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les trois. » Une autre fois il met en scène une sorte de congrès de l'eau, du vent, du feu et de la vérité qui, fort poétiquement, se confient leurs ennuis : « Tout le monde me chasse et m'éteint en été, éclate le feu; c'est pourquoi je me réfugie dans les veines du caillou. Pour moi, soupire l'eau, on m'emploie à laver la boue et l'ordure; cela fait on me jette dans les joncs du marais. L'hiver venu, siffle le vent, les hommes me chassent de leur demeure, et je me cache sous les feuilles du tremble. » Et la vérité : « Tout le monde me poursuit; je ne sais où me réfugier; j'ai peur de mourir sans confession, car personne ne veut me prêter l'oreille ; aussi finirai-je par delà les nuées. »

Aussi peu féministes que possible, les prêcheurs invectivent les dames platonistes, les bibliennes, les belles raisonneuses : « O femmes à la grant gorre, pensez-y bien. Pourquoi remplir votre temps de jeux et de vanités ? Il vous faudra répondre, non pas sur les conceptions d'Aristote, ni sur la science des idéalistes ou des réalistes, des légistes ou des médecins, mais sur votre bonne ou mauvaise vie. » Un autre : « Que faisait la sainte Vierge au moment de l'Annonciation? Croyez-vous qu'elle fût occupée à se farder, à se peindre? Non, aux pieds du Crucifix, elle lisait les Heures de Notre-Dame. » Et à son tour le beau monde d'alors ne tarit pas d'épigrammes en prose et en vers sur ces rustres de la parole divine, qui lui semblent fanatiques, gloutons, sales, dégoûtants, hypocrites et bassement sensuels. Ce qui n'empêche pas certains ordres savants de viser à la science, les dominicains italiens d'exceller dans la mosaïque sur bois et la peinture sur verre,

Du moine alsacien Jean Pauli, ce dialogue entre le

pape et une vieille qui demande un « shilling pour l'amour de Dieu. Non, c'est trop. - Un plapart alors,

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s'il vous plaît ? Non pas.

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davantage; si tu veux ma bénédiction? Si votre bénédiction valait un liard, vous me l'auriez également refusée. »

Une Passion de Menot a pour thème de comparaison une chasse à courre dont le cerf est le Christ, et les chiens sont les soldats et bourreaux que le grand veneur Judas, les princes chasseurs Anne, Caïphe, Pilate et Hérode animent à la curée : le tout entremêlé de détails sur les mœurs du cerf, la chasse à courre, parfois de stances touchantes, enchâssées dans le drame divin. L'austère Guillaume Pépin dénonce ces quêteurs, ces prôneurs d'indulgences qui, avec des tromperies sans nombre, s'efforcent de « vendre le paradis à prix convenu, comme on vend des chevaux et des porcs à la foire, en criant : « J'offre une denrée précieuse. Laquelle ? Le royaume des cieux. Combien ? Pour de l'or et de l'argent en lingots, ou en espèces monnayées; pour de bons linceuls, pour des couvre-chef, des serviettes, des pots d'étain; pour du blé, de l'orge et autres choses comestibles. >>

Mais écoutons aussi Jehan Gerson :

F

<< Les cloîtres habités par des chanoines réguliers sont devenus des places publiques et des champs de foire; les couvents de religieuses des façons de lupanars. »

Pendant le carême de 1495, Savonarole jette du haut de la chaire ce portrait du prince : « Le prince est l'ennemi du bien public, il tire tout à lui et ne laisse rien aux autres. Le prince est gonflé de vices; trois surtout le distinguent la superbe, la luxure et l'avarice.

Orgueilleux, il prétend qu'il n'y ait en vue que lui; ne souffre de louanges que celles qui lui sont adressées ; son père, son frère lui sont suspects. Paillard, il lui faut des voluptés charnelles pour endormir ses soucis. Avare, il lui faut des trésors pour satisfaire à ses caprices et aux besoins de ses partisans. Sont les préférés du prince ceux qui lui indiquent de nouveaux moyens de détourner la fortune publique à son profit.... Le prince aime les banquets, les orgies: il y fait amener par ses rufians des femmes destinées à ses plaisirs. La nuit il se fait ouvrir les maisons où sont de belles jeunes filles peu fortunées, et les enlève.... De ses bâtards il fait des prélats qui corrompent les religieux en leur faisant construire des palais pour couvents; des abbés qui sé- . duisent les prêcheurs de leur ordre par de fausses louanges, et chassent ceux de ces derniers qui s'obstinent à vouloir prêcher la vérité.... O Florence, voilà ce que c'est qu'un prince! Voilà ce que c'est qu'un tyran ! Veux-tu un tyran ? Qui de vous veut être tyran ? »

