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pas extraordinaire que, parvenu plus tard au cardinalat, il les raconte tout au long, nommant sans vergogne ses adversaires, les dames qui ne lui furent point cruelles, que son confesseur et ami le bénédictin dom Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, tout en supprimant deux cent cinquante-huit pages du manuscrit original, avant de l'envoyer à Mme de Caumartin, ait respecté certains détails fort scabreux ? On se demande ce que pouvaient contenir les passages jugés trop libres par le censeur. D'ailleurs le secret des galanteries de Retz était un peu, pour ses contemporains, le secret de Polichinelle. Mais quelle singulière perversion du sens moral! Rendre le public confident de ses succès auprès de Mlle de Chevreuse, la princesse de Guéménée, la marquise de Pommereux, la maréchale de la Meilleraye, la duchesse de Lesdiguières, Mmes de Rhodes, de Brissac, de ses insuccès ou de ses demi-succès auprès de M1le de Vendôme et de Mlle de la Loupe, la duchesse de Longueville, sœur du grand Condé, la duchesse de Bouillon! Car Retz, avant sa tardive conversion de 1675, ne tenait pas moins à ses Mémoires que César à ses Commentaires, et il lui plaisait sans doute de rappeler que laid, petit, myope, il pouvait cependant se faire aimer, de prouver une fois de plus que la beauté des hommes c'est leur esprit. << Il en est des ecclésiastiques comme des femmes, écrit-il cyniquement; elles ne peuvent conserver de dignité dans la galanterie que par le mérite de leurs amants. » C'est une grande affaire pour un homme que quelques pouces de plus ou de moins; les homunculi, a écrit un moraliste, sont volontiers rageurs, brouillons, parce qu'ils croient toujours que l'on ne fait pas état d'eux; or, Paul de Gondi était un parfait

homunculus, ce qui contribua sans doute à le rendre batailleur.

Ses crimes et ses folies, comme il les appelait vers la fin, se prolongèrent jusque dans son âge mûr, bien longtemps après qu'il se fût résigné à entrer dans la prêtrise (1643). Écoutez cette page étonnante qui rappelle le mot de Satan dans le Paradis perdu de Milton : « Faire le mal sera notre volupté. »

<< Comme j'étais obligé de prendre les ordres, je fis une retraite à Saint-Lazare, où je donnai à l'extérieur toutes les apparences ordinaires. L'occupation de mon intérieur fut une grande et profonde réflexion sur la manière que je devais prendre pour ma conduite. Je trouvais l'archevêché de Paris dégradé, à l'égard du monde, par les bassesses de mon oncle, et désolé, à l'égard de Dieu, par sa négligence et son incapacité. Je prévoyais des oppositions infinies à son rétablissement, et je n'étais pas si aveuglé, que je ne connusse que la plus grande et la plus insurmontable était dans moimême. Je n'ignorais pas de quelle nécessité est la règle des mœurs à un évêque. Je sentais que le désordre scandaleux de ceux de mon ordre me l'imposait encore plus étroite et plus indispensable qu'aux autres, et je sentais en même temps que je n'en étais pas capable, et que tous les obstacles de conscience et de gloire que j'opposerais au dérèglement ne seraient que des digues fort mal assurées. Je pris, après six jours de réflexion, le parti de faire le mal par dessein, ce quiest sans comparaison le plus criminel devant Dieu, mais ce qui est sans doute le plus sage devant le monde; et parce qu'en le faisant ainsi, l'on y met toujours des préalables (précautions) qui en couvrent une partie, et parce

que l'on évite, par ce moyen, le plus dangereux ridicule qui se puisse rencontrer dans notre profession, qui est celui de mêler à contretemps le péché dans la dévotion.

<<< Voilà la sainte disposition avec laquelle je sortis de Saint-Lazare. Elle ne fut pourtant pas de tout point mauvaise, car je pris une ferme résolution de remplir exactement tous les devoirs de ma profession, et d'être aussi homme de bien pour le salut des autres, que je pouvais être méchant pour moi-même.......... » Au reste il se console gaillardement en observant que les vices d'un archevêque peuvent bien souvent être les vertus d'un chef de parti. Celui que nous appelions le cardinal de Retz, à cause de son fanatisme clairvoyant pour le personnage qu'il a si profondément étudié, Chantelauze affirme que personne dans le vice ne conserva plus de respect pour la vertu. Une nouvelle façon de lui rendre hommage!

