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CHAPITRE IX.

SECOND CYCLE ÉPIQUE.

Cycle armoricain ou d'Arthur; caractère chevaleresque.
Contes populaires des Bretons armoricains.

tonnes.
Montmouth et les trouvères francais.
Marie de France.

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-Sources bre
Geoffroi de

Romans en prose; lais de Chevalerie religieuse; le saint Graal.

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L'épopée carlovingienne est féodale, elle n'est pas encore chevaleresque. Elle ne remplit qu'à moitié le programme que l'Arioste a tracé et réalisé si heureusement lui-même, elle chante les cavaliers et les armes mais non les dames ni les amours. Les barons carlovingiens sont braves sans doute, mais leur valeur n'a pas acquis, par un mélange de sentiments plus doux, cette exaltation merveilleuse qui doit en faire une religion, et produire une chose et un mot tout modernes, l'honneur. On a fait de longues et savantes recherches pour savoir chez quel peuple les sentiments chevaleresques avaient d'abord pris naissance. On en a placé tour à tour l'origine chez les Germains, les Lombards, les Arabes. Il est possible que les exemples de générosité et de bravoure, de respect pour la faiblesse et la beauté donnés par ces nations aient contribué à réveiller l'instinct moral chez les autres, mais il ne semble pas nécessaire d'assigner une patrie aux vertus naturelles de l'homme la chevalerie, cet idéal de la féodalité, fut le résultat du progrès moral des nations au moyen âge. A côté du glaive vint se placer l'idée; l'intelligence vint diriger la force, et compléta ainsi une civilisation. Le clergé fut le premier instrument de ce progrès. Gardien désarmé des lumières et des

4. Orlando furioso, c.1, v. 4, 2.

Le donne, i cavalier, l'arme, gli amori,
Le cortesie, l'audaci imprese io canto.

lois morales, il se trouva, après l'invasion, sans cesse en butte à toutes les violences des conquérants. Souvent vainqueur dans cette lutte inégale en apparence, il voyait toujours renaître autour de lui la violence qu'il avait subjuguée. Inquiété, spolié chaque jour par la caste féodale, obligé de défendre contre elle ses intérêts matériels et les intérêts de la justice, dont il s'était constitué le représentant, il eut recours à divers moyens, dont la chevalerie fut le plus remarquable.

Les germes de cette institution avaient existé dans l'ancienne Germanie. Tacite nous apprend qu'aussitôt qu'un Germain parvenait à l'âge viril, l'un des chefs de la tribu, son père ou son plus proche parent, l'introduisait dans l'assemblée des guerriers, et lui donnait publiquement un bouclier et une lance. Il nous rapporte encore que chaque jeune soldat laissait croître sa barbe et ses cheveux, et ne les coupait point qu'il n'eût accompli quelque fait d'armes remarquable. Le clergé fit habilement servir à ses desseins des mœurs déjà établies. Par ses soins, l'admission du jeune noble à l'usage des armes ne fut plus une cérémonie purement militaire : ce fut une coutume religieuse et presque un sacrement. Durant la nuit qui précédait sa réception, le futur chevalier devait veiller auprès de ses armes, soit dans une église, soit dans une chapelle, mais toujours dans une enceinte consacrée. Il était revêtu d'une tunique blanche comme les néophytes que l'Église préparait au baptême. Un bain symbolique devait précéder la réception des armes bénites; le jeûne et la confession furent ajoutés aux veilles; le candidat eut même des parrains qui répondirent de l'accomplissement de ses vœux. Le serment imposé au nouveau chevalier l'engageait à défendre les droits de la sainte Église, à respecter les personnes et les institutions religieuses, et à obéir aux préceptes de l'Évangile'.

4. Dans les plus anciennes chansons carlovingiennes, les chevaliers veilent aussi dans une église, mais c'est à l'approche d'un combat singulier, et pour implorer le secours de Dieu dans l'instant du péril.

2. « Au commencement de l'ordre de chevalerie, il fut dit à celui qui vouloit chevalier être, et qui le don en avoit par droit de élection, qu'il fat courtois sans villenie, débonnaire sans folie, piteux vers les souffreteux, large et appareillé de secourir les indigents, prêt et entabulé de détruire les roberers et les meurtriers, de droit juger sans amour et sans haine. Chevalier

Pour s'assimiler complétement la chevalerie, le clergé en avait réglé la hiérarchie sur la sienne; on mettait sérieusement en parallèle les grades de cette milice sanctifiée avec les ordres ecclésiastiques: le chevalier et l'évêque avaient un rang analogue, des devoirs et des priviléges pareils1.

Mais cette institution, créée par et pour le clergé, ne tarda pas à lui échapper. A côté des idées religieuses germèrent bientôt des sentiments d'un autre ordre, que l'Église n'avait ni prévus ni appelés. L'amour profane, le goût des aventures, l'exaltation de l'orgueil militaire, devinrent l'âme de la chevalerie. Cette milice mondaine et galante ne resta pas seulement indépendante du clergé, elle lui devint odieuse et hostile; et l'Église, contrainte de résister d'abord aux conquérants barbares, se vit obligée à poursuivre la lutte contre les chevaliers.

Elle leur opposa une autre chevalerie qu'elle créa selon ses idées et conserva dans sa dépendance: ce furent les ordres religieux militaires, institués pour combattre les ennemis de la foi.

