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les auteurs Français; quelques morceaux de ses poëmes respirent la douceur, la tendresse, la volupté, et sont dignes d'être chantés dans les jardins d'Armide.

La poésie didactique paraissait être faite pour le sage et sévère Boileau, qui avait plus de raison et de goût que d'imagination, et plus d'imagination que de sensibilité. Dans son Art Poétique, il donna en même temps le précepte et l'exemple. Il paraît offrir entre la philosophie et l'imagination, entre le vrai et le beau, une alliance aussi utile qu'agréable; mais il présente de grandes difficultés ; on risque toujours d'être sec et aride, ou superficiel et faux. Boileau a su tenir un sage milieu entre ces deux extrèmes; il est solide sans pesanteur; il éclaire en amusant; ses idées, saines et justes, se succèdent en foule sous le masque agréable des images. Ses satires, qui paraissent appartenir au genre comique (car la comédie n'est qu'une satire en action), appartiennent plus encore au genre didactique, puisque leur but est d'instruire et de corriger. Celles de Boileau sont dans la bouche de tout le monde; la plupart de ses vers sont devenus maximes ou proverbes. Il n'a pas la sainte indignation de Juvénal, et il ne pouvait pas l'avoir, puisqu'il ne frappe que sur les ridicules. Il n'a pas non plus la philosophie d'Horace, son ton léger, son esprit fin et délicat; mais il a sa vivacité, ses tournures dramatiques, et la même correction de dessin, la même pureté de goût. On trouve dans ses satires plus de force que de grace, plus d'humeur que de gaieté, plus de sagesse que d'abondance; mais on y admire ce style mâle et ferme, cette simplicité vraiment antique, ce naturel précieux qui caractérisent les grands écrivains du siècle de Louis XIV. On regrette seulement que son talent ne se soit exercé que sur les mauvais auteurs, et qu'il n'ait pas plus ménagé les personnes en attaquant les choses.

Boileau a fait l'ode sur la prise de Namur; ses partisants et ses amis désiraient qu'il ne l'eût pas faite, ou qu'on l'oubliât, et leur væru a été rempli. En général, la poésie lyrique n'a pas été cultivée en France avec succès. Les grands évènements du siècle de Louis XIV et les exploits des Français étaient bien propres à inspirer l'enthousiasme, dont l'ode est l'expression, mais le génie de la langue, qui ne permet pas les inversions hardies, et qui, plus que toutes les autres, se refuse même à un désordre apparent, n'est pas favorable à la marche irrégulière de la poésie

lyrique. Cependant l'auteur d'Athalie et d'Esther a fait ces chœurs immortels où toute la richesse des images orientales se trouve associée au goût le plus pur, et où le génie des poètes sacrés a reçu l'hommage du génie. Rousseau, si fameux par les couplets qu'on lui attribua, si intéressant par ses malheurs, est justement célèbre par ses odes, dont l'harmonie ravissante, le ton noble et élevé commandent l'admiration de ceux même qui y désireraient plus d'abandon, plus d'enthousiasme, plus d'idées et de sentiments, et qui les voudraient plutôt sublimes

que belles.

L'ode badine, la chanson, en un mot, tout ce qu'on est convenu d'appeler poésie légère, a obtenu en France un degré de perfection qu'il est plus facile de sentir que de définir et d'exprimer. La gaieté, la vivacité, la légèreté nationales devaient inspirer aux poètes le goût et le talent de ces productions légères; ce sont des miniatures et des camées d'un fini achevé; enfants du plaisir et de l'occasion, ces vers sont si parfaits qu'on les croirait le fruit d'un long travail. La perfection de la société, la marche rapide de la langue, les relations habituelles avec les femmes, devaient multiplier en France ce genre de talents. Chapelle, Bachaumont, Saint-Aulaire chantaient leurs couplets, comme Anacréon chantait les siens, au milieu des festins, couronné des roses du plaisir; Chaulieu célébrait les mêmes objets avec plus de délicatesse et de sensibilité, mêlait aux peintures de la volupté une légère teinte de mélancolie, une philosophie douce et aimable, et il paraît avoir dérobé à Horace le secret des contrastes; la volupté est sur le devant de ses tableaux, et on aperçoit un tombeau dans l'éloignement.

