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tendoit, Dieu les y employe pour des raifons que la Philofophie ne penetrera jamais, & qui ne peuvent être parfaitement connuës que de lui feul.

Selon l'idée que donne la comparaison des Triangles, on voit que Platon avoit imaginé les Demons, afin que de Creature plus parfaite, en Creature plus parfaite, on montât enfin jufqu'à Dieu ;de forte que Dieu n'auroit que quelques degrez de perfection par deffus la premiere des Creatures. Mais il est visible que comme elles font toutes infiniment imparfaites à fon égard, parce qu'elles font toutes infiniment éloignées de lui, les differences de perfection qui font entre elles, 'difparoiffent dès qu'on les compare avec Dieu; ce qui les éleve les unes au-deffus des autres, ne les approche pourtant pas de lui. ·

Ainfi à ne confulter que la Raifon humaine, on n'a pas befoin de Demons, ni pour faire paffer l'action de Dieu jufqu'aux hommes, ni pour mettre entre Dieu & nous quelque chofe qui approche de lui, plus que nous ne pouvons en approcher.

Peut-être Platon lui-même n'étoit-il pas auffi fûr de l'existence de fes Demons que les Pla-toniciens l'ont été depuis. Ce qui me le fait foupçonner, c'eft qu'il met l'Amour au nombre des Demons, car il mêle fouvent la galanterie avec la Philofophie, & ce n'eft pas la galanteriequi lui réuffit le plus mal. Il dit que l'Amour est Fils du Dieu des Richeffes, & de la Pauvreté; qu'il tient de fon Pere la grandeur de courage, l'élévation des pensées, l'inclination à donner, la prodigalité, la confiance en fes propres for

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Ces, l'opinion de fon merite, l'envie d'avoir toujours la préference, mais qu'il tient de fa Mere cette indigence qui fait qu'il demande toujours, cette importunité avec laquelle il demande, cette timidité qui l'empêche quelquefois d'ofer demander, cette difpofition qu'il a à la fervitude, & cette crainte d'être méprifé qu'il ne peut jamais perdre. Voilà, à mon fens, une des plus jolies Fables qui fe foient jamais faites. Il eft plaisant que Platon en fit quelquefois d'auffi galantes & d'auffi agréables qu'auroit pu faire Anacréon lui-même,

quelquefois auffi ne raisonnât pas plus folidement que n'auroit fait Anacréon. Cette origine de l'Amour explique parfaitement bien toutes les bizarreries de fa nature, mais auffi on ne fait plus ce que c'eft que les Demons, du moment que l'Amour en eft un. Il n'y a pas d'aparence que Platon ait entendu cela dans un fens naturel & philofophique, ni qu'il ait voulu dire l'Amour fût un Être hors de nous, que qui habitât les Airs. Affurément il l'a entendu dans un fens galant, & alors il me femble. qu'il nous permet de croire que tous fes Demons font de la même espece que l'Amour; & puifqu'il mêle de gayeté de coeur des Fables dans fon Syftême, il ne fe foucie pas beaucoup que le refte de fon Syftême paffe pour fabuleux. Jufqu'ici nous n'avons fait que répondre aux raifons qui ont fait croire que les Oracles avoient quelque chofe de furnaturel, commençons préfentement à attaquer cette opinion,

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CHAPITRE VII.

Que de grandes Sectes de Philofophes Payens n'ont point crû qu'il y eût rien de furnaturel dans les Oracles.

SI au milieu de la Grece même où tout re

tentiffoit d'Oracles, nous avions foûtenu que ce n'étoient que des impostures, nous n'aurions étonné perfonne par la hardieffe de ce Paradoxe, & nous n'aurions point eu befoin de prendre des mefures pour le debiter fecrétement. La Philofophie s'étoit partagée sur le fait des Oracles; les Platoniciens & les Stoïciens tenoient leur parti; mais les Cyniques, les Peripateticiens, & les Epicuriens s'en mocquoient hautement. Ce qu'il y avoit de miraculeux dans les Oracles ne l'étoit pas tant que la moitié des Savans de la Grece ne fuffent encore en liberté de n'en rien croire, & cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs, ce qui merite d'être compté pour quelque chofe.

