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voilà encore à quoi servent les biens des crucifiés!» Et ces couvents, ces cloîtres que l'envie, la cupidité infectent, ces nonnes nobles qui traînent leurs queues à la façon des paons, ces abbés, ces duègnes qui sont à la cour, ont des équipages et chassent, tandis que leurs églises et abbayes dépérissent, que leurs moines meurent de faim. De même Pierre Rebuffe et cent autres s'élèvent contre les accapareurs qui laissent tomber les bâtiments des abbayes en ruine, diminuent les admissions dans les hospices et les maladreries : « Ils pillent et consument tous les biens des monastères.... et vont jusqu'à boucher les fenêtres des édifices et les murer, pour s'exempter d'y entretenir des vitres, ce qui a donné lieu à cette façon de dire: c'est une vitre d'abbé. » Ronsard fait chorus avec ces sévères professeurs de la science du ciel :

Et que dirait saint Paul, s'il revenait ici,

De nos jeunes prélats qui n'ont point de souci

De leur pauvre troupeau, dont ils prennent la laine
Et quelquefois le cuir; qui tous vivent sans peine,

Sans prêcher, sans prier, sans bons exemples d'eux,
Parfumés, découpés, courtisans, amoureux,

Veneurs et fauconniers, et avec la paillarde,

Perdent les biens de Dieu dont ils n'ont que la garde?

Reconnaissons-le d'ailleurs, les habitants des couvents au moyen âge sont les conservateurs des traditions écrites, des chefs-d'œuvre de la pensée; avec une patience infinie, ils recopient, ils enveloppent de miniatures exquises les textes sacrés et profanes; certains missels, des livres d'heures, qu'on voit à la Bibliothèque nationale, à Chantilly, l'antiphonaire de Saint-Dié, demeurent, dans leur genre, de véritables chefs-d'œuvre. Grands défricheurs, grands agriculteurs, architectes

originaux, créateurs d'une statuaire mystique, peintres Séraphiques des âmes, rénovateurs de l'art, ils ont aussi contribué à accroître le patrimoine moral, intellectuel et matériel de la France. Et donc on peut disputer sur le mot de Balzac : « Les moines sont dans le cloître ce que les rats sont dans l'arche; » le bien domine et paie largement la rançon du mal. Admettons avec Guy Juvénal qu'on trouvait dans les couvents le meilleur et le pire.

Maillard n'épargne point ces juges, ces procureurs qui prolongent un procès jusqu'à quatre ans pour un diner qu'on leur aura donné : « Il fut un temps où la justice se faisait avec le bâton et avec les pierres. Heureux temps que celui-là! Aujourd'hui elle se fait pour de l'argent ou des présents.... Les femmes des avocats portent des ceintures dorées fabriquées avec les fraudes de leurs maris; cette belle rose du parlement s'est changée en sang, elle est teinte du sang des pauvres qui se lamentent. » « Par ainsi, le pauvre homme, gémit Gerson, n'aura pain à manger sinon par aventure. »

Quant aux gens de guerre, ce ne sont que cruautés, débauches, pillages. Leur église, c'est la taverne; leurs livres d'heures sont les cartes et jeux de hasard, les dés leur tiennent lieu de Pater noster. « Veulent-ils donc placer le glaive sur la gorge de Jésus-Christ ? »

Écoliers, médecins, apothicaires, marchands et lombards ont aussi leur compte. Maillard n'aime pas le bal, le jeu, le spectacle; quant à Menot, il autorise le bal sous trois conditions: 1o un voile de grosse toile devant les yeux pour se préserver des regards de convoitise; 2o des gants semblables à ceux dont usent les laboureurs pour arracher les épines; 3o se plonger au

paravant dans un bain glacé et y demeurer trois heures. Plus tard saint François de Sales, dans l'Introduction à la vie dévote, permet le bal à Philothée après une heure de méditation et une bonne discipline.

Notre prédicateur n'est pas tendre pour les diffamateurs, chansonniers, sorciers, non plus pour la dévotion tout extérieure et tapageuse qui se contente d'apparences, pour les pèlerinages qui deviennent lieux de plaisirs, rendez-vous galants où l'on donne son âme au diable.

