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l'interlocuteur habituel de M. Redcliffe et le but constant de son charitable effort? Il croit, mais il désespère; il se sait en guerre avec le ciel, et comme il s'imagine que cette guerre est inexpiable, il ne s'abaisse point à en implorer la fin; il redoute un Dieu qu'il se représente volontiers semblable à lui-même, superbe, menaçant, inflexible; il croit donc superflu de le prier, inutile d'espérer, et reste en état de révolte comme un héros de Byron ou l'ange déchu de Milton. Mais la foi enracinée par l'éducation des jeunes années et par la respectueuse fréquentation de l'Écriture vit toujours dans son âme; elle y demeure profonde et latente. S'il évite Dieu comme un irréconciliable adversaire entre les mains duquel il doit tomber quelque jour, il n'a jamais eu du moins l'idée de douter de sa personnalité, de sa puissance infinie, de sa justice terrible, de ses communications avec l'humanité, et quand il se hasarde à lever les yeux vers lui, ou qu'on l'évoque

subitement à sa vue, il le voit toujours tel que le lui ont dépeint dès son enfance les Saintes-Écritures. Il y a donc dans ce pécheur endurci, mais chrétien, une source profonde de foi docile qu'il suffit d'aller chercher et d'ouvrir pour inonder son âme et pour y faire germer une riche moisson de soumission et de repentance. Pour cela que faut-il? Tel ou tel verset des livres saints, interprété d'une façon neuve et frappante, tel prédicateur qui lui dit avec autorité que son salut est proche, et que, sans même étendre la main, il va le saisir. L'espérance s'éveille, le cœur s'émeut, l'homme est changé; mais le miracle est moins grand qu'on ne l'imagine. D'un chrétien qui vivait mal on a fait un chrétien qui va bien vivre. L'œuvre est excellente, admirable, digne d'une éternelle reconnaissance; mais elle a trouvé dans la foi du pécheur un point d'appui pour le pousser jusqu'à l'espérance, et du même coup jusqu'au renouvellement

de son âme. Sans ce point d'appui tout eût manqué.

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Cette méthode, si féconde aujourd'hui de l'autre côté de l'eau, perd chez nous quelque chose de sa puissance, et un auditoire français veut être autrement conduit vers le bien. La Bruyère conseille finement au prédicateur « de ne point supposer ce qui est faux, c'est-à-dire que le grand ou le beau monde sait sa religion. Ce que la Bruyère disait alors du grand monde, il faut le dire de tout le monde dans notre siècle de demi-lumières universellement répandues et d'égalité croissante. Peu de gens parmi nous savent leur religion, même parmi ceux qui en ont une. On ne rassure point un Français en lui révélant que Dieu peut pardonner; il incline de lui-même à croire que Dieu pardonne, et n'est nullement tenté de se le figurer inflexible. Quand on le force à regarder le ciel, il y voit plutôt le Dieu des bonnes gens que le vrai Dieu du christianisme.

On ne l'accable pas davantage sous un verset de l'Écriture; il connaît mal l'Écriture,

et laisse volontiers à d'autres le soin de la comprendre. En revanche, on peut trouver aisément le chemin de son cœur. Quiconque saurait parler comme il convient à notre race sensible et légère de ses vains plaisirs, de ses fréquents dégoûts, du vide de la vie, du néant du monde et du besoin d'élever plus haut notre âme, se ferait écouter, comprendre, presque applaudir, et laisserait peut-être un souvenir bienfaisant de sa parole. Qu'il semble encore aisé de nous prendre par la générosité de notre nature, en nous montrant la bassesse, la sottise, les contradictions du mal, en nous piquant d'honneur pour nous entraîner au bien! Quel texte inépuisable et touchant que tableau de nos lâchetés, de notre mollesse, de notre indifférence! Et quel orateur chrétien nous laisserait froids s'il nous disait, avec le droit de nous reprendre de si haut, tout ce que nous voyons et tout ce que

le

nous pensons de nous-mêmes ! Mais des hommes élevés loin du monde, malheureusement étrangers, par leur éducation comme par leur vie, à nos joies, à nos douleurs, à nos fautes mêmes qu'ils sont censés connaître, portent trop souvent sur ces sujets délicats une main malhabile ou grossière; heureux encore s'ils n'aiment pas mieux laisser là nos misères, le Christ et l'Évangile, pour discuter en chaire contre les ennemis de l'Église, et réciter, en guise de sermon, un article de journal qu'on retrouve le lendemain à sa véritable place, dans la première colonne des journaux!

Il serait trop aisé et il serait aujourd'hui peu généreux de faire une histoire des témérités et des égarements de la chaire chrétienne dans notre pays depuis une douzaine d'années. Comment oublier que la même personne y a été comparée tour à tour et par les mêmes bouches à Cyrus le libérateur et à Machabée, puis à Hérode et à Pilate? et comment se dissimuler que

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