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il y a plus de risque qu'ailleurs, mais la fortune y est plus rapide.

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Parmi les divers emplois de la parole, en est-il de plus élevé que ce genre de la prédication, inconnu au monde antique, né avec cette opinion toute chrétienne qu'il est de notre devoir d'édifier nos semblables et de contribuer à leur salut? Qui avait imaginé, avant le christianisme, d'instituer au milieu des cités, bien plus, dans chaque village, cette leçon publique et gratuite de morale, cet enseignement perpétuel des saintes croyances, cet appel périodique au bien qui tombe de la plus humble chaire chrétienne comme une manne intarissable et bienfaisante? Combien d'hommes, combien de Français, condamnés à un incessant travail et aux préoccupations les plus étroites d'un intérêt personnel et toujours pressant, n'ont pas entendu parler ailleurs qu'à l'église de vertu, de devoir, de sacrifices, d'un monde meilleur, d'espérances immortelles? Et quel est le point du globe

où ne s'élève de temps à autre cette voix fortifiante et consolatrice de la chaire chrétienne? Le mineur l'entend au fond de l'Australie, elle soutient aujourd'hui sous la tente le citoyen armé qui combat pour la liberté américaine; elle console par l'image de la patrie céleste ceux que l'étranger a dépossédés de leur patrie sur la terre; partout enfin où flotte le pavillon de l'Europe elle mêle son murmure à celui des flots et entretient l'homme perdu sur l'océan de la puissance et de la bonté infinies de Dieu.

Son texte est toujours le même, et l'on ne peut en imaginer de plus sublime. Il s'agit toujours, dans ses discours, de Dieu, de l'homme, du monde, du bien et du mal, des misères de notre nature, de la grandeur de notre destinée et de la miséricorde mystérieuse qui peut seule combler l'intervalle. Ce thème universel et éternel est si grand, qu'il élève le plus humble esprit et la plus faible parole; il n'est point de mé

diocre prédicateur qui ne soit amené par la tradition, par ses souvenirs, par l'involontaire imitation des grands modèles, à laisser échapper quelques mots plus éloquents, plus profonds, plus salutaires, mieux faits pour le cœur de l'homme que les axiomes les moins incertains de la philosophie la plus fière. Qu'est-ce donc quand le génie s'en mêle et tire de ce thème éternel quelque nouvel accord, quelque variation originale et saisissante? Il semble alors que le ciel s'ouvre, et la tradition nous a conservé certains effets produits par la chaire chrétienne qui restent sans analogie dans les fastes de l'éloquence.

L'éloquence chrétienne est soumise pourtant, comme tous les autres genres d'éloquence, à l'influence des temps et des lieux; et bien qu'elle reste semblable à elle-même dans ses traits essentiels, elle peut offrir dans son inspiration et dans ses allures la diversité la plus instructive. Nous étions un jour vivement frappé de

ces différences et de leur cause en écoutant un homme de bien, un laïque, un Anglais, saisi tout à coup (comme il arrive souvent chez nos voisins) du besoin et de la passion d'annoncer l'Évangile. Nous l'avons entendu plusieurs fois et toujours sur le même sujet qui dominait évidemment sa pensée la miséricorde de Dieu, le pardon des péchés et le renouvellement soudain de l'âme qu'il plaît à Dieu d'émouvoir. On voyait sans cesse dans ses discours un homme perverti, désespérant de son salut au point de n'y plus songer, ignorant ou comprenant mal la doctrine du pardon des péchés et du renouvellement de l'âme, jusqu'au moment où la parole de quelque prédicateur lui révèle l'infinie miséricorde de Dieu et la possibilité d'une régénération soudaine et complète. Il écoute avec joie cette doctrine, il y croit, et le voilà changé d'un seul coup et pour toujours. Ce salut qui tombe du ciel sur le pécheur est gratuit; il est sauvé

parce qu'il est sauvé, et non point parce qu'il l'a mérité; ce n'est point parce que son âme est renouvelée que ses péchés sont effacés, il reçoit du même coup et sans effort le pardon de ses péchés et une âme nouvelle.

M. Redcliffe nous expliquait avec une forte simplicité cette doctrine; nulle autre éloquence en lui que l'inévitable contagion d'une conviction entière et d'une ardente charité; et cependant, comme il était aisé de sentir en l'écoutant pourquoi ses compatriotes sont émus à sa voix, pourquoi dans son pays ses filets, comme ceux de l'apôtre, sont rarement retirés vides de l'assemblée où il les a lancés ! C'est que cette assemblée est véritablement et fortement chrétienne, que ce n'est point la foi qui fait défaut à ses auditeurs, mais le courage de ne point faillir et plus encore l'espérance de se relever après avoir failli. N'est-ce point un véritable Anglais que ce pécheur violent et mélancolique qui est

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