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<< suit-il? Ne faut-il pas reconnaître qu'il y a donc au-des<< sus de nos esprits une certaine unité originale, souve<< raine, éternelle, parfaite, qui est la règle essentielle du << beau, que vous cherchez dans la pratique de votre art? » « C'est, dit le père André, le raisonnement de saint Augustin, dans son livre De la véritable religion. D'où il a conclu, dans un autre ouvrage, ce grand principe, qui n'est pas moins évident, savoir: que c'est l'unité qui constitue, pour ainsi dire, la forme et l'essence du beau en tout genre de beauté. Omnis porro pulchritudinis forma unitas est (1). »

<< Comment donc, conclut le père André, s'est-il trouvé des esprits assez bizarres ou assez stupides, pour philosopher contre un jugement naturel si conforme à la raison? Comment s'en trouve-t-il encore quelquefois dans certaines compagnies, qui voudraient faire dépendre l'idée du beau de l'éducation, du préjugé, du caprice et de l'imagination des hommes? Allons à la source de l'erreur.

« C'est qu'en effet il y a une troisième espèce de beau, qu'on peut appeler arbitraire ou artificiel, comme il vous plaira... un beau de système et de manière dans la pratique des arts, un beau de mode ou de coutume dans les parures, etc., et de là ils ont conclu sans façon, que tout beau est donc arbitraire (2). »

Le père André conclut, comme M. de Maistre, que dans la doctrine du beau, tout se décide par l'autorité, et c'est un grand bien, et qu'avant tout, dans la recherche du beau, il faut éviter le défaut et l'excès (3). Est modus in rebus.

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CHAPITRE VI

PHILOSOPHES ET SOPHISTES

1. Aristote. II. Ignorance profonde de Bacon. — III. Chez lui, l'erreur est systématique. IV. Dangers des doctrines de Bacon. V. Distance qu'il y a entre les vrais philosophes et Bacon. — VI. Esprit faux de Bacon. - VII. Un mot de Sénèque. — VIII. Orgueil insensé de Bacon. — IX. Il est l'apôtre du matérialisme. X. Son école ramène les hommes au paganisme. — XI. Origine de la réputation de Bacon. - XII. Sa philosophie est une aberration continue. - XIII. Locke et ses doctrines. - XIV. Puissance désastreuse des principes de Locke. — XV. J. J. Rousseau et ses erreurs. – XVI. Son Émile et ses autres ouvrages.

I

Je ne crois pas qu'il existe ni chez les anciens, ni chez les modernes, aucun ouvrage de philosophie rationnelle qui suppose une force de tête égale à celle qu'Aristote a déployée dans ses écrits sur la métaphysique, et nommément dans ses Analytiques. Ils ne peuvent manquer de donner une supériorité décidée à tout jeune homme qui les aura compris et médités. Le style, toujours au niveau des pensées, est étonnant dans la plus étonnante des langues (1). Mais qu'il est difficile

(1) Averroes appelle Aristote le comble de la perfection hu

maine.

de comprendre Aristote, et dans quel état ses ouvrages nous sont parvenus! Oubliés longtemps, enfouis ensuite et en partie consumés dans la terre, retrouvés, corrigés, interpolés, etc. (1); pouvons-nous en lire un chapitre avec la certitude de lire Aristote pur? On le reconnaît cependant à sa gravité, à ses idées condensées, à ses formes rationnelles, étrangères aux sens et à l'imagination, à cette parcimonie de paroles qui craint toujours d'embarrasser la pensée, et qui sait allier à la clarté un laconisme surprenant. Dans ses beaux moments et lorsqu'il est certainement lui-même, son style semble celui de la pure intelligence. Il est le désespoir des penseurs et des écrivains de son ordre (2).

