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par le problème de la vie, l'ont résolu en méprisant la vie et en aspirant au ciel, les raisons ne manquent pas pour assurer à son nom cette gloire douloureuse. Il a éprouvé plus qu'aucun de ses semblables, peut-être, le supplice de l'incertitude; il a voulu plus ardemment qu'aucun de nous savoir le dernier mot de la destinée humaine, et c'est l'intensité même de ce désir, devenu une angoisse, qui est le ressort de son éloquence. Venu dans un temps où notre langue allait toucher à sa perfection, il a contribué à la rendre parfaite, et la forte originalité de l'expression vient en aide, pour faire durer ses écrits, ébauchés et mutilés, à l'éternel intérêt de la pensée. Enfin ce jeune homme avait reçu en naissant des dons si beaux et si rares, il était armé d'un génie si pénétrant, que l'admiration, en le considérant, allait jusqu'à l'épouvante, et nul ne peut dire jusqu'où il se fût avancé dans l'ordre des sciences humaines, s'il ne s'était, dès le premier

pas, arrêté et perdu dans la contemplation de l'infini. Le doute fui avec violence, la foi embrassée avec une sorte de désespoir, les passions étouffées plutôt que contenues, la gloire dédaignée à l'âge même où l'on voudrait mourir pour elle, le génie sacrifié ou plutôt enfermé dans un seul objet et uniquement voué au salut des âmes, la hauteur du caractère et de l'esprit faisant un continuel effort pour s'anéantir devant la croix, une vie languissante et mortifiée dans un corps débile, une mort prématurée auprès d'une œuvre incomplète, voilà l'histoire de Pascal, histoire plus émouvante que si elle était remplie d'événements extraordinaires, et digne d'occuper un rang élevé dans les annales humaines, puisqu'elle est entièrement composée de ce genre particulier d'inquiétudes et de douleurs qui fait la dignité de notre nature, par cela même qu'il n'a rien à démêler avec les intérêts ici-bas.

Comment raconter une telle vie après

l'inimitable récit que la sœur même de Pascal en a laissé? La simplicité de ces pages vraiment chrétiennes est ce qui convient le mieux à ce grand homme. Quel spectacle que celui de cet enfant, questionneur opiniâtre et ingénieux à l'âge ou l'on balbutie encore, habile à discerner les défaites et refusant d'en prendre son parti, vraiment né pour savoir et déjà incapable de s'arrêter en dehors de la vérité, ni de se reposer ailleurs qu'en pleine lumière ! Écarté de la géométrie, on sait comment il l'invente; on sait ses découvertes solitaires, les larmes silencieuses de son père, effrayé et ravi de ce prodige, le conseil du bon M. le Palleur, qui « ne trouvait pas juste de captiver cet esprit et de lui cacher cette connaissance. » On le laisse donc se plonger dans ces sciences si belles par leur certitude, et il y jouit librement de la vérité qu'il avait ardemment recherchée. Mais dès sa vingt-quatrième année il dit adieu aux sciences, et, touché d'une cu

riosité plus haute, il poursuit la vérité par un chemin moins facile; il croit la saisir tout d'abord, il l'embrasse avec une ardeur qu'il répand autour de lui. Son père, déjà chrétien, reçoit de son fils des leçons d'austérité; sa sœur entre à PortRoyal; tous ceux qui l'approchent sont échauffés du feu qui le consume.

Cependant les infirmités l'avaient assiégé dès sa jeunesse, et, depuis l'âge de dix-huit ans, il n'avait pas connu un seul jour sans douleur L'excès même de ses maux, l'ordre des médecins qui intéressent sa conscience à la conservation de sa vie, le font glisser dans le monde, et il ne tarde guère à trouver quelque douceur dans les devoirs et dans les agréments de la société humaine. On ne peut guère douter que son cœur ne fût ému, qu'il n'ait senti le plaisir et la douleur d'aimer, qu'il n'ait enfin joui et souffert pendant un temps bien court de ce qui occupe longtemps la plupart des hommes. Est-il besoin de se de

mander ce qui le ramena brusquement à de plus hautes pensées, à la grande et unique affaire de sa vie? Est-ce un accident auquel il échappa par une sorte de miracle? Est-ce cette nuit d'extase dont il écrivit et conserva toujours, cousu dans son habit, le singulier témoignage ? Est-ce enfin la pieuse influence et l'exhortation de cette même sœur, qu'il avait lui-même poussée hors du monde et enflammée de l'amour divin? Ce fut tout cela peut-être, mais ce fut avant tout l'irrésistible mouvement de son propre cœur, l'obsession du grand problème de la vie future, l'impossibilité de s'en divertir par les objets ordinaires de l'activité ou de la frivolité humaine, l'irrémédiable dégoût de tout ce qui n'était pas Dieu. Il abandonne donc tout ce qui n'est pas lui et va le chercher dans la retraite.

Dès lors commence une vie de méditations, d'austérités et de souffrances, le plus souvent imposées par la nature, mais acceptées par la volonté et presque savou

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