L'éloquence emprunte à la poésie une partie de ses moyens et de ses riches décorations; elle doit puiser avec beaucoup de sobriété dans le trésor d'images que la poésie. ici ouvre, mais elle en a besoin pour persuader les cœurs, et pour faire trouver grace à la raison. Il est un genre d'éloquence que la France ne pouvait pas connaître, c'est l'éloquence politique, qui ne peut exister que dans les républiques ou dans les gouvernements mixtes. La France adopta et connut l'éloquence du barreau; elle créa ou ressuscita l'éloquence de la chaire. Mais la première était souvent déplacée, là où il ne s'agissait que d'éclairer et non d'émouvoir, et elle manquait souvent de grands sujets qui lui permissent de déployer toutes ses forces. Patru, Cochin,

et plus tard d'Aguesseau ont été les modèles du barreau. Patru n'était que sage et correct; c'était beaucoup de réformer le mauvais goût de son temps. Cochin, plus animé, ne fut pas étranger aux mouvements oratoires. D'Aguesseau, dans ses mercuriales toujours pur, noble, élevé, offre plus d'idées que d'imagination et plus d'esprit que de sensibilité. Massillon, Bourdaloue, Bossuet et Fléchier disputent à Cicéron et à Démosthène, dans un ordre de sujets tout différents, la palme de l'éloquence. L'orateur sacré a des difficultés à vaincre qui étaient inconnues aux anciens, mais d'un autre côté il a des moyens de frapper, d'attendrir et d'émouvoir que la religion chrétienne seule pouvait fournir. Bourdaloue, logicien sévère, a dans son style un peu de l'austérité de ses principes; il paraît craindre de profaner par des ornements la sainteté de ses sujets; il est plutôt pressant que touchant, et il semble oublier que la vertu est un art et non une science, et que la religion a des intelligences secrètes et puissantes avec l'imagination et la sensibilité. Il était réservé à Massillon, de saisir toute l'étendue de l'art, d'ébranler à la fois toutes les fibres de l'esprit et du cœur pour faire triompher la vérité. Jamais homme n'a jeté la sonde dans le cœur humain d'une main plus sûre et plus délicate, avec plus d'habileté et plus de cette bonté touchante qui rassure sur l'usage qu'il fera de ses découvertes. Ses admirables

discours sont une lutte continuelle de l'orateur avec les passions; il les atteint sous toutes les formes qu'elles empruntent; il les saisit, les arrête, les oblige à raisonner avec lui, les serre de près, démêle leurs artifices, et les contraint à signer elles-mêmes l'arrêt de leur condamnation; d'autres se contentent de prouver qu'il ne faut pas vivre sous l'empire des passions; il fait mieux, il vous en dégoûte et vous les ôte. Majestueux et clair, quand il établit le dogme; doux, tendre, entraînant, quand il peint les charmes de la vertu; véhément, impétueux, terrible, quand il foudroie les passions, il est le Racine de l'éloquence. Comme lui il a tous les tons; comme lui il est toujours également parfait. Bossuet, faible dans ses sermons, ne parait fait que pour les oraisons funèbres. Il fallait à ce génie sublime, à cette imagination vaste, à cette âme plus forte encore que sensible, le champ immense de la mort, du temps, de l'éternité, pour qu'elle fût dans sa véritable sphère. Tout ce qui est obscur et mystérieux,

ou saisissant et sombre, ou infini dans son principe et dans ses suites, est seul à l'unisson de son génie. A la hauteur où il s'élève, on a peine à le suivre; après avoir promené l'orgueil de l'homme sur les tombeaux, il s'élève, avec lui au ciel sur un char de feu. L'esprit de Fléchier ne plane pas dans ces hautes régions, ou ne s'y soutient pas long-temps; plus fini qu'abondant, plus élégant qu'énergique, il ne perd jamais son auditeur de vue, et son auditeur ne l'oublie jamais.