On peut, dans l'éloquence religieuse au xve siècle, distinguer quatre écoles principales : une école théologique représentée par Pierre d'Ailly, Clémangis et Gerson; une école politique représentée par les sermonnaires armagnacs et bourguignons; une école hérétique inaugurée par les premiers prédicateurs de la Réforme; une école satirique qui eut pour principaux orateurs : Barleta en Italie; Geyler en Allemagne ; Menot, Messier, Fradin, Raulin, G. Pépin en France. « Adversaire déclaré d'une réforme hérétique qu'il veut prévenir, Maillard se rallie à l'école théologique par l'orthodoxie de sa doctrine. Il appartient à l'école politique par son amour du peuple, et par l'indignation avec laquelle il dénonce l'oppression, le luxe de la cour et des grands; mais il se rattache surtout à l'école satirique par la hardiesse de ses censures et l'audace de ses invectives. >>

Un mot de Henri IV caractérise l'influence des prédicateurs de la Ligue : « Tout mon mal vient de la chaire. » Mlle de Montpensier, l'une des héroïnes de l'Union, laisse échapper cet aveu en 1587 : « J'ai fait plus par la bouche de mes prédicateurs qu'ils ne font

tous ensemble avec toutes leurs armes et armées. » Comme au temps des Armagnacs et des Bourguignons, chaque parti a ses orateurs gagés, la chaire devient la tribune de l'audace, de la calomnie, les églises se transforment en clubs; si le duc de Bourgogne a trouvé dans Jean Petit un apologiste de l'assassinat du duc d'Orléans, au XVIe siècle le curé Boucher prêchera l'homicide. Les sermonnaires de Paris sous Charles VI sont les précurseurs de ceux de la Ligue, et comme ceux-ci se montrent les précurseurs des Hébert, des Marat : même délire de langage, même cynisme, mêmes théories sanguinaires. Vraies allumettes de troubles, trompettes de sédition, responsables de tant de meurtres commis alors, plusieurs se vendent à l'étranger et s'en vantent. A l'un de ces prêcheurs, Henri III fit don de quatre cents écus « pour acheter, dit-il ironiquement, du sucre et du miel afin d'aider à passer vostre Caresme, et adoucir vos trop aspres et aigres paroles. >>

Et, sans doute, ce xvie siècle si dramatique, si fécond en caractères originaux, si porté aux superstitions de tous genres, a des mœurs brutales, des convictions absolues, intraitables; la cour elle-même étale un mélange bizarre de grossièreté et de raffinements extrêmes; et la douceur d'un Érasme, d'un Montaigne, d'un Michel de l'Hôpital, demeure incomprise ou semble pusillanimité. La plupart versent le sang d'un ennemi aussi facilement que le leur, et protestants, catholiques, seigneurs et bourgeois, hommes et femmes établissent une surenchère de férocité quand ils cherchent à satisfaire leurs passions, fournissent des arguments à cette pensée de Michelet : « Les violents ont dicté, les modérés ont écrit. >>

C'est ce qui explique, sans les justifier, ces fureurs de la chaire qui agitent toutes les âmes. Guincestre traite Henri III de vilain Hérode, d'empoisonneur, d'assassin auquel on ne doit plus l'obéissance, exige des fidèles, en leur faisant lever la main, le serment d'employer leurs derniers écus, la dernière goutte de leur sang à venger les princes lorrains, que Paris « adorait comme ses dieux tutélaires ». Et comme le premier président de Harlay se trouvait en face de lui, il lui cria à deux reprises : « Levez la main, monsieur le président, levez-la bien haut, s'il vous plaît, afin que tout le monde vous voie. » Et Harlay dut se soumettre, sans quoi la foule l'eût massacré sur-le-champ.

L'entrée imprévue de Henri IV à Paris (1594) mit fin aux convulsions d'un parti aux abois, à l'anarchie municipale, à la tyrannie des Seize; le roi punit deux ou trois énergumènes, en acheta d'autres, pardonna au grand nombre, se montra fidèle à sa maxime que, pour venir à bout d'un ennemi, le mieux était encore d'en faire un ami. Mais les excès de la chaire ont laissé un tel souve

nir, que, quatre ans après, l'Édit de Nantes (avril 1598) renfermait un article spécial à l'adresse des prédicateurs : « Nous défendons à tous prêcheurs, lecteurs ou autres qui parlent en public, d'user d'aucunes paroles tendant à exciter le peuple à la sédition; ains leur avons enjoint et enjoignons de se contenir et comporter modestement.... Enjoignons très expressément à nos procureurs généraux et leurs substituts d'informer d'office contre eux. » Il fallut que Henri IV gourmandât le parlement de Paris qui laissait critiquer dans beaucoup de chaires l'Édit de Nantes; il dut même recourir au Saint-Père. Les parlements de province firent preuve

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