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nous a constamment inspiré, du travail considérable et souvent très-difficile auquel il nous a obligés. L'auteur du mémoire no 4 est M. Renouvier. Celui du mémoire n° 5, M. Bouillier.

Celui du mémoire n° 2, M. Demoulin.

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L'Introduction sous forme de rapport, qu'on vient de lire dans le livre premier, a, je crois, bien préparé les livres qui suivront, et celui en particulier où je vais parler de Descartes. Elle présente, en effet, dans leur généralité, toutes les vues capitales qui me dirigeront dans cette succession d'études, que je commencerai par le père du cartésianisme, que je poursuivrai par ses disciples, que j'étendrai même à l'occasion à ses principaux adversaires.

Je puis donc, sans plus de retard, débuter par Descartes.

J'insisterai peu sur les circonstances générales, à la suite ou au milieu desquelles est venu et s'est développé Descartes elles sont trop considérables et trop connues de tout le monde, pour que j'aie besoin de beaucoup m'y arrêter. Je me contenterai de les indiquer par quelques traits rapides :

La philosophie moderne tient en principe à plus d'une cause; mais elle tient avant tout à l'état de la religion je n'ai pas besoin, je pense, de m'arrêter à le démontrer, je n'ai qu'à rappeler quelques faits.

La réforme en effet est dans l'ordre spirituel une première émancipation qui en appelle une seconde; c'est un principe de liberté dont les conséquences s'étendent de la sphère de la foi à celle de la raison, et qui après avoir eu pour organes Luther et Calvin, doit, en passant par Ramus, Jordano Bruno, Vanini, Campanella et d'autres, aboutir enfin glorieusement à Bacon et à Descartes; choses et hommes, tout concourt à ce grand mouvement d'idées, et de la révolution théologique à la révolution philosophique, au moins sous le rapport de l'esprit qui les anime, tout se tient et s'enchaîne. L'une fait l'autre et la détermine.

Mais il est d'autres causes également considérables, bien qu'elles soient moins directes, dont on ne saurait méconnaître l'action sur la fortune de la philosophie moderne. Ainsi, que signifie dès les siècles précédents, cette suite d'inventions et de découvertes de toute sorte, qui, sans être précisément des principes de philosophie, en sont cependant des symptômes, des conditions ou des instruments, et témoignent d'un besoin et d'un mouvement des esprits, qui doivent visiblement se terminer à des idées? Que signifie la boussole, cette règle de course de l'homme dans des espaces qui n'ont pour lui ni traces ni chemin? Et cette puissance de la poudre, rapide comme la pensée, active comme la volonté, bien autre en ses effets que la simple force du corps, qu'elle efface et annihile presque, tant elle la dépasse et s'en joue, et qui, au service de l'intelligence, comme la foudre aux mains de Dieu, lui donne sur la matière une supériorité si soudaine, si irrésistible, si large? Et cette autre puissance, encore plus faite pour l'esprit et

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qui, docile à souhait à l'ambition dont il brûle de multiplier sans fin et de faire durer sans terme ses innombrables productions, lui en prête le moyen aussi simple que facile, et le laisse ainsi se répandre et pénétrer sans limites dans tous les temps, dans tous les lieux, dans tous les rangs de l'humanité; puissance qui elle aussi a quelque chose de divin, tant elle apparaît affranchie dans son noble exercice des conditions ordinaires de l'espace et de la durée? Que signifient encore, à la suite de ces merveilles, ces hardies tentatives qu'elles secondent ou excitent, et qui donnent comme coup sur coup deux nouveaux mondes à l'ancien, lui rendant l'un en l'étendant, lui ouvrant l'autre en le trouvant? Cette ardeur et ce succès d'aventures et de recherches, cette passion de la conquête, au loin, par delà les mers, ce désir de l'inconnu qu'on soupçonne, qu'on devine, qu'on poursuit, qu'on atteint, ne sont-ce pas des signes certains d'une activité de pensée, qui bientôt tentera et fera dans l'ordre intellectuel ce qu'elle vient d'accomplir dans l'ordre matériel, et là aussi passera de l'ancien monde au nouveau? Et dans les années où arrivent et concourent toutes ces choses, un événement qui, par ses conséquences, équivaut presque à une découverte, la prise de Constantinople, ne vient-il pas aussi animer cette pensée, et après l'avoir un moment remplie d'un enthousiasme peut-être un peu trop docile, lui inspirer ensuite une généreuse émulation et un fécond sentiment d'indépendance et de force? On ne songe en effet d'abord 'qu'à admirer cette antiquité si regrettée, si désirée, enfin retrouvée avec de si vifs empressements; puis on aspire à l'imiter, à faire, à créer comme elle, et l'esprit

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moderne apparaît en rivalité avec l'esprit ancien, qu'il ne fera pas oublier, mais qu'il s'efforcera d'égaler.

Cependant, les arts, qui à cette époque traduisent avec tant d'éclat celles des idées de la religion qui se prêtent à la beauté, et qui en les traduisant selon leur génie, les font passer avec liberté de la forme du mystère à celle de l'image, et les rendent de cette façon plus accessibles à la foule, les arts, à ce titre, ne sont certes pas étrangers à l'avénement de plus en plus prochain de la philosophie moderne; ils sont comme des serviteurs intelligents et éclairés qui la précèdent et l'annoncent avec une grande pompe de spectacle, et lui préparent les voies par des chefsd'œuvre de tout genre, dont ils sèment magnifiquement la route qu'ils lui ont ouverte. Il en est de même de la poésie, qui fait également auprès d'elle office d'initiation, et qui même avec plus de délicatesse, de spiritualité et de profondeur, parce qu'elle en a mieux la puissance, lui gagne plus facilement les intelligences enchantées, et d'autant mieux disposées aux travaux de la réflexion, qu'elles y sont comme séduites par le charme du sentiment; aussi, parmi les noms qui se rattachent au mouvement philosophique, par des rapports, il est vrai, qu'il ne faudrait pas croire trop directs, ne doit-on pas oublier ceux des grands artistes et des grands poëtes, dont les fortes inspirations, quoique traduites en images, ont incontestablement concouru à provoquer dans les esprits le raisonnement et la science. Ainsi Raphaël et Michel-Ange, l'Arioste, le Tasse et Shakspeare, pour ne citer que ceux-là, s'il s'agissait d'un autre siècle, je n'oublierais pas Dante et Pétrarque, sont certainement à leur manière de grands promoteurs d'idées, et s'ils ne sont pas en

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