Chez la plupart des peuples, l'éloquence a été uniquement consacrée à certains sujets, et elle n'a pas quitté la tribune et la chaire; chez les Français elle n'est étrangère à aucun genre; le talent d'écrire avec élégance, avec chaleur, avec légèreté, avec force, suivant les matières, l'art d'adapter toujours le style au sujet que l'on traite, n'ont peut-être été chez aucune nation aussi communs qu'en France. Aucune littérature ne possède autant de livres bien faits, solides, profonds, instructifs, et en même temps agréables. Nulle part on ne trouve autant d'ouvrages qui offrent un heureux mélange d'esprit et de raison, d'imagination et de sentiment, de faits et d'idées, où sans perdre de vue l'objet principal et l'unité de but, on répande plus de cette variété qui éclaire et délasse en présentant à l'esprit une foule de rapports divers; ou le style, à la fois clair et précis, épargne au lecteur la fatigue de l'obscurité et l'ennui des longueurs, et où l'on arrive à des résultats frappants par une marche rapide et sûre.

Quel que soit le mérite de la poésie Française, la prose Française en a peut-être encore davantage, et a contribué plus que la poésie à la prodigieuse fortune qu'a faite la littérature. La poésie est une espèce de luxe des nations civilisées; la prose est un objet de nécessité première; elle est le véhicule des idées et des sentiments sur lesquels roule la société. La perfection de la prose Française tient également au génie de la langue et à celui de la nation qui la parle. Cette langue, qui suit l'ordre logique des idées, qui, pour éviter les équivoques aux-quelles sa pauvreté l'expose, veut qu'on détermine avec soin le sens de chaque expression, qui débarrasse toujours la phrase principale de toutes les phrases incidentes, et ne permet jamais à un auteur d'être obscur, est éminemment la langue de la raison. Elle ne se refuse pas aux besoins de l'imagination; elle est même admirable pour peindre en poésie les mouvements des passions et les affections du

cœur; mais la langue Italienne est plus harmonieuse et plus tendre, l'Espagnole plus majestueuse et plus romantique, l'Allemande plus riche et plus métaphysique, l'Anglaise plus hardie et plus libre dans ses inversions et dans sa marche, et aucune de ces langues n'est peut-être aussi propre que la Française à porter l'évidence et la lumière dans l'esprit, à suivre et à rendre fidèlement les modifications de la pensée; car la précision et la clarté la caractérisent. Elle doit conserver ce caractère, et le conserve en effet dans les grands écrivains, quel que soit le ton qu'elle prenne; qu'il soit tendre dans Fénélon, véhément dans Bossuet, mâle et ferme dans la Bruyère, impérieux dans Rousseau, magnifique dans Buffon, léger et rapide dans Voltaire. L'heureux équilibre de raison et d'imagination, de sentiment et de finesse, qui constitue le fond de l'esprit national, et qu'on retrouve dans tous les bons auteurs, a passé dans la langue même, et a donné à la prose Française la perfection qui la distingue; dans tous les ouvrages classiques elle paraît être le langage de la raison, parée des graces de l'imagination, et animée par les mouvements de la sensibilité.

Les travaux de l'érudition avaient préparé à l'histoire une prodigieuse abondance de faits. Saumaise, Scaliger, Casaubon, et beaucoup d'autres avaient associé leurs noms à ceux des grands écrivains de l'antiquité en les expliquant ; et quoique leurs volumineux et pesants commentaires soient plutôt des depôts d'érudition que des ouvrages dictés par le goût ou par une saine critique, ils avaient répandu beaucoup de lumières sur l'histoire, les lois, les usages et les moeurs de la Grèce et de Rome. Ces savantes recherches avaient frayé la route aux traducteurs des anciens, et bientôt les Français purent lire la plupart des auteurs Grecs et Latins dans leur langue. A la vérité, la plupart de ces traductions, comme celles d'Ablancourt, étaient de belles infidèles; d'autres, comme celles de Dacier, étaient moins élégantes sans être plus éxactes, et ne faisaient pas mieux connaître le génie de Plutarque et d'Homère, que d'Ablancourt n'avait réussi à rendre celui de Tacite; mais cependant ces traductions, tout imparfaites qu'elles étaient, enrichissaient la langue ou la perfectionnaient, faisaient du moins soupçonner la belle simplicité des anciens, et multipliaient les points de comparaison. Mabillon, Cordemoi, Valois Lelong, Baluze, Ducange, rendaient à l'histoire

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