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Les danseurs de l'Opéra perpétuent jusqu'en 1773 l'usage du masque; aux partisans de la réforme, certains dilettanti objectaient que le masque dérobe à la vue la laideur de l'artiste, ou ses tics nerveux. Au contraire, les femmes, qui comprennent mieux les intérêts de leur beauté, dansaient à visage découvert, avec les hommes masqués, ce qui était une autre absurdité. Noverre fit la guerre à cette coutume, et finit par triompher.

Les mouches en taffetas noir sont en vogue depuis la Fronde pour rien au monde une femme de qualité ne serait sortie sans ses mouches et sans son rouge; elle a sa boîte à mouches dont le couvercle à l'intérieur est garni d'un miroir.

La Fontaine nous explique le pourquoi de cette mode, le secret de sa durée :

Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle,

Et la dernière main que met à sa beauté

Une femme allant en conquête,

C'est un ajustement des mouches emprunté.

On comptait sept principales espèces de mouches : Au coin de l'œil, la passionnée;

Au milieu de la joue, la galante;

Au coin de la bouche, la baiseuse;
Sur un bouton, la recéleuse;

Sur le nez, l'effrontée;

Sur les lèvres, la coquette;

Une mouche ronde, l'assassine;

Viennent ensuite : la sympathique, l'amoureuse, l'enchanteresse, la majestueuse, etc.

Massillon, parlant contre les mouches, s'avise de demander ironiquement pourquoi les dames ne s'en mettent point sur les épaules. Ce fut un trait de lumière,

et aussitôt les dames d'obéir à ce conseil à rebours, et de les appeler : les mouches à la Massillon.

Le maréchal de Tessé décrit, dans une de ses lettres, les mouches qui constellent le visage de la marquise Zenobio. «< Elle avait autant de mouches qu'elle avait d'enlevures (petites ampoules sur la peau), et, comme le matin il s'en était trouvé seize sur son grand et long visage, son long et grand visage était porteur de seize mouches, dont celles de dessus le front représentaient des croissants; celles des environs des yeux, des cœurs; - celles du menton et des environs de la bouche, des fleurs; et, entre l'oreille gauche et la tempe, se trouvait une grande mouche, sans comparaison plus grande que les autres, qui représentait un arbre sur lequel je remarquai deux petits oiseaux qui se becquetaient.... >>

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Pendant la campagne de 1757, la marquise de Pompadour envoie au maréchal d'Estrées des plans stratégiques où sont marqués avec des mouches les endroits qu'elle conseille d'attaquer ou de défendre.

Au xvIe siècle, les mouches reçoivent le surnom d'amorces de l'amour; elles ont la réputation de rajeunir et d'attirer les admirateurs.

Tel galant qui vous fait la nique,

S'il n'est pris aujourd'hui, s'y trouve pris demain;
Qu'il soit indifférent ou qu'il fasse le vain,

A la fin la mouche le pique.

V.

L'éventail remonte à la plus haute antiquité. Il arrive d'Orient, nous le trouvons dans l'Inde, la Chine, le Ja

pon, l'Égypte, la Grèce, à Rome, au Mexique; il a ses poètes, ses historiens, ses collectionneurs comme Mme Duruy, la duchesse de Mouchy, la comtesse de Granville, la comtesse d'Armaillé, la vicomtesse Aguado, Mme Riant, la baronne Alphonse de Rothschild, Mmes Heine, Cazalis, G. Fouquier, M. Lucien Doucet, la comtesse de Chambrun, etc. Il sert à tout, à punir, à rêver, à faire l'aumône, à correspondre, à saluer, à prendre des notes, pénètre toutes les classes de la société; les soldats chinois le maniaient sous le feu de l'ennemi, et, dans l'Inde, le chasse-mouche est, avec le parasol, un des attributs du commandement; dans la cosmogonie égyptienne, il devient l'emblème du bonheur et du repos célestes. Les païens emploient l'éventail pour activer le feu des sacrifices; l'Église chrétienne des premiers siècles l'adopte dans sa liturgie. Pendant la célébration des saints mystères, deux diacres placés aux deux extrémités de l'autel agitent des éventails en plumes de paon, soit pour tempérer la chaleur, soit pour chasser les mouches et autres insectes qui pourraient se poser sur les pains, ou tomber dans le calice. D'après l'ouvrage de Duranti, saint Hildebert envoie un flabellum ou éventail en présent à un de ses amis. Le flabellum figure au nombre des objets précieux qu'on exposait aux jours de fête dans les églises. On l'emploie encore chez les Grecs et les Arméniens, mais il a presque disparu de l'Église romaine dès le xive siècle : il ne se porte plus qu'à Rome, dans les cérémonies papales.