Eufebe nous dit que fix cens perfonnes d'entre les Payens avoient écrit contre les Oracles, mais je croi qu'un certain Oenomaüs, dont il nous parle, & dont il nous a confervé B 6

L. 4. de la Prép. Evang.

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quelques Fragmens, eft un de ceux dont les: Ouvrages meritent le plus d'être regretez.

Il y a plaifir à voir dans fes Fragmens qui nous reftent, cet Oenomaüs plein de la liberté Cynique argumenter fur chaque Oracle contre le Dieu qui l'a rendu, & le prendre luimême à partie. Voici, par exemple, comment il traite le Dieu de Delphes, fur ce qu'il avoit répondu à Créfus.

Créfus en paffant le Fleuve Halis renverfera. un grand Empire.

En effet, Créfus en paffant le Fleuve Halis attaqua Cyrus, qui, comme tout le monde fait, vint fondre fur fui & le dépouilla de tous fes Etats..

Tu t'étois vanté dans un autre Oracle rendu à Créfus, dit Oenomaüs à Apollon, que tu Savois le nombre des grains de fable, tu t'étois bien fait valoir fur ce que tu voyois de Delphes cette Tortue que Créfus faifoit cuire en Lydie dans, le même moment.. Voilà de belles connoiffances pour en être fi fier. Qand on te vient confulter Sur le fuccès qu'aura la Guerre de Créfus & de Cyrus, tu demeures court. Car fi tu lis dans Pavenir ce qui en arrivera, pourquoi te fers-tu de façons de parler qu'on ne peut entendre? Ne fais-tu point qu'on ne les entendra pas ? Si tu le fais, tu te plais donc à te jouer de nous; fi tur ne le fais point apprens de nous qu'il faut parler plus clairement, & qu'on ne t'entend point. Fe te dirai même que fi tu as voulu te fervir d'équivoques, le mot Grec par lequel tu exprimes que Créfus renverfera un grand Empire, n'eft pas bien. choifi, & qu'il ne peut fignifier que la victoire de Gréfus fur Cyrus. S'il faut neceffairement que les

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chofes arrivent pourquoi nous amufer avec tes ambiguitez? Que fais-tu à Delphes, malheureux, occupé, comme tu es, à nous chanter des Pro-~ phéties inutiles? Pourquoi tous ces Sacrifices que nous te faifons? Quelle fureur nous poffede ?·

Mais Oenomaüs eft encore de plus mauvai fe humeur, fur cet Oracle que rendit Apollon aux Atheniens, lors que Xerxès fondit fur la Grece avec toutes les forces de l'Afie. La Pythie leur donna pour réponse, que Minerve, protectrice d'Athenes, tâchoit en vain par tou tes fortes de moiens d'appaifer la colere de Jupiter; que cependant Jupiter en faveur de fa Fille, vouloit bien fouffrir que les Atheniens se fauvaffent dans des murailles de bois, & que Salamine verroit la perte de beaucoup d'Enfans chers à leurs Meres, foit quand Cerès fe roit difperfée, foit quand elle feroit ramaffée.

Sur cela Oenomaus perd entierement le refpect pour le Dieu de Delphes. Ce combat du Pere de la Fille, dit-il, fied bien à des Dieux, il est beau qu'il y ait dans le Ciel des inclinations? &des interêts fi contraires. Jupiter eft couroucé, contre Athenes, il a fait venir contre elle toutes: les forces de l'Afie; mais s'il n'a pas pû la ruiner autrement, s'il n'avoit plus de foudres, s'il a été réduit à emprunter des forces étrangeres, comment a-t-il eu le pouvoir de faire venir contre cette Ville toutes les forces de l'Afie? Après cela cependant il permet qu'on fe fauve dans des murailles: de bois; fur qui donc tombera fa colere? Sur des pierres? Beau Devin, tu ne fais point à qui seront ces Enfans dont Salamine verra la perte, s'ils feront Grecs ou Perfes; il faut bien qu'ils foient de l'une ou de l'autre Armée, mais ne fais

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