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Si l'éloquence de la chaire 1, inconnue aux religions païennes, semble plus facile à atteindre que l'éloquence de la tribune ou celle du barreau, puisqu'elle a pour complices, en quelque sorte pour collaborateurs, Dieu, la foi, le respect, le silence de l'auditoire, elle est cependant celle qui produit les effets les plus extraordi

1. Antony Méray : La vie au temps des libres prêcheurs, ou les devanciers de Luther et de Rabelais, 2 vol., Claudin, 1878. — Predicatoriana, 1 vol., 1841. Abbé Samouillan: La chaire et la société française au XVe siècle, Olivier Maillard. Thorin, éditeur. Paul Thureau-Dangin: Saint Bernardin de Sienne; un prédicateur célèbre dans l'Italie de la Renaissance, 1 vol., Plon. Abbé Boursin :

naires, des résultats qui tiennent du miracle. Ne se taille-t-elle pas des royaumes dans l'univers des âmes qu'elle conquiert, tantôt à la façon d'une armée triomphante qui prend les provinces au pas de course, tantôt par des moyens lents, insinuants, et comme par une alluvion insensible? N'a-t-elle pas été le grand instrument du christianisme à ses débuts ? N'est-elle pas devenue l'instrument des Croisades, de la Réforme, de la lutte contre le scepticisme et l'hérésie ? Ne restet-elle pas le levier par excellence des révolutions religieuses?

Pour citer quelques exemples entre mille, de ces exemples particuliers qui, à force de se répéter, revê

La prédication en France au XIIIe siècle et saint Thomas d'Aquin, 1882. Boucher Histoire littéraire de la prédication. - P. Bernard Gaudeau Les prêcheurs burlesques en Espagne au XVIIIe siècle, étude sur le Père Isla. Abbé Bourgain: La chaire française au XIIe siècle, d'après les manuscrits. A. Vinet Histoire de la prédication parmi les réformés de France au XVIIe siècle. G. Renoux Les prédicateurs célèbres de l'Allemagne, 1 vol., Bray et Retaux. F. T. Perrens: Les libertins en France au XVIIe siècle. Albert Cahen: La prédication juive en France. Aubry-Vitet: Les sermonnaires au moyen âge, dans Revue des Deux Mondes du 15 août 1869. Chérot La société au commencement du XVIe siècle d'après les homélies de Josse Clichtoue, dans Revue des questions historiques, avril 1895. Brantôme, t. VII. — Charles Labitte: Études littéraires ; Les prédicateurs de la Ligue. -Vicomte de Gastines: Les prédicateurs orléanais au XIII° siècle. Lecoy de la Marche: La chaire française au moyen âge, spécialement au XIIIe siècle; Anecdotes historiques, légendes et apologues, tirés du recueil inédit d'Étienne de Bourbon, dominicain du XIII° siècle, publiés par la Société de l'histoire de France. Lenient La satire au moyen age. -- Floquet: Histoire du parlement de Normandie. Euvres de saint François de Sales, 3 vol., Lecoffre. Montalembert: Les moines d'Occident.

- Villemain : Tableau de l'éloquence chrétienne au IVe siècle. — Historiettes de Tallemant des Réaux. Petit de Julleville: Histoire de la langue et de la littérature françaises, t. II, III, V: Articles de

tent le caractère et s'élèvent à la dignité de lois d'ordre général, comment oublier ces sermons foudroyants au sortir desquels, des centaines de fidèles, illuminés d'un rayon divin, arrachés au péché, transfigurés par la parole, brûlent ce qu'ils ont adoré? cette prédication du Frère Richard, de saint Jean de Capistran, en 1429, en 1456, après lesquelles les hommes dans les rues allument cent feux qui consument tables, dés, billards, cartes, où les femmes jettent leurs parures les plus riches? ces sermons de Bernardino Orchino où ceux qui n'avaient pu trouver place à l'intérieur de l'église crevaient le toit pour entendre ?

