Page images
PDF
EPUB
[graphic][subsumed][subsumed][merged small]

L est difficile d'ouvrir le recueil si court des écrits de Vauvenargues sans le voir paraître luimême et sans fixer sur lui les yeux. Peu s'en est fallu pourtant qu'il n'échappât tout à fait à nos regards et qu'il n'eût pas même cette gloire posthume qui l'entoure aujour d'hui, en échange de cette influence sur les affaires humaines et de cette renommée parmi ses contemporains qu'il a si ardem

ment et si vainement désirées. « Comme on marche sur l'or et les diamants enfouis dans le sein de la terre, » avons-nous lu quelque part, « on passe en aveugle à côté de grandes âmes auxquelles l'air et la lumière ont manqué. » C'est l'histoire de cette triste et noble existence; on voit presque jusqu'au dernier jour Vauvenargues étouffer faute d'air et de lumière. Tout lui manque, un théâtre digne de lui, des amitiés puissantes, la santé, l'occasion, la vie enfin au moment où allait commencer sa gloire. Comme son héros Clazomène, « quand la fortune a paru se lasser de le poursuivre, quand l'espérance trop lente commençait à flatter sa peine, la mort s'est offerte à sa vue. »

Cependant, à bien considérer son histoire, elle n'est point semée de difficultés extraordinaires, et c'est la brièveté de sa vie qui a été son véritable malheur. Il n'avait, après tout, que trente et un ans le jour où son nom sortait de l'obscurité, et il allait

atteindre cette réputation dont la soif l'avait consumé depuis les premiers jours de sa jeunesse. Mais comme il a été enlevé du monde au moment d'y prendre sa véritable place, et que tout ce qu'il avait écrit jusqu'à ce jour était rempli de sa juste plainte contre le sort, il est resté devant nos yeux comme une des victimes les plus malheureuses et les plus touchantes de la fatalité. Si pourtant il avait accompli sa carrière ou vécu seulement vingt années de plus, les épreuves de son noviciat et les dégoûts de sa jeunesse ne nous paraîtraient point sans doute hors de proportion avec le bonheur et l'éclat de sa destinée.

Tel qu'il est, grandissant au milieu d'une ambition stérile, enlevé au seuil de la maturité, et déposant dans chaque page qu'il écrit sa protestation contre la fortune, il inspire la compassion la plus vive. Plus on le lit, plus on croit voir un homme enseveli vivant, qui ferait un continuel effort pour soulever la pierre de son sépulcre, et

retomberait épuisé au moment même où il entrevoit la lumière. Que de fois il a tenté de se faire entendre et d'élever la voix jusqu'à ceux qui pouvaient lui ouvrir un chemin pour sortir de son obscure solitude! C'est ainsi qu'au retour de la funeste retraite de Prague, dégoûté plus que jamais de la guerre, et tournant vers les lettres toutes ses espérances, il écrit à Voltaire et lui envoie son parallèle entre Corneille et Racine. Certes, ce n'est point un jugement littéraire irréprochable, et l'on ne peut tout à fait demeurer d'accord avec Vauvenargues que « les héros de Corneille disent de grandes choses sans les inspirer, tandis que ceux de Racine les inspirent sans les

dire; que les premiers parlent longuement

[ocr errors]

afin de se faire connaître, et que les autres se font connaître parce qu'ils parlent. On ne peut vraiment louer de n'avoir jamais fait parler ses personnages, afin qu'ils se fassent connaître, celui qui a revêtu d'une magnifique éloquence la haine de Mithri

« PreviousContinue »