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France, qui n'était encore immortel que par ses livres, crut faire plaisir en proposant de signer à son tour. Quel ne fut pas son étonnement lorsqu'on lui répondit : « Oh! non, monsieur France, je préfère attendre que vous soyez de l'Académie française, ce qui, d'ailleurs, ne saurait tarder. » On glosa sur le refus dans les salons littéraires; on en reparla lorsque, après l'élection de l'auteur du Crime de Sylvestre Bonnard, Mme Beulé le sollicita vainement d'inscrire une pensée sur le précieux éventail. Mais celui-ci est très riche d'idées, de noms célèbres, et j'ai pris plaisir à les noter. A vrai dire, les auteurs qu'on met ainsi à contribution, font plus souvent appel à leur mémoire qu'à leur imagination; d'aucuns même ont, une fois pour toutes, choisi une maxime, bonne ou mauvaise, au moyen de laquelle ils s'acquittent de la corvée de l'éventail; tel Renan, qui faisait de grandes révérences aux belles indiscrètes, avait l'air de réfléchir un instant, et écrivait invariablement ces mots : « L'amour est un ruisseau qui reflète le ciel. >>

Voici quelques pensées et vers tirés de l'éventail de Mme Beulé :

« L'homme vit par l'esprit, les femmes par le cœur. » (Édouard Hervé.)

<< Sans la femme, il n'y aurait pas d'art. »

(Ernest Hébert.)

«Tout se commence en vers, et tout s'achève en prose. »

Camille Doucet.

« L'homme n'est ni aussi bon qu'il le dit, ni aussi méchant qu'on le croit. » (Alexandre Dumas.)

<< Dumas a raison de dire que l'homme n'est pas aussi

méchant qu'on le croit, mais il a tort de ne pas ajouter qu'il est cent fois plus bête. » (Victorien Sardou.)

Veux-tu savoir vieillir? Compte dans ta vieillesse,
Non ce qu'elle te prend, mais ce qu'elle te laisse

E. LEGOUVÉ.

Le poète aimera toujours ton charme frêle,
Eventail, car son sort ressemble tant au tien !
Une femme te prend : elle est jeune, elle est belle,
Et sa main fait de toi cet être aérien,

Vivant, et qui frémit avec des frissons d'aile.
Cette main te referme et te pare, et loin d'elle,
O fragile éventail, quitté, tu n'es plus rien.
Paul BOURGET.

Les dames qui réclament des autographes, des vers, savent-elles qu'elles marchent sur les traces des Chinois, que les albums-éventails de ceux-ci se conservent précieusement dans les familles? En 1868, un diplomate chinois offrit au négociateur français ses poésies autographes sur des éventails. Un éventail chinois, célèbre par sa beauté et son caractère historique, fut donné en 1804, lors du couronnement de Napoléon, à la comtesse de Clauzel, passa dans la collection de sa petite-fille, Mme Ville de Sardelys.

Mile Marie Abbatucci possède deux précieux éventails couverts de pensées, de strophes musicales, de dessins et figures, par les lettrés et artistes qui fréquentaient le salon de la princesse Mathilde, auprès de laquelle cette femme de cœur et d'esprit a passé dix-neuf ans. Un journaliste, après les avoir examinés, s'avisa de raconter que l'un d'eux valait au moins vingt-cinq mille francs. Et aussitôt la tourbe des faux pauvres de s'abattre sur Mile Abbatucci, et les lettres de pleuvoir. Un solliciteur qui demandait une aumône ou un prêt de deux mille francs, poussa le cynisme jusqu'à ajouter ce

post-scriptum : « Comme je n'aime pas monter les escaliers, je vous prie de déposer ces deux mille francs, sous enveloppe cachetée, chez votre concierge : je viendrai les chercher demain. »

C'est aussi pour un éventail que M. Jules Lemaître a composé ces vers si gracieux :

DIALOGUE GALANT

L'ÉVENTAIL

Ainsi qu'une mouette, à l'heure
Où le ciel empourpre la mer,
D'un vol silencieux effleure
La surface du flot amer,

Captif aux blanches mains de celle
Dont tu maudis les chers yeux bleus,
Je frôlerai du bout de l'aile

Son sein charmant, parfois houleux.