L'éloquence de la chaire a son histoire, son premier âge d'or avec les Pères grecs et latins, sa période de décadence à partir du viie siècle, sa renaissance* fran

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MM. Arthur Piaget, Alfred Rébelliau, Charles Dejob. - Gérusez : Histoire de l'éloquence politique et religieuse, et Essai sur l'éloquence et la philosophie de saint Bernard en France aux XIV, XVo, XVI° siècles. Histoire littéraire de la France, t. XXI, XXIV, XXV et XXVI, articles de Victor Le Clerc, M. B. Hauréau et Paulin Paris. Sermons de saint Bernard, publiés par Le Roux de Lincy, à la suite des Quatre livres des Rois, 1841. - A. Boucherie : Le dialecte poitevin au XIII siècle, 1873. Toulmin Smith et Paul Meyer : Les contes moralisés de Nicole Bozon. The exempla, or illustrative stories from the sermones vulgares of Jacques de Vitry, edited by Thomas Fred. Crave. London, 1890. Abbé Bourret: Essai historique et critique sur les sermons français de Gerson. Paris, 1858. J. P. Camus, évêque de Belley: L'esprit du bienheureux François de Sales, 3 vol. Autres vies du saint, par le P. Louis de la Rivière, dom Jean Goulu, H. de Maupas, J. P. Gaberel, J. Perennès, l'abbé Hamon. Sainte-Beuve : Port-Royal et Causeries du lundi, t. VII. A. Sayous: Histoire de la littérature française à l'étranger. Abbé Lezat: La prédication sous Henri 1V, 1871. Abbé Sauvage: Saint François de Sales prédicateur. - Jules Vüy: La Philothée de saint François de Sales, Me de Charmoisy. Euvres de Mme de Chantal, etc.

çaise au xii et surtout au xe siècle. Puis, sous la tyrannie de la scolastique, voici venir le triomphe de la routine, l'introduction des manuels de sermons tout faits, machines à penser, machines à prier, machines à prêcher, le retour au mauvais goût, à l'emphase, aux formules pédantesques, aux défauts du genre familier. Enfin cette éloquence s'épanouit de nouveau, dans la deuxième partie du XVIIe siècle, avec un éclat, une force, une clarté de méthode, une décence de langage une gravité de ton et d'allure qu'on n'a jamais égalés, ni avant ni après, et qui se retrouvent dans les écrivains profanes de l'époque car l'éloquence de la chaire suit le train général de l'esprit humain, sa réforme marche à peu près du même pas que la réforme de la littérature, de la langue; et, dans les œuvres de Bourdaloue, Bossuet, Massillon, on reconnaîtrait aisément l'influence de Malherbe, Corneille, Boileau, Des. cartes, de l'Hôtel de Rambouillet, de l'Académie française aussi. Le prix d'éloquence décerné par celle-ci, fondé par Balzac, n'est-il pas un prix de sermon ou peu s'en faut, le sujet mis au concours touchant forcément la morale chrétienne ou la théologie ?

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Ainsi, défauts et qualités des prédicateurs sont presque toujours les défauts et qualités de leur temps, et ceux-là n'empêchent aucunement leur succès, peut-être même y contribuent-ils. Il nous semblerait insupportable d'entendre exposer les opérations de la grâce sous l'emblème d'un traitement médical, de subir des homélies où l'orateur tirerait ses images et métaphores du jeu, du droit civil ou commercial, de la chasse, du duel. Tout ceci ravissait les fidèles d'autrefois, plus préoc

cupés des pensées que des mots, du fond que de la forme, peu sensibles au défaut de perspective, à l'anachronisme perpétuel qui éclate dans les sermons. D'ailleurs, l'éloquence de la chaire, très théâtrale, a ses coudées franches à une époque où la religion est en vérité le tout de l'homme, pénètre toutes choses, domine, écrase, enchante les pensées, les volontés, sinon les actes, où le surnaturel est devenu le fait normal de la vie. Olivier Maillard en vient à entonner des chansons tandis qu'il prêche; contes grivois, pantomimes, fables, légendes dramatisées, remplissent les sermons d'alors. Dante blâme cet abus du genre burlesque, qui conduira tel prédicateur italien, furieux de la concurrence d'Arlequin, à brandir le crucifix en criant: Ecco il vero Pulcinella! « Pour peu qu'on ait fait rire l'auditoire, observe-t-il, le capuchon se gonfle, et l'on n'en demande pas davantage. »

Dans son Éloge de la Folie, Érasme raille avec une pénétrante ironie les prêcheurs qui prouvent la nécessité de l'abstinence par les douze signes du zodiaque, la foi par la quadrature du cercle, et la charité par les branches du Nil. C'est en vain qu'au xvie siècle, plusieurs conciles interdisent aux prêtres les plaisanteries équivoques, les récits fabuleux, les attaques véhémentes contre les puissances séculières et ecclésiastiques. Ces injonctions demeurent à l'état de lettre morte, la chaire catholique tombe de plus en plus, laissant le champ libre aux auteurs de la tragédie luthérienne qui, à quelques exceptions près, gardent le monopole de la science et du talent.

La voix timide des gens de goût se perdait dans le concert enthousiaste des foules: elles faisaient fête aux

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