Et, tout plein de cette belle vision, le voilà qui joue si bien son personnage, que Messieurs de Port-Royal, l'évêque de Lisieux, saint Vincent de Paul, donnent dans le panneau; d'ailleurs il tente, autant que la jalousie de son oncle le lui permet, la réforme des prêtres de son diocèse, convertit son logis en académie, ménage sans affectation les chanoines, les curés, ne fait guère le dévot, mais il les estimait beaucoup, et à leur égard, dit-il, c'est un des grands points de la piété. Sa tante, la marquise de Maignelais, une véritable sainte qui a le génie de la charité, car on rencontre tous les extrêmes dans cette famille, et qui est adorée de tous les pauvres de Paris, devient aussi sa dupe, l'aide à se rendre populaire parmi ces malheureux dont on peut tirer parti en temps de révolution. Ayant reçu une somme de

douze mille écus du comte de Soissons, Retz les apporte à sa tante en la priant de les distribuer aux pauvres honteux. Elle voulut qu'il fût présent, afin de l'accoutumer aux bonnes œuvres. C'est tout ce qu'il demandait; il se laissa traîner pendant quatre mois, tous les jours, dans les galetas des faubourgs, vit une foule de gens qui venaient à l'aumône secrète, donna des bagatelles à tous les enfants: il se mit ainsi à cultiver, sans qu'on s'en doutât, ceux qui n'ont rien à perdre et tout à gagner avec le désordre. Quel merveilleux candidat à la députation il eût fait de notre temps! Le voile de la marquise couvrait toute chose; l'excellente femme ne manquait presque jamais de dire aux solliciteurs : « Priez bien Dieu pour mon neveu, c'est lui de qui il lui a plu de se servir pour cette bonne œuvre. » Le moment venu, les faubourgs ne jureront que par le Coadjuteur, qui se trouvera le maître de Paris. Plus tard son expérience lui dictera cet axiome : « Descendre jusqu'aux petits est le plus sûr moyen de s'égaler aux grands. » Et en revanche, il montrera au peuple de dangereux chemins, comment on entre dans le sanctuaire, « comment on lève le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire, tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'accordent jamais si bien que dans le silence. »

Comme on voit, il y a dans Retz un étonnant mystificateur politique, un admirable metteur en scène qui ne déteste pas les moyens de comédie, qui excelle à jouer plusieurs rôles à la fois. Faut-il rappeler de quelle manière il dupa son oncle l'archevêque, qui le détestait cordialement, au point de s'écrier, comme il avait fait une chute en s'appuyant sur Ménage tandis qu'il descendait

de carrosse : « Ah ! de quoi m'avisais-je aussi de vouloir m'appuyer sur un homme qui est à mon coadjuteur ? » De son côté, le neveu ne tarissait point sur la faiblesse, la timidité et la jalousie de l'oncle. Ce dernier avait reçu une lettre de la reine qui le conjurait d'aller le lendemain au parlement pour empêcher le Coadjuteur de s'y rendre à sa place. L'affaire en jeu était de la dernière importance pour le jeune chef de la Fronde, et par cela même l'archevêque se réjouissait grandement à l'idée de lui créer de graves embarras. Mais le neveu avait pour ami le chirurgien de l'archevêque; celui-ci entre dans la chambre de Monsieur de Paris, le loue beaucoup de la fermeté avec laquelle il a résisté au Coadjuteur, l'exhorte ensuite à se lever en diligence pour aller au palais; mais aussitôt qu'il le voit hors du lit, il lui demande d'un ton effaré comment il se porte; et Monsieur de Paris ayant répliqué: « Fort bien. Cela ne se peut, reprend le compère, vous avez trop mauvais visage. » Il lui tâte le pouls, l'assure qu'il a la fièvre, et d'autant plus à craindre qu'elle paraît moins. L'archevêque le croit, se remet au lit, tous les rois et toutes les reines ne l'en feront pas sortir de huit jours. Est-il besoin de dire que ce joli tour a inspiré une des plaisantes scènes du Barbier de Séville? « Allez vous coucher, Basile, vous sentez la fièvre. » Ce qu'on sait moins, c'est que Mazarin retourna le stratagème contre Retz luimême en 1655, pour empêcher un membre influent de l'assemblée générale du clergé de voter en sa faveur. A trompeur trompeur et demi.

Le Coadjuteur tenta, en 1651, une mystification plus dangereuse, et qui d'ailleurs n'eut pas de succès, ou plutôt le mystificateur resta, en fin de compte, le mystifié.

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