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livre sur le Cosmétique, énumère vingt-cinq sortes de pommades et d'essences.

L'Estoile parle de religieuses qui, en 1593, se promènent dans les rues de Paris fardées, masquées et poudrées.

<< Ma tante l'abbesse de Maubuisson, écrit la Palatine, seconde femme du frère de Louis XIV, m'a raconté que la reine Marie de Médicis avait auprès d'elle un homme que l'on appelait le raccommodeur du visage de la reine.»

Vous savez les plaintes du bonhomme Gorgibus dans les Précieuses ridicules, comme il reproche à Cathos et Madelon d'avoir usé à «< se graisser le museau » le lard d'une douzaine de cochons pour le moins, et ne voit plus dans sa maison que «blancs d'œufs, lait virginal et mille autres brimborions inconnus. >>

Mme Cornuel interpellait ainsi une jeune dame : « Quel joli masque vous avez là, ma mignonne, on voit votre visage à travers. >>

Le rouge, confesse Mme de Sévigné, peut être regardé comme la loi et les prophètes; c'est tout le christianisme. >>

« Les femmes de ce pays (Versailles), dit la Bruyère, précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu'elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu'elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles.... Si les femmes étaient telles naturellement qu'elles le deviennent par leurs artifices, c'est-à-dire qu'elles perdissent tout à coup la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage aussi allumé et aussi plombé qu'elles se le rendent par le rouge et les

peintures dont elles se fardent, elles seraient inconsolables.... Si c'est aux hommes qu'elles désirent de plaire, j'ai recueilli les voix, et je leur prononce de la part des hommes, ou de la plus grande partie, que le bleu et le rouge les rendent affreuses et dégoûtantes, que le rouge seul les vieillit et les déguise.... >>

Je citerai encore ce quatrain du xviie siècle :

Au dedans ce n'est que malice,

Et ce n'est que fard au dehors.
Otez-leur le fard et le vice,

Vous leur ôtez l'âme et le corps.

La mode du rouge en vint à tel point qu'on mit du rouge aux princesses mortes pour leur conserver un fantôme de vie pendant qu'on les exposait. Cet usage n'a pas entièrement disparu : en Allemagne, en Suissé, on peint très souvent le visage des morts pour les exposer; et j'ai vu, dans une salle annexe de la principale église de Lucerne, un jeune homme ainsi fardé qui semblait dormir; il avait aussi, à chaque doigt de la main, des petites sonnettes qui auraient donné l'alarme s'il eût fait un mouvement.

Le rouge, le blanc, l'art de s'émailler, de se procurer un teint de lis et de roses, ont continué de faire leur chemin dans le monde, en dépit des sarcasmes et des imprécations des gens dont c'est le métier d'invectiver ou de se moquer, mais qui ne savent guère cé que c'est que la beauté. Les femmes le savent, elles, et elles la créent, cette beauté, et les hommes les approuvent, puisqu'ils les aiment ainsi. Là comme ailleurs, c'est, bien entendu, une question de mesure, de tact, de juste milieu, et le mieux est l'ennemi du bien. Se peindre, ce n'est donc point se salir avec art, c'est ajouter de la

beauté à la beauté, et réparer les défaillances de la beauté naturelle. Aussi j'imagine que nos mondaines souriront avec dédain en apprenant ce trait de Philippe de Macédoine qui, au dire de Suidas, destitua de ses fonctions Antipater parce qu'il avait changé la nuance de ses cheveux; cette réponse de l'empereur Adrien à un solliciteur qui, repoussé une première fois, revenait le trouver avec des cheveux teints : « J'ai déjà éconduit votre père. » Il y a tant de questions qui se résolvent par un sourire! Au contraire, le librettiste Saint-Georges s'excusa fort joliment d'avoir fait repasser ses cheveux du blanc au noir : « Je n'étais pas digne des autres. » Les beaux esprits se rencontrent! Longtemps auparavant, le poète persan Visaï avait invoqué une excuse du même genre : « Cela te fâche que je me farde et que je me teigne les cheveux ? Je ne cherche point à me rajeunir j'ai peur seulement qu'on ne cherche en moi la sagesse, et qu'on ne la trouve pas. »