L'AMOUREUX

Plus heureux que moi, frôle, frôle
Son beau corsage, et frôle aussi
Ses frisons d'or et son épaule....
Mais au moins promets-moi ceci :
S'il faut qu'enfin je m'enhardisse

A dire plus que je ne dois,

Ne me donne, éventail propice,

Que des coups légers sur les doigts.

Et si quelque méchante envie

Lui vient alors de me railler,

Dérobe-moi son ironie

Derrière ton aile en papier!

L'éventail reste éternel, comme la beauté, comme la grâce, comme la coquetterie, comme l'amour : utile, nécessaire, agréable, il est un instrument de conquête, et, comme on sait, la dictature de l'éventail se montre parfois aussi absolue que les autres tyrannies.

VI.

Quant aux fards, cosmétiques et teintures, leur origine se perd dans la nuit des temps. L'homme est un animal qui se bat et se querelle, a écrit un disciple de Hobbes; il est aussi un animal qui se peint tout d'abord il devine qu'il y a dans la couleur un principe de beauté, de force, d'attirance et de gaieté. Peaux-Rouges, Éthiopiens, Australiens, Bretons, Pictes, se teignent le corps. Récemment encore, les Japonais de la basse classe se couvraient d'un tatouage ornemental et pittoresque appelé : chemise de chair. L'homme le plus brut sait que l'ornement trace une ligne de démarcation infranchissable entre lui et la bête; et quand il ne peut broder ses vêtements, il brode sa peau, tantôt au moyen de stigmates coloriés (le tatouage), tantôt avec des enluminures plus ou moins habiles.

D'après l'étude de M. Louis Bourdeau, la mode des fards est aussi ancienne que le désir des femmes de paraître belles. L'auteur du livre d'Enoch assure que, même avant le déluge, l'ange Azaël avait enseigné l'art de se farder aux filles des hommes. Dans des tombes chaldéennes on a trouvé des pains de couleur noire qui servaient à peindre les sourcils. Job donne à une de ses filles le surnom de « Vase d'antimoine » ou de « Pot à mettre les fleurs. » Isaïe, énumérant les artifices de toilette féminine, cite les aiguilles qu'on emploie pour les sourcils. Prophètes hébreux, Pères et docteurs de l'Église prêchent contre ces diaboliques engins. - << Oignez vos yeux, s'écrie saint Cyprien, non avec ce fard du démon, mais avec le collyre du Christ! » — Et il menace

de l'enfer les femmes fardées, car Dieu ne pourra les reconnaître sous leur masque de peinture. « Puisque, fulmine Berthold, puisque les femmes veulent cacher le visage que Dieu leur a donné, le bon Dieu, lui, se souviendra qu'on a eu honte de son œuvre! » Au contraire, Mahomet ordonne le sulfure d'antimoine et le henné, sans doute parce que les médecins prônaient le premier comme préservatif contre les ophtalmies; aussi les poètes orientaux le célèbrent-ils pompeusement; il donne, disent-ils, aux femmes des yeux de gazelle. Faire de la coquetterie un exercice de dévotion, c'était se ménager de précieuses recrues.

Les satiriques latins et français font chorus avec les docteurs et moralistes.

<< Pendant que tu es chez toi, raille Martial, on frise tes cheveux chez un coiffeur de la rue Suburrane qui, chaque matin, t'apporte tes sourcils. Chaque soir, tu ôtes tes dents comme ta robe; tes attraits sont enfermés dans cent pots divers et ne dorment pas avec toi. » Le rouge, dans le principe, était réservé aux dieux, et l'art d'enluminer les saints a conservé des adeptes parmi les peuples du Midi.

« Les deux tiers de Messaline se trouvent enfermés dans des boîtes. Sa table de toilette est composée d'une centaine de mensonges, et lorsqu'elle vit à Rome, ses cheveux rougissent sur les bords du Rhin. Un homme n'est pas en état de lui dire qu'il l'aime, car ce qu'il aime en elle, ce n'est pas elle, et, ce qu'elle est, on ne peut l'aimer. » Les apprêts d'une toilette, remarque Ovide, renferment plus de mystères que les cérémonies de la bonne déesse.

Criton, médecin de l'impératrice Plotine, dans son

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