Olivier Maillard, malgré ses hardiesses, moins grandes toutefois que celles de Menot et Barleta, a du crédit auprès de Charles VIII, auprès du clergé qu'il n'épargne guère, essaie, sur la demande du pape, d'obtenir que la Pragmatique sanction soit révoquée, contribue au succès du triste traité de 1493, prêche pour Jeanne de Valois, contre l'annulation de son mariage, contre le parlement, contre Louis XII. C'est une physionomie fort originale et complexe, où l'audace dans l'attaque, la crudité du langage sont compensées par la patience, l'observation d'un fin psychologue, la souplesse, l'esprit de détail et de nuances du bon administrateur et diplomate. Si l'on en croit son biographe

l'abbé Samouillan, il sait concilier la liberté et l'autorité, dénoncer les abus du pouvoir sans prêcher l'insurrection et la révolte, flétrir les personnes sans toucher aux institutions, faire retentir « plus fort que l'intérêt privé, plus fort que toutes les passions couronnées d'une tiare ou d'un diadème, plus fort que le patriotisme et que la raison d'État, le cri de la conscience humaine, la protestation du bon sens et les revendications du droit absolu» ce qui permit de penser qu'il fut parfois mauvais Français, et le fit accuser de trahison, de vénalité, par plusieurs historiens. Du Bellay voit en lui « un homme apparent de grande sanctimonie, mais de grande hypocrisie au fond. »

Quoi qu'il en soit, il a peint, et pas seulement en buste, la société de son temps; tous les ordres, tous les métiers, laïques, réguliers, séculiers, grands et petits, passent sous ses verges, et je rappellerai quelquesunes de ses boutades.

Satan, malade, et interrogé par ses médecins sur la viande qu'il désire manger, déclare n'avoir de goût « que pour cette sorte de mets que mangent les femmes aux bains des accouchées, pour un pâté de langues. » Là-dessus Maillard ouvre le pâté, le dissèque, y découvre subtilement vingt sortes de péchés et plus.

Barleta raconte que Jéhovah voulut tenter un concordat, un traité de paix avec Satan. « Veux-tu que je mette la terre à ta disposition? Je ne veux pas labourer, fit le diable. Je te donnerai l'eau. Je ne sais pas nager. L'air.

Le feu.

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Je ne veux pas voler.

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Le ciel étoilé. Je ne tiens pas à brûler. Trop fatigant à faire tourner. Le ciel cristallin. - Je serais trop près de toi.

Que te faut-il donc, mauvaise

bête? Rien que les âmes des hommes. » En effet, observe Maillard, « le démon n'a que faire de l'or ni de l'argent, et des corps des hommes il n'a nul souci, à moins qu'il ne s'agisse d'arriver par eux jusqu'aux âmes pour les souiller et les corrompre, et de les transformer en incubes et en succubes.... »

Il fustige les bourgeois sensuels et ventrus, les gros goddons écrits au livre du diable, les femmes trop coquettes, ces femmes gorrières, ces femmes à la grand gorre mise à la mode par Isabeau de Bavière, recouvertes de colliers, de joyaux, de carcans, avec leurs robes aux larges manches tombant jusqu'à terre, leurs superbes hennins menaçant les cieux. Et comme Menot, il trouve fort mauvais que l'église soit si peu respectée par les gens de qualité, qu'ils y entrent fort bien avec leurs éperviers, laniers et chiens. « Si quelque gentillâtre entre dans l'église, il faut que Madame se lève et aille l'embrasser bec à bec. A tous les diables pareils privilèges ! »

L'intrusion de cette noblesse dans les charges ecclésiastiques, voilà, lance-t-il hautement, l'origine des désordres de l'Église. Là-dessus, il flagelle les vices du clergé, prêtres bardés de messes qu'ils tiennent suspendues au croc, prêtres qui spéculent sur leurs prédications et sur les sacrements, qui « boivent le lait, le suc et le sang des brebis; » prédicateurs d'indulgences apocryphes, de fausses reliques, prètres qui tiennent des auberges, vendent du drap, prêtent avec usure le blé des bénéfices, dansent avec les dames au bal, « le seul métier qu'ils n'aient pas exercé est celui de bourreau; » prêtres joueurs, débauchés, qui tiennent leurs commères << en chambre, à pain, à pot et à cuiller.... Et

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