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Molière et La Fontaine.

MOLIÈRE, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique, donne à la comédie la moralité de l'apologue. La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une des grandes beautés de la comédie, les caractères. Doués tous les deux au plus haut degré du génie d'observation, génie dirigé dans l'un par une raison supérieure, guidé dans l'autre par un instinct non moins précieux, ils descendent dans le plus profond de nos travers et de nos faiblesses; mais chacun, selon la double différence de son genre et de son caractère, les exprime différemment.

Le pinceau de Molière doit être plus énergique et plus ferme, celui de La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacité qui suppose la science des grands traits. Le poete comique semble s'être plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passagères de la société. Le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et a peint une nature encore plus générale. Le premier me fait plus rire de mon voisin; le second me ramène plus à moi-même. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui: celui-là me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un défaut de bienséance choquant pour la société; l'autre avoir vu les vices comme un défaut de raison fâcheux pour nous-mêmes. Après la lecture du premier, je crains l'opinion publique; après la lecture du second, je crains ma conscience.

Enfin, l'homme corrigé par Molière, cessant d'être ridicule, pourrait devenir vicieux; corrigé par La Fontaine, il ne serait plus ni vicieux, ni ridicule: il serait raisonnable et bon, et nous nous trouverions vertueux, comme La Fontaine était philosophe sans s'en douter.

CHAMFORT.

Talma.

TALMA peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure', de naturel et de dignité. Il possède tous les

secrets des arts divers; ses attitudes rappellent les belles statues de l'antiquité; son vêtement, sans qu'il y pense, est drapé dans tous ses mouvements comme s'il avait eu le temps de l'arranger dans le plus parfait repos. L'expression de son visage, celle de son regard, doit être l'étude de tous les peintres. Quelquefois il arrive les yeux à demi-ouverts, et tout-à-coup le sentiment en fait jaillir des rayons de lumière qui semblent éclairer toute la scène. Le son de sa voix ébranle dès qu'il parle, avant que le sens même des paroles qu'il prononce ait excité l'émotion. Lorsque dans les tragédies il s'est trouvé par hasard quelques vers descriptifs, il a fait sentir les beautés de ce genre de poésie, comme si Pindare avait récité lui-même ses chants. Il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie qui, dès les premiers accents, réveille toute la sympathie du cœur. Le charme de la musique, de la peinture, de la sculpture, de la poésie, et par-dessus tout du langage de l'âme, voilà ses moyens pour développer dans celui qui l'écoute toute la puissance des passions généreuses ou terribles.

Dans les pièces tirées de l'histoire Romaine, Talma développe un talent remarquable. On comprend mieux Tacite après l'avoir vu jouer le rôle de Néron; il y manifeste un esprit d'une grande sagacité; car c'est toujours avec de l'esprit qu'une âme honnête saisit les symptômes du crime.

On peut trouver beaucoup de défauts dans les pièces de Shakspeare adaptées par Ducis à notre théâtre; mais il serait bien injuste de n'y pas reconnaître des beautés du premier ordre; Ducis a son génie dans son cœur, et c'est là qu'il est bien. Talma joue ses pièces en ami du beau

talent de ce noble vieillard.

Othello n'a pas réussi dernièrement sur la scène Française, il semble qu'Orosmane empêche qu'on ne compreane bien Othello; mais quand c'est Talma qui joue cette piece, le cinquième acte émeut comme si l'assassinat se passait sous nos yeux; j'ai vu Talma déclamer dans la chambre la dernière scène avec sa femme, dont la voix et la figure conviennent si bien à Desdemona; il lui suffisait de passer sa main sur ses cheveux et de froncer le sourcil pour être le Maure de Venise, et la terreur saisissait à deux pas de lui comme si toutes les illusions du théâtre l'avaient environné.

Hamlet est son triomphe parmi les tragédies du genre étranger; les spectateurs ne voient pas l'ombre du père d'Hamlet sur la scène Française, l'apparition se passe en entier dans la physionomie de Talma, et certes elle n'en est pas ainsi moins effrayante. Quand, au milieu d'un entretien calme et mélancolique, tout-à-coup il aperçoit le spectre, on suit tous ses mouvemens dans les yeux qui le contemplent, et l'on ne peut douter de la présence du fantôme quand un tel regard l'atteste.

Lorsque Hamlet arrive seul au troisième acte sur la scène, et qu'il dit en beaux vers Français le fameux monologue, To be, or not to be:

"La mort, c'est le sommeil... C'est un réveil peut-être,
Peut-être... Ah! c'est ce mot qui glace épouvanté
L'homme au bord du cercueil par le doute arrêté ;
Devant ce vaste abîme il se jette en arrière,
Ressaisit l'existence, et s'attache à la terre."

Talma ne faisait pas un geste, quelquefois seulement il remuait la tête pour questionner la terre et le ciel sur ce que c'est que la mort! Immobile, la dignité de la méditation absorbait tout son être. L'on voyait un homme, au milieu de deux mille hommes en silence, interroger la pensée sur le sort des mortels! dans peu d'années tout ce qui était là n'existera plus, mais d'autres hommes assisteront à leur tour aux mêmes incertitudes et se plongeront de même dans l'abîme sans en connaître la profondeur. MADAME DE STAEL.

PENSÉES ET MAXIMES.

L'AMOUR-PROPRE est le plus grand de tous les flatteurs. Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.

On fait souvent vanité des passions même les plus criminelles mais l'envie est une passion timide et honteuse que l'on n'ose jamais avouer.

Nous avons plus de force que de volonté et c'est souvent pour nous excuser à nous-mêmes, que nous imaginons que les choses sont impossibles.

Si nous

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres. n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses, deviennent ordinairement incapables des grandes.

L'intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé.

Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.

Il n'y a point d'accidens si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage; ni de si heureux que les imprudens ne puissent tourner à leur préjudice.

Le bonheur et le malheur des hommes ne dépendent pas moins de leur humeur que de la fortune.

Le silence est le parti le plus sûr pour celui qui se défie de soi-même.

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile, à la louange qui les trahit.

Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui mé disent.

La louange qu'on nous donne sert au moins à nous fixer dans la pratique des vertus.

Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire.

Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.

L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir.

Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde, se trompe fort: mais celui qui croit qu'on ne peut se passer de lui, se trompe encore davantage.

La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde.

L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c'est la paresse; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu'elle cause soient très-cachés: si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu'elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentimens, de nos intérêts et de nos plaisirs; c'est l'obstacle qui a la force d'arrêter les plus grands vaisseaux; c'est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires, que les écueils et que les plus grandes tempêtes.

Il y a des méchans qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté.

Nous aimons toujours ceux qui nous admirent; mais nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.

Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.

L'intérêt, que l'on accuse de tous nos crimes, mérite souvent d'être loué de nos bonnes actions.

Nous n'avouons de petits défauts, que pour persuader que nous n'en avons pas de grands.

On croit quelquefois haïr la flatterie; mais on ne hait que la manière de flatter.

La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir.

Le travail du corps délivre des peines de l'esprit, et c'est ce qui rend les pauvres heureux.

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