Ce papillon de la femme est par excellence une arme de coquetterie, le sceptre et le bouclier de la beauté, le confident de toutes les pudeurs et de toutes les malices féminines.

Amadis Jamyn, poète du xvie siècle, improvise ce qua train pour une des filles d'honneur de la reine, Mile de Fontaine, qui agitait nonchalamment son éventail.

Est-ce pour rafraîchir les charbons de mon âme,
Que, de votre éventail, vous faites un doux vent?
Ou, pour croistre mon feu, allez-vous l'émouvant,
Afin que je devienne un grand tison de flamme?

Et l'on sait la réponse peu courtoise de la reine Christine de Suède à des dames françaises, qui lui demandent si elles doivent porter l'éventail hiver comme été : « Je ne crois pas, vous êtes assez éventées comme cela. » Dans la comédie de Favart, Ninette à la cour, Fabrice, qui joue le rôle de l'ami du prince, présente à l'ingénue un éventail. « A quoi cela sert-il? » demande Ninette, qui accompagne le couplet de minauderies charmantes.

Je vais vous en instruire

Pour la décence et pour la volupté,
C'est le meuble le plus utile!
Sur les yeux ce rempart fragile,
A la pudeur semble ouvrir un asile,
Et sert la curiosité.

En glissant un regard entre ses intervalles,
D'un coup d'œil juste, on peut, en sûreté,
Observer un amant, critiquer des rivales;
On peut par son secours, en jouant la pudeur,
Tout examiner, tout entendre,

Rire de tout sans alarmer l'honneur:

Son bruit sait exprimer le dépit, la fureur;
Son mouvement léger, un sentiment plus tendre.
L'éventail sert souvent de signal à l'amour,

Met un beau bras dans tout son jour,
Donne au maintien que l'on sait prendre
Des airs aisés et naturels....

Enfin entre les mains d'une femme jolie,
C'est le sceptre de la folie

Qui commande à tous les mortels.

L'éventail moderne, est-il besoin de le dire, réalise la

dernière expression du goût, et les artistes célèbres qui lui apportent le concours de leur talent, en ont fait un bijou du plus grand prix. Rappelons quelques-uns des sujets qu'ils ont traités : Une danse arabe, par Horace Vernet; Diane et Endymion, par Ingres; les Arts, par Robert Fleury; Un repas de chasse, par Faustin Besson; Un repas à la campagne, par Diaz; Arlequin et Pierrot, par Gavarni; Une scène vénitienne, par Eugène Lami. Voici un éventail que Marie-Antoinette donna, le 6 octobre 1789, à Mme du Cray, conservatrice des dentelles et guipures de Sa Majesté : il est en ivoire de Ceylan, les brins, au nombre de vingt, séparés, roulant les uns sur les autres au moyen d'un petit ruban bleu qui les traverse par le haut, au milieu de filigranes dorés et incrustés sur le brin lui-même; sur chacun de ces brins on remarque un objet sculpté, fouillé avec un soin infini par Le Flamand, artiste ivoirier; l'ensemble de ces sculptures, dont Vien, premier peintre de Louis XVI, a fourni le dessin, représente l'entrevue d'Alexandre et de Porus. Cet éventail avait été offert à la reine par la ville de Dieppe, en l'honneur de la naissance du Dauphin. « C'est une merveille de délicatesse et de goût, et l'on peut dire, en le voyant, ce que dit Canova en présence du beau crucifix d'ivoire qui est dans la chapelle de la Miséricorde, à Avignon, sculpté par Guilhermin : << Examinez-le avec soin, on ne vous en ferait jamais un pareil. » (Note de M. de Thiac.) Balzac affirme que l'éventail de Marie-Antoinette est le plus beau de tous les éventails connus.

Comme tant d'autres ornements de toilette, l'éventail se fait Protée, se transforme selon les engouements, les passions de l'époque.

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