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une superbe collation. Dieu seul, a-t-on dit, sait ce que contiennent de larmes les yeux dés reines : la fille de Laure ne fut pas épargnée sans doute, puisqu'elle finit par quitter, pour prendre le chemin de l'exil, ce pays où on l'avait accueillie si mal d'abord. Au seul bruit du mariage, toute l'Angleterre avait protesté : la Chambre des communes votait une adresse au roi pour le supplier de fixer un jour de jeûne et d'ordonner des prières publiques; on demandait que le duc d'York fût tenu de se retirer à la campagne et d'y vivre en simple gentilhomme. Et puis le charme opéra, car avec ces Mancines, il opérait toujours, en bien ou en mal; la grâce, la beauté de la princesse triomphèrent de ce triste esprit de parti qui est si rarement, hélas! le parti de l'esprit.

Et maintenant, nous entrons dans le royaume de la fantaisie et de la passion, où les lois du monde moral sont abolies, où la beauté seule règne, où elle est la vertu même et plus que la vertu. C'est une beauté armée de toutes pièces, qui possède, si j'ose dire, la tactique et la stratégie de son art, une beauté entourée d'auxiliaires redoutables, d'autant plus redoutable ellemême qu'elle prend racine dans l'imagination et je ne sais quel impétueux égoïsme qui se donne des airs de sensibilité profonde : mais il y manque le lest nécessaire, le jugement, l'équilibre, la persévérance, qui font les suprêmes victorieuses, ces éternelles dominatrices des cœurs et des esprits : une Cléopâtre, une Diane de Poitiers, une Maintenon; faute de quoi, les nièces de Mazarin, ces paradoxes incarnés, resteront toujours de magnifiques aventurières. Dédaignant les obstacles et les sortilèges de la diplomatie, elles se ruent, tête baissée,

dans tous les pièges que leur tendront la vie, les choses et surtout leur propre orgueil. Aller se casser la tête contre un mur qu'on voit devant soi, c'est déjà bien fort; mais construire soi-même le mur sur lequel on va se broyer la cervelle, c'est impardonnable, opinait M. Thiers. Ainsi firent-elles, gâchant à plaisir les destinées les plus brillantes, s'évertuant en quelque sorte à détruire l'œuvre d'une Providence prodigue de ses faveurs. Quoi qu'on ait dit, par exemple, il ne semble nullement prouvé que Mazarin n'eût point accepté le mariage de Marie Mancini avec Louis XIV, s'il y eût

trouvé ses sûretés, s'il eût rencontré en elle un auxiliaire, un instrument de ses volontés; l'idée de garder le cœur du roi comme un gage dans la famille ne lui déplaisait point; elle, au lieu d'amadouer son oncle, rompt en visière, cherche visiblement à miner son crédit, perd, par sa faute, la plus belle partie d'ambition que puisse jouer une femme.

Cette Marie Mancini, la plus célèbre des Mazarines, les Mémoires, le roman, le théâtre, l'histoire ont rendu familière sa physionomie. Grâce aux belles études d'Amédée Renée, Chantelauze, Arvède Barine, Lucien Perey, ses amours avec Louis XIV (1658-1659), la fascination qu'elle exerce sur lui pendant des mois, son manège audacieux pour se faire épouser, sa transfiguration par la passion qui l'avait embellie, elle que l'on comparait d'abord à un pruneau, son exil à Brouage, ses fureurs volcaniques quand elle échoue, le mot fameux, plus ou moins arrangé : « Vous êtes roi, vous pleurez, et je pars! » scandé par un accès de colère où elle déchire la manchette de dentelle du jeune roi, le mariage avec le connétable Colonna, puis les frasques, les

odyssées à travers l'Europe et les couvents, tout cela est trop connu maintenant pour qu'on ait besoin d'insister. « C'était une folle, dit Saint-Simon, et toutefois la meilleure de ces Mazarines. » Je ne veux retenir que deux ou trois traits qui peignent cette âme désheurée. A peine a-t-elle renoncé, par force, au roi, soudain, avec la puissance d'abolition qui caractérise tant de femmes, elle entame avec le prince Charles de Lorraine un second roman plus échevelé que le premier, jure cent fois qu'elle l'épousera ou se fera religieuse. Louis XIV, entre parenthèses, lui garda une sévère rancune de cette équipée, car le droit divin pour lui ne s'arrêtait pas à la politique, mais envahissait le domaine du sentiment à tel point qu'il se montre jaloux de Dieu mème, et veut lui enlever la Vallière. Enfin elle se décide à n'avoir plus la moindre pitié de son cœur, le connétable Colonna l'épouse, lui plaît pendant quelques années, vit devant elle comme l'Hindou devant l'idole de Jaggernat; après ses premières couches, le Sacré Collège étant venu lui rendre visite, elle reçoit les cardinaux dans un lit figurant une conque marine : « C'était, raconte-t-elle dans son Apologie, une espèce de coquille qui semblait flotter au milieu d'une mer si bien présentée qu'on eût dit qu'il n'y avait rien de plus véritable, et dont les ondes lui servaient de soubassements. Elle était soutenue par la croupe de chevaux marins, montés par autant