II

Bacon était étranger à toutes les sciences naturelles. Des lectures superficielles ou même la simple conversation portant à l'oreille de Bacon quelques-uns de ces mots techniques qui appartiennent à chaque science, et qui se répètent assez souvent lorsqu'ils se rattachent aux principes, Bacon les recevait dans sa mémoire ; bientôt son imagination active et confiante leur donnait un sens, et son orgueil ne lui permettait pas seulement de douter qu'il fût dans l'erreur; de manière que, lorsque l'occasion s'en présentait, il ne manquait pas d'employer le mot dans le sens qu'il s'était fait à lui-même, comme

(1) Strabon, lib. XIII, édit. de Paris, 1620, p. 609. — Plutarque, In Sylla, chap. LIII de la trad., V. Beattie. On Truth, part. III,ch.u, in-8. p. 396.

(2) Examen de la philosophie de Bacon, t. I, p. 52 et 53.

cet enfant qui demandait si une SOUPAPE n'était pas un archevique (1).

III

Très-peu de gens comprennent ce philosophe, parce que, d'après un préjugé enraciné, on s'obstine à lui supposer des connaissances qu'il n'avait pas; dès qu'on l'a bien compris, on voit qu'il ne savait rien. Mais ce n'est pas assez il est encore essentiel de remarquer que Bacon ne se trompe point comme les autres hommes ; chez lui l'erreur n'est jamais ni faiblesse, ni malheur, ni hasard; elle est systématique et naturelle, organisée in succum et sanguinem. Il n'en a pas une qui n'ait sa racine dans un principe faux, antérieurement fixé, et pour ainsi dire, inné dans son esprit (2).

IV

Non-seulement Bacon n'a pas avancé la science, mais si, malheureusement il était lu, compris et suivi, il l'aurait tuée ou retardée sans bornes. Quelle manie de vouloir que l'homme commence ses études par les causes et les essences avant d'examiner les opérations et les effets, qui seuls ont été mis à sa portée (3)!

Dire ce que Bacon aurait dû dire est une excellente manière de le traduire (4).

V

Bacon ne se trompe point comme les grands hommes:

(1) Examen de la philosophie de Bacon, t, I. p. 203 et 205.

(2) Ibid., t. I, p. 207 et 208.

(3) Ibid., p. 210.

(4) Ibid., p. 215, note 1.

ceux-ci se trompent, parce que l'esprit humain est borné et ne peut tout voir; parce qu'ils sont distraits, ou prévenus, ou passionnés ; parce qu'ils se trouvent conduits par les circonstances à parler de choses qu'ils n'ont pu approfondir; parce qu'ils sont hommes enfin. Tout en reconnaissant le tribut qu'ils ont payé à l'humanité, on sent que l'erreur leur est étrangère et qu'elle ne peut être chez eux que partielle et accidentelle. Souvent même ils ont l'art, je dis mal, l'art n'est pas fait pour eux, ils n'en ont pas besoin, ils ont le bonheur de se faire admirer jusque dans celles de leurs idées qu'on se croit obligé de rejeter. J'avoue que je ne me permettrais point de tourner en ridicule une pensée de Descartes ou de Malebranche.

Tous ces grands hommes ont d'ailleurs une simplicité qui intéresse, jamais ils ne disent: Vous allez voir; jamais surtout ils n'emploient de grands mots; ils savent enseigner l'homme sans l'insulter, et le rendre savant sans lui dire qu'il est ignorant : il est donc bien juste qu'on les environne de la bienveillance qu'ils méritent. Bacon, qui est leur opposé en tout, inspire aussi un sentiment tout opposé; son immense incapacité contraste de la manière la plus choquante avec le mépris outrageant qu'il montre et qu'il étale même pour tout ce qui l'a précédé. On pardonne à celui qui chasse l'erreur un peu brusquement, s'il sait au moins lui substituer la vérité; mais si c'est pour enchérir encore, il devient réellement insupportable (1).

Il n'y a peut-être rien de plus intéressant que d'en

(1) Examen de la philosophie de Bacon., t. I, p. 163 à 165.

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