïf; ses récits portent le caractère d'une bonhomie agréable, unie avec la plus profonde raison; et ses traités de morale, pleins d'excellens principes sur la politique, sur la société, sur l'éducation, ressemblent à une conversation d'amis, où l'auteur cherche à instruire en amusant. Notre prose, qui ne pouvait encore se prêter à un style élevé, et qui était propre à peindre naïvement les détails de la vie privée, convenait très-bien pour rendre les écrits de Plutarque. C'est ce qui explique les causes de la préférence que nous donnons toujours à la traduction d'Amiot sur celle de Dacier.

Montaigne, dans ses Essais, en parlant toujours de luimême, pénètre dans les plus secrets replis du cœur humain; il n'emploie aucun art, ne met aucun ordre dans la distribution de ses idées, et il passe alternativement d'un sujet à un autre. Souvent l'objet de ses chapitres ne répond point au titre qu'il leur a donné. Malgré ce désordre, il plaît encore généralement. Son style fait oublier la longueur de ses digressions. Ne quittant point le ton naïf du siècle, il est souvent familier, mais quelquefois il devient fort. Il exprime d'une manière originale des idées neuves; il est pittoresque dans les descriptions, et quelques mots vieillis. qui expriment énergiquement des pensées que nous rendons aujourd'hui par des périphrases, ajoutent encore au charme qu'on éprouve en le lisant. Montaigne avait été habitué dès l'enfance, à parler en même temps Latin et Français; de là viennent plusieurs tournures Latines que l'on remarque

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