1. D'après un usage tout au moins ridicule, les nouvelles mariées recevaient sur leur lit, le lendemain du mariage; et souvent les princesses faisaient de même en parfaite santé, afin d'éviter la difficulté d'étiquette de donner la main, c'est-à-dire de reconduire.

La description du lit de la connétable Colonna donne la mesure du mauvais goût auquel était parvenue l'Italie de Raphaël.

de sirènes, les uns et les autres bien taillés, et d'une matière si propre et si brillante, qu'il n'y avait pas d'yeux qui n'y fussent trompés et qui ne les crussent en or. Dix ou douze Cupidons étaient les amoureuses agrafes qui soutenaient les rideaux d'un brocart d'or très riche, qu'ils laissaient pendre négligemment pour ne laisser voir que ce qui méritait d'être vu de cet éclatant appareil, servant plutôt d'ornement que de voile. » Le cardinal Flavio Chigi, neveu du pape et son premier favori, se laisse entraîner par elle à mille incongruités : un jour, par exemple, elle le surprend au lit, fait main basse sur ses vêtements, et, déguisée en cardinal, prétend donner audience à sa place. Une autre fois, ils vont à la chasse et campent dans les bois pendant quinze jours. La voilà enfin partie de Rome, courant l'Europe comme une écuyère, reçue dans les couvents à contre-cœur, et pour cause: percer les murs et passer par le trou béant, gagner des sœurs tourières et s'offrir des parties de nuit fort peu édifiantes, recevoir force galantes visites au parloir, porter des jupes de brocart or et argent sous la robe de laine, tout cela n'est que jeu pour elle. Ces exercices durèrent pendant vingt ans et plus. Et le plus piquant de l'aventure, c'est que le connétable, ce mari le plus conspué, le plus abandonné, un des plus minotaurisés de son temps, demeura amoureux d'elle jusqu'à la fin. Par testament, il implore son pardon, et, de peur que les apparences ne laissent à ses enfants quelque ressentiment contre leur mère, il s'accuse lui-même et leur prêche respect, reconnaissance et estime. Voilà un des. plus beaux cas de philosophie conjugale dont l'histoire fasse mention. Quant à la connétable, elle courra en

core les aventures, sous les yeux de ses enfants, à cinquante ans, et c'est d'elle peut-être cette jolie réflexion sur ses cascades : « Non, non, je ne croirai jamais que de si bons péchés soient mortels. » S'il y a trois périodes dans la vie des femmes, rêver l'amour, le vivre, le regretter, elle raccourcit le plus possible au bénéfice de la seconde la première et la troisième. Mais quelle épitaphe que celle qu'on grava par son ordre sur sa tombe: << Marie Mancini Colonna, poussière et cendre!»

Avec Olympe Mancini, nous ferons un pas de plus. Elle aussi est une passionnée, mais surtout une intrigante, sur laquelle ses relations avec la Voisin laissent planer de singuliers soupçons. N'ayant pas réussi à pousser jusqu'au mariage l'inclination que lui témoigne Louis XIV adolescent, elle épouse le comte de Soissons, de la maison de Savoie, tenant par sa mère aux Bourbons, un mari soumis, d'un aveuglement et d'une complaisance merveilleux. La voilà princesse du sang, appelée par distinction Mme la Comtesse, attirant chez elle le roi, et sans doute ne lui refusant rien pour le garder dans sa barque, jalouse de sa sœur Marie quand la passion du roi éclate, et, après la brouille avec celle-ci, rentrant par degrés dans les bonnes grâces de Louis XIV, qui allait la voir tous les jours, même au début de ses amours avec Mlle de la Vallière; il y passait ses soirées : le jeu, la conversation le retenaient fort tard; il y prit cette fleur de grâce majestueuse et aisée que ne connut jamais Louis XV. En revenant de Bordeaux à Versailles, il quitta le carrosse de la reine dès la seconde journée, installa dans le sien la comtesse de Soissons avec Mme d'Uzès, y dînant tous les jours en tête à tête, jouant aussi un jeu à perdre trois ou

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