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DE LA HENRIADE,

PAR LE ROI DE PRUSSE.

LE poëme de la Henriade est connu de toute

l'Europe. Les éditions multipliées qui s'en font faites l'ont répandu chez toutes les nations qui ont des livres, & qui font assez policées pour avoir quelque goût pour les lettres.

M. de Voltaire, peut-être l'unique auteur qui préfère la perfection de fon art aux intérêts de fon amour-propre, ne s'eft point laffé de corriger fes fautes; & depuis la première édition où la Henriade parut fous le titre du Poëme de la ligue, jufqu'à celle qu'on donne aujourd'hui au public, l'auteur s'eft toujours élevé, d'efforts en efforts, jufqu'à ce point de perfection que les grands génies & les maîtres de l'art ont ordinairement mieux dans l'idée, qu'il ne leur est poffible d'y atteindre.

L'édition qu'on donne à préfent au public eft confidérablement augmentée par l'auteur: c'eft une marque évidente que la fécondité de fon génie eft comme une source intariffable, & qu'on peut toujours s'attendre, fans se tromper, à des beautés nouvelles & à quelque chofe de

parfait d'une auffi excellente plume que l'eft celle de M. de Voltaire.

Les difficultés que ce prince de la poëfie française a trouvées à furmonter, lorsqu'il compofa ce poëme épique, font innombrables. Il avait contre lui les préjugés de toute l'Europe, & ceux de fa propre nation, qui était du fentiment que l'épopée ne réuffirait jamais en français ; il avait devant lui le trifle exemple de fes précurfeurs, qui avaient tous bronché dans cette pénible carrière; il avait encore à combattre ce respect fuperftitieux du peuple favant pour Virgile & pour Homère, & plus que tout cela, une fanté faible & délicate, qui aurait mis tout autre homme, moins fenfible que lui à la gloire de fa nation, hors d'état de travailler. C'est néanmoins, malgré ces obftacles, que M. de Voltaire eft venu à bout d'exécuter fon deffein, quoiqu'aux dépens de fa fortune & fouvent de fon repos.

Un génie auffi vaste, un esprit aussi sublime, un homme auffi laborieux que l'eft M. de Voltaire, se ferait ouvert le chemin aux emplois les plus illuftres, s'il avait voulu fortir de la sphère des fciences qu'il cultive, pour se vouer à ces affaires que l'intérêt & l'ambition des hommes ont coutume d'appeler de folides occupations: mais il a préféré de fuivre l'impulfion irrésistible de fon génie pour ces arts & pour ces fciences, aux

avantages que la fortune aurait été forcée de lui accorder; auffi a-t-il fait des progrès qui répondent parfaitement à fon attente. Il fait autant d'honneur aux fciences que les fciences lui en font on ne le connaît dans la Henriade qu'en qualité de poëte; mais il est philofophe profond, & fage historien en même temps.

Les fciences & les arts font comme de vafles pays, qu'il nous est presque auffi impoffible de subjuguer tous qu'il l'a été à César, ou bien à Alexandre, de conquérir le monde entier : il faut beaucoup de talens & beaucoup d'application pour s'affujettir quelque petit terrain ; auffi la plupart des hommes ne marchent-ils qu'à pas de tortue dans la conquête de ce pays. Il en a été cependant des fciences comme des empires du monde, qu'une infinité de petits fouverains fe font partagés ; & ces petits fouverains réunis ont composé ce qu'on appelle des académies : & comme dans ces gouvernemens ariftocratiques il s'eft fouvent trouvé des hommes nés avec une intelligence fupérieure, qui fe font élevés audeffus des autres ; de même les fiècles éclairés ont produit des hommes qui ont uni en eux les fciences qui devaient donner une occupation fuffifante à quarante têtes penfantes. Ce que les Leibnitz, ce que les Fontenelle ont été de leur temps, M. de Voltaire l'eft aujourd'hui ; il n'y a aucune science qui n'entre dans la sphère

de fon activité; & depuis la géométrie la plus fublime jusqu'à la poësię, tout est soumis à la force de fon génie.

Malgré une vingtaine de fciences qui partagent M. de Voltaire, malgré les fréquentes infirmités, & malgré les chagrins que lui donnent d'indignes envieux, il a conduit fa Henriade à un point de maturité où je ne fache pas qu'aucun poëme foit jamais parvenu.

On trouve toute la fageffe imaginable dans la conduite de la Henriade. L'auteur a profité des défauts qu'on a reprochés à Homère: fes chants & l'action ont peu ou point de liaison les uns avec les autres, ce qui leur a mérité le nom de rapsodies. Dans la Henriade on trouve une liaison intime entre tous les chants; ce n'eft qu'un même fujet divifé par l'ordre des temps en dix actions principales. Le dénouement de la Henriade eft naturel: c'eft la converfion de HENRI IV & fon entrée à Paris, qui met fin aux guerres civiles des ligueurs qui troublaient la France; & en cela le poëte français eft infiniment supérieur au poëte latin, qui ne termine pas fon Enéide d'une manière aussi intéressante qu'il l'avait commencée : ce ne font plus alors que les étincelles du beau feu que le lecteur admirait dans le commencement de ce poëme; on dirait que Virgile en a compofé les premiers chants dans la fleur de sa jeunesse, &

qu'il a compofé les derniers dans cet âge où l'imagination mourante, & le feu de l'esprit à moitié éteint, ne permet plus aux guerriers d'être héros, ni aux poëtes d'écrire.

Si le poëte français imite en quelques endroits Homère & Virgile, c'eft pourtant toujours une imitation qui tient de l'original, & dans laquelle on voit que le jugement du poëte français est infiniment fupérieur à celui du poëte grec. Comparez la defcente d'Ulyffe aux enfers avec le feptième chant de la Henriade, vous verrez que ce dernier eft enrichi d'une infinité de beautés que M. de Voltaire ne doit qu'à lui-même.

La feule idée d'attribuer au rêve de HENRI IV ce qu'il voit dans le ciel, dans les enfers, & ce qui lui eft pronoftiqué au temple du Deftin, vaut feule toute l'Iliade; car le rêve de HENRI IV ramène tout ce qui lui arrive aux règles de la vraisemblance, au lieu que le voyage d'Ulysse aux enfers eft dépourvu de tous les agrémens qui auraient pu donner l'air de vérité à l'ingé nieufe fiction d'Homère.

De plus, tous les épisodes de la Henriade font placés dans leur lieu : l'art est si bien caché par l'auteur, qu'il eft difficile de l'apercevoir; tout y paraît naturel, & l'on dirait que ces fruits qu'a produits la fécondité de fon imagination, & qui embelliffent tous les endroits de ce poëme, n'y font que par néceffité. Vous n'y trouvez

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