Il y eut donc deux chevaleries distinctes, ou plutôt deux principes contraires dans la chevalerie, l'un mystique, pieux et sévère, eut pour objet de faire du chevalier un moine chrétien armé pour la foi; l'autre mondain, galant, avide de gloire, fit de l'amour et de l'honneur le but et la récompense de la vie militaire1.

Une fois passés dans les mœurs, ces sentiments divers ne pouvaient manquer de se réfléchir dans la poésie. Le cycle carlovingien avait servi d'enveloppe à des idées toutes différentes. C'était une forme créée par un autre esprit, consacrée à d'autres faits, et qui n'aurait pu sans effort se prêter à une inspiration nouvelle. Il fallut donc que les poëtes chevaleres

ne doit pour paour de mort faire chose où l'on puisse honte cognoistre, ains doit plus douter honteuse vie que la mort. Chevalier fut établi principalement pour sainte Eglise garantir. » La première partie de Lancelot du Lac, feuillet XXXI.

1. Walter Scott, Essai sur la chevalerie. La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires sur l'ancienne chevalerie, considérée comme établissement politique et militaire. Académie des inscriptions, tom. XXXIV et XXXV, in-12. 2. Fauriel. Origine de l'épopée chevaloresque au moyen áge.

ques cherchassent une autre période historique et adoptassent d'autres héros. Charlemagne et ses douze pairs furent détrônés: une dynastie différente fut chargée des nouvelles destinées de la poésie. Arthur lui succéda, ou plutôt partagea avec lui les affections de l'Europe.

Sources bretonnes.

Nous avons vu plus haut la langue primitive des Gaules, le celtique, se retirer, vers le sixième siècle, dans la Bretagne armoricaine. Ce fut aussi l'asile des bardes, ces poëtes gaulois affiliés à la puissante corporation des druides. L'art fut plus vivace que la religion: il subsista avec la langue, comme le seul monument de la nationalité antique. Il fut indestructible comme un souvenir et une espérance. A la même époque, les Bretons d'Angleterre, fuyant la domination des barbares du Nord, s'établirent en grand nombre dans l'Armorique, leur ancienne patrie: ils y apportèrent leur langage, leurs traditions, leur poésie, et ravivèrent encore par leur présence les anciennes mœurs et la vieille poésie celtique. Elle avait pris chez les Bretons insulaires un développement remarquable. Le trait prédominant de leur caractère, dit Walter Scott, était un enthousiasme religieux pour la poésie et pour la musique. C'est au sixième siècle que florissaient dans le pays de Galles les bardes Aneurin, Taliesin, Llywarch-Hen, Merzin, dont plusieurs chants nous ont été conservés, Les émigrants répétaient les hymnes de leurs célèbres bardes; ils aimaient surtout à redire les derniers combats de l'indépendance, où leur chef, le brave Arthur, avait défendu son pays avec tant de gloire. Vaincus, mais non sans honneur, ils agrandirent le nom d'Arthur, comme le contre-poids de leur défaite, et conservèrent leurs chants patriotiques comme un noble et pieux héritage.

Il est curieux de suivre le travail de la crédulité populaire autour de la légende d'Arthur, de voir s'élever peu à peu le

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4. Sharon Turner a démontré avec beaucoup d'érudition l'authenticité de ees poésies publiées dans le premier volume du recueil intitulé: Myvirian; Archeology of Wales.

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monument poétique, auquel chaque âge apporte, pour ainsi dire, sa pierre. C'est voir naitre et grandir l'épopée, c'est étudier en quelque sorte l'histoire naturelle de l'imagination. Les vies des saints contemporains d'Arthur nous présentent cè roi sous les couleurs de la réalité historique. C'est un chef barbare et violent, toujours en guerre avec ses voisins, soit pour repousser l'injustice, soit pour l'exercer à son profit. Il pille un monastère et accepte l'intervention du clergé il enlève la femme d'un chef voisin, et éprouve lui-même une semblable infortune'. Loin d'être le monarque universel, il n'est pas même le seul prince du petit royaume de Galles. Il combat les Saxons: mais ses victoires retardent seulement leurs conquêtes. Gildas, qui vivait à la même époque, résume assez exactement les exploits d'Arthur en ces termes : « La victoire restait tantôt aux Bretons, tantôt à leurs ennemis, jusqu'à la bataille de Hills, près de Bath, où les Bretons obtinrent un avantage signalé. Ce succès se borna toutefois à suspendre le progrès de l'invasion. Kerdic, le chef saxon, s'arrêta aux limites méridionales des comtés de Southampon et de Somerset. Voilà le vrai Arthur, l'Arthur de l'histoire.

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C'est chez les bardes mêmes du sixième siècle que commence l'apothéose. Tantôt ils célèbrent Arthur avec la modération qui convient à une mémoire récente; tantôt, emportés par l'enthousiasme lyrique, ils l'environnent déjà de quelques rayons fabuleux. Le chef breton, transfiguré par l'imagination de ses propres bardes, comme autrefois Alexandre par celle de ses historiographes, devient pour eux un personnage mythologique, mais non encore chevaleresque. Il n'y a point encore ici de table ronde, de tournois, d'amour, ni surtout de saint Graal.

Contes populaires des Bretons armoricains.

La tradition d'Arthur fit un progrès décisif dans la Bretagne française. Du sixième au douzième siècle, le peuple armoricain ne cesse de chanter la glorieuse légende. M. de

A. Vita Sancti Cadoci. Vita Sancti Pateni, etc.

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