Et pourquoi le rouge, le blanc, la poudre de riz 1, les mouches, seraient-ils à l'index, lorsque l'on accepte sans mot dire tant d'autres ornements de la toilette? Qui, mieux qu'une femme intelligente, saura comprendre les harmonies nécessaires entre le costume et le visage? Tel auxiliaire de la beauté, qu'une jeune fille, une jeune femme doivent éviter soigneusement, convient à mer

1. « Maman, disait ingénument un enfant à sa mère, tu as oublié ta poudre de rides. » — Cette mode de se poudrer la tête avec de l'amidon ne domine tout à fait que vers la fin du règne de Louis XIV. On cite quelques princes qui saupoudrèrent leurs cheveux et leur barbe de limaille d'or. Des économistes prétendirent que, sous Louis XVI, vingt millions de francs en farine étaient ainsi gaspillés à poudrer leurs perruques ; aujourd'hui les gens du bel air ne se poudrent plus, mais ils font poudrer leurs cochers.

veille lorsqu'au printemps de la vie ont succédé l'été, l'automne peut-être.

Et nous allons retrouver ici encore le charmant théoricien de la beauté, Théophile Gautier.

<< De même que les peintres habiles établissent l'accord des chairs et des draperies par des glacis légers, les femmes blanchissent leur peau, qui paraîtrait bise à côté des moires, des dentelles, des satins, et lui donnent une unité de ton préférable à ces martelages de blanc, de jaune et de rose qu'offrent les teints les plus purs. Au moyen de la poudre de riz, elles font prendre à leur épiderme un mica de marbre, et ôtent à leur teint cette santé rougeaude qui est une grossièreté dans notre civilisation, car elle suppose la prédominance des appétits physiques sur les instincts intellectuels.... Peut-être même un vague frisson de pudeur engage-t-il les femmes à poser sur leur col, leurs épaules, leurs seins et leurs bras, ce léger voile de poussière blanche qui atténue la nudité, en lui retirant les chaudes et provocantes couleurs de la vie. La forme se rapproche ainsi de la statuaire, elle se spiritualise et se purifie. Parlerons-nous du noir des yeux, tant blâmé aussi? Ces traits marqués allongent les paupières, dessinent l'arc des sourcils, augmentent l'éclat des yeux, et sont comme les coups de force que les maîtres donnent aux chefsd'œuvre qu'ils finissent.... >>

Parmi les partisans du fard, je nommerai un personnage qu'on ne s'attendait pas sans doute à rencontrer en cette affaire : Napoléon Ier. Joséphine, qui se fardait énormément, et dépensait plus de trois mille francs de rouge par an, l'avait habitué à cette mode, et il lui arriva plus d'une fois de rudoyer des dames de la cour,

parce qu'elles ne s'arrangeaient pas assez le visage : <<< Allez vous mettre du rouge, grondait-il, vous avez l'air d'une morte! » Ou bien encore : « Qu'est-ce que vous avez à être si pâle? Relevez-vous de couches? >>

Un dernier argument. Les gens de théâtre ne peuvent se passer de fards, et la vie mondaine n'est-elle pas, sous certains rapports, une comédie? Ce n'est pas toujours sur les planches qu'on trouve les meilleures actrices.

VII.

En résumé, point de victoire, d'événement politique, littéraire, artistique qui, depuis deux siècles surtout, n'ait suggéré quelque singularité somptuaire. La plupart de nos vrais ou faux grands hommes ont été consacrés par une mode nouvelle, vêtement, bibelot, mets, phrase proverbiale. N'a-t-on pas vu sous Louis XVI les modes à l'insurgente, à la Boston, au glorieux d'Estaing, à la Belle-Poule (la frégate de ce nom, célèbre par le combat naval de 1778, parut sur la tête des dames avec ses mâts et ses batteries), bonnets à l'électricité, chemises à la Mesmer, perruques à la Sartine, coiffures au compte rendu, à l'Iphigénie en Tauride (hommage rendu au musicien Glück), bonnets à la Voltaire, modes à la Jeannot, à la Montgolfier, couleurs feu et fumée d'Opéra, bonnets au parc anglais (les cheveux formaient des collines où l'on voyait des moulins à vent tourner, des chasseurs battre la forêt, des plaines avec des moutons et des bergères)? En 1784, la harpie éclipse les autres modes; on parlait d'un monstre trouvé au Chili, ayant deux cornes, des ailes de chauve